Pitié pour la créature !

Pitié pour la créature !
par Sabatino Barbati

« Aucune société ne peut vivre dans l’archaïsme (qui est une négation de la réalité).
Mais toutes ont cherché à conserver socialement le prolongement de l’enfance ».
Gérard Mendel
« … cesser d’être enfant pour devenir citoyen… »
À la France 1.

Nous nous proposons d’examiner les différentes figures de l’enfant dans la pensée de Pasolini. Notre examen remontera le cours du temps, partant des dernières interventions civiles (notamment les Lettres Luthériennes), pour s’arrêter au recueil La Religion de mon temps (1961), où retentit le cri : pitié pour la créature ! Cette remontée s’apparente à une régression, dont les étapes sont la jeunesse, le fils, l’enfant, la créature. En cette dernière, le poète trouve la limite, aussi bien que la condition, de son geste (observer les changements insensibles et voir les mutations anthropologiques et chercher à se désillusionner), qui revêt un aspect tragique.

Le rapport de Pasolini à la jeunesse de son époque n’a pas été tendre. Il a fustigé ses accoutrements, ses coupes de cheveux, sa culture aliénée, son conformisme malgré ses airs de rebelle, son ignorance politique qui l’a menée à se faire instrument d’une lutte contre son propre monde, avant, peut-être, d’en entrevoir le caractère factice. Car cette génération aussi n’ira pas au bout (fino in fondo 2), d’autant qu’elle ne semble pas vouloir continuer l’œuvre des anciens, ni prendre quelque idée pour guide. Mais a-t-elle le choix ? La difficulté d’aller jusqu’au bout fait écho à l’inquiétude du commencement (figurée par l’enfant) : peut-on (re)partir de zéro ? S’est-on fait tout seul ? Pourquoi aurions-nous une dette à la naissance ? L’enfant doit-il avoir quelque chose à prouver ? La colère, voire la rage, du poète vis-à-vis de ses contemporains, cache sans doute une grande culpabilité, un se-sentir-en défaut de l’adulte qui voit par exemple son monde disparaître sans avoir pu le retenir, ou qui voit venir ce qu’il redoute sans pouvoir en prémunir la jeunesse. Mais ce ne sont pas que des questions psychologiques ; comme si l’on pouvait recouvrir la portée du propos de Pasolini par le narcissisme de son auteur. Sans doute faudra-t-il s’interroger sur son narcissisme, et pas seulement parce que le narcissisme est une étape décisive dans la formation de l’enfant.

[…]

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