Discussion sur DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE 2003

 

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DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE 2003

Déclaration des évêques de Côte d’Ivoire

"L’impunité dont jouissent certains individus amène au triste constat qu’en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de véritable pouvoir étatique"
Au moment où tous les regards sont tournés vers Paris pour une solution possible à la crise ivoirienne, les évêques de Côte d’Ivoire réunis à Abengourou ,à l’occasion de la 75e assemblée plénière de la Conférence épiscopale qui s’est tenue du 14 au 19 janvier, ont, dans une déclaration lue par le vice-président de la Conférence épiscopale, Mgr Laurent Mandjo, dépeint les maux qui minent la société ivoirienne. Une société " fragilisée " selon eux par l’hypocrisie, le mensonge, et rongée par l’impunité et le laxisme, le manque d’amour et de liberté…Ils proposent par ailleurs des solutions de sortie de crise.

Comme chaque année, au mois de janvier, vos frères, les Evêques de Côte d’Ivoire, se sont réunis pour examiner les problèmes de l’Eglise en terre ivoirienne, à savoir son développement, son expansion, le fonctionnement de ses institutions… L’Eglise est insérée dans une société; elle fait corps avec elle. Les problèmes sociaux ne la laissent donc pas indifférente. Ainsi la crise que traverse notre pays était au centre, non seulement de nos travaux, mais aussi de nos réflexions et surtout de nos prières et célébrations. Nous avons prié pour la paix dans notre pays, pour la réconciliation de tous ses fils et filles.
A présent, nous voulons jeter avec vous un regard sur notre société ; un simple diagnostic nous révèle qu’elle est malade. Les maux dont elle souffre sont : le mensonge sous toutes ses formes, l’injustice et l’impunité, le manque d’amour et de liberté. Nous voulons ensuite vous proposer ce que nous envisageons pour sortir de cette crise et consolider la paix sociale dans notre pays, à la lumière des 4 piliers que présente le récent document pontifical pour instaurer la paix dans le monde, à savoir : la vérité, la justice, l’amour et la liberté.

I/Regard sur la société ivoirienne

1. 1 Une société fragilisée
Une des caractéristiques de notre démocratie est le mensonge. En Côte d’Ivoire, on cultive le mensonge. Nous sommes confrontés à une crise de la vérité. Trop de mensonges faussent le débat politique. L’hypocrisie a façonné nos comportements, la duplicité est devenue la norme dans nos relations humaines ; le non-respect de la parole donnée mine la concrétisation de nos engagements. L’hypocrisie semble avoir été institutionnalisée; mensonges et demi-vérités jalonnent les discours. Dans notre pays, on peut fomenter un coup d’Etat et ne jamais savoir qui en sont les auteurs et les commanditaires. On peut découvrir un charnier et ne jamais connaître celui qui l’a planifié et mis à exécution. Jusqu’à ce jour et malgré la tenue du Forum national pour la réconciliation, on ignore les auteurs et les commanditaires du premier coup d’Etat. Malgré l’enquête diligentée, le mystère entoure toujours le charnier de Yopougon.
En fait, si la société s’enlise de la sorte dans le mensonge, c’est que le spectre des enlèvements, des assassinats et des menaces de mort plane sur la tête de ceux qui osent dire la vérité. Certaines personnalités sont ainsi contraintes à la vie clandestine.
Les relations entre partis politiques laissent à désirer : conflits entre partis politiques, critiques négatives et destructrices, alliances contre nature ou suicidaires, oppositions systématiques aux idées et innovations du parti au pouvoir, perte du sens de l’intérêt supérieur de la nation au profit des intérêts particuliers et partisans.

1. 2 L’impunité et le laxisme
L’impunité et le laxisme rongent aussi notre société. Un individu peut être pris la main dans la pâte et continuer de vivre en toute quiétude comme si de rien n’était. On peut être condamné par le tribunal et se retrouver aussitôt en liberté ou en dehors du pays.
L’exercice du pouvoir dans notre pays, au niveau des institutions républicaines, est des plus laxistes. On y relève un manque flagrant de fermeté face à des dérives dangereuses qui méritent une réaction prompte et décisive. L’impunité dont jouissent certains individus amène au triste constat qu’en Côte d’Ivoire il n’y a pas de véritable pouvoir étatique.

1.3 Le manque d’amour
Aux yeux de nombre d’Ivoiriens, l’honnêteté, l’intégrité et la justice semblent des valeurs d’un autre âge. La recherche excessive du confort, la course effrénée à l’argent, la soif excessive de l’argent orientent malheureusement la vie des Ivoiriens. L’argent est devenu un critère de reconnaissance de la dignité humaine. C’est ici que se trouve la source de nos divisions, y compris la division au sein de nos institutions républicaines comme l’armée ou les partis politiques. On est membre d’un parti politique non pas à cause de l’idéal ou du programme de développement proposé, mais en fonction de l’intérêt financier que l’on peut retirer ou du poste à occuper.
La presse ivoirienne n’est pas en reste, elle qui, dans sa grande majorité, est à la solde des chefs de partis politiques. Nous savons qu’un pays ou un royaume divisé court à sa perte.
1.4 Le manque de liberté L’Ivoirien pense qu’il jouit d’une grande liberté mais, en fait, il est semblable à un prisonnier qui ignore son état réel de vie. L’Ivoirien a tendance à s’agripper à ceux qui le font vivre et le soutiennent financièrement. La situation de guerre que nous vivons en ce moment semble être le résultat des valeurs que nous avons bafouées, foulées au pied et qui ont pour nom la vérité, la justice, l’amour, la liberté. Mais nous avons foi en un avenir meilleur ; acceptons de faire place à ces valeurs dans notre société.

II/Propositions de sortie de crise

2. 1 Le devoir de vérité s’impose à tous.
Il s’impose à tous, de manière particulière il s’impose à tous les acteurs de la vie politique afin de libérer la Côte d’Ivoire. L’heure est venue de nous débarrasser du langage de mensonge, de quitter l’arène des coups bas et de la duplicité, de l’hypocrisie, pour adopter désormais le langage de la vérité libératrice et constructive.
2.2. Le devoir de liberté.
Cet engagement à emprunter le chemin de la vérité doit s’accompagner de la ferme résolution de vouloir œuvrer pour notre libération. L’Ivoirien doit accepter de se libérer par rapport à la puissance de l’argent et à la soif du pouvoir ; le pouvoir est donné en vue du service et non pour se servir. Et cela, nos hommes politiques doivent le comprendre et l’admettre une fois pour toutes.
L’acquisition de la liberté passe par l’arrêt définitif des escadrons de la mort, l’arrêt définitif de toute stratégie visant à détruire la vie humaine.
La laïcité de l’Etat doit être sauvegardée à tout prix pour garantir la liberté religieuse. Que chaque communauté religieuse pratique sa foi sans prendre les hommes politiques en otage et sans être l’otage d’hommes politiques. Que les communautés religieuses se respectent mutuellement.

2.3 L’Amour.
Nous aimer les uns les autres est un commandement de Dieu ; l’amour est don de soi, ouverture aux autres et acceptation des autres. Personne ne doit être rejeté. Cet amour s’appelle solidarité, tolérance et pardon, excluant toute trace de haine et de violence.
Apprenons à nous aimer entre nous ; arrêtons de nous combattre et de nous torpiller, de nous catégoriser entre gens du Nord et du Sud, gens de l’Ouest et de l’Est. Nous vous invitons à cultiver et entretenir en vous l’amour du pays, dans votre comportement de tous les jours et dans l’accomplissement consciencieux de vos tâches quotidiennes. Développons en nous l’amour du travail bien fait et le goût du mérite. Nous éviterons ainsi la corruption et la recherche du gain facile.
Aimer son pays, c’est le servir avec une conscience professionnelle et un désintéressement total. Aimer son pays, c’est partager un idéal commun, à savoir privilégier en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance, l’intérêt supérieur du pays, en le plaçant au-dessus de nos intérêts particuliers et personnels.

2.4 La Justice
La pratique de cette justice passe par un exercice du pouvoir étatique à même de garantir la paix et la sécurité de tous; la reconnaissance des valeurs et des compétences à la place du népotisme et du favoritisme.
Elle passe par la diffusion d’informations justes et vraies sur le pays et sur le monde.
Ici, nous voulons interpeller la communauté internationale et nos frères africains qui vivent avec nous ; la communauté internationale devra faire l’effort de ne pas tronquer les informations prises ici et diffusées ailleurs dans le monde. Elle devra surtout s’engager à nous aider à sortir du sous-développement en achetant nos produits à des prix justes.
Nous prions nos frères africains d’arrêter d’exiger de nous ce qu’ils refusent chez eux. Qu’ils sachent reconnaître et apprécier la facilité d’intégration qui leur a été offerte depuis notre accession à l’indépendance et tous les avantages qui leur ont été accordés tant au plan social, économique que politique. Qu’ils ne perdent pas de vue le principe fondamental de la réciprocité.
Conclusion : Frères et sœurs, le Pape Jean XXIII nous rappelle dans son encyclique "Pacem in terris" que la Paix est " l’objet du profond désir de l’humanité de tous les temps ". Car Dieu a créé l’homme et l’a placé dans l’ordre de la tranquillité et de l’harmonie. Ainsi, nous savons que les Ivoiriens sont attachés à la paix, ils ne connaissaient pas la guerre. C’est pourquoi ils font entièrement confiance à leurs frères et sœurs qui participent au sommet de Paris. Qu’ils mettent tout en œuvre pour que les négociations aboutissent à un accord de paix sincère. Personne ne doit compromettre cette paix que les Ivoiriens appellent de tous leurs vœux.
Ce qu’il nous faut comprendre aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas d’un côté les anges et de l’autre les démons, d’un côté les bons et de l’autre les mauvais. Il y a plutôt de part et d’autre, des frères qui doivent être capables de se parler, de se dire la vérité et après quoi de se comprendre pour s’accueillir mutuellement et se réconcilier. Ainsi se dessine le Chemin de l’Espérance pour une Côte d’Ivoire renouvelée.

Fait à Abengourou, le 18 janvier 2003
Vos frères les archevêques et évêques de Côte d’Ivoire

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