Capitaine Conan de Roger Vercel

Capitaine ConanIl faut quelques jours avant que l’annonce de l’armistice n’arrive jusqu’au front d’Orient. Pour les hommes, dont certains se sont battus quatre ans, c’est le soulagement et la joie de la victoire. La démobilisation est encore loin, mais on peut librement marcher dans les rues de Bucarest, puis de Sofia. Pour les hommes du lieutenant et plus tard capitaine Conan, le retour de la paix est perçu bien différemment : du jour au lendemain, ces machines à tuer sont désœuvrées…

Ce Conan est un fort en gueule, qui fait ce qu’il veut, y compris piller les locaux et faire du grabuge en ville. Il couvre ses hommes, quoi qu’ils fassent et peu nombreux sont ceux qui osent l’affronter : de nombreuses fois décoré et cité, il est craint et respecté. Son ami et narrateur, le lieutenant Norbert ose pourtant lui tenir tête. Parce qu’il a brillamment défendu trois pauvres diables de soldats accusés pour des broutilles, Norbert est nommé commissaire rapporteur auprès du Conseil de guerre, autant dire le ministère public, l’accusateur.  Il doit bientôt instruire un dossier contre trois hommes de Conan accusés d’avoir cambriolé un établissement peu fréquentable mais surtout d’avoir frappé violemment plusieurs femmes au point de les tuer ou de les laisser paralysées. Pour Conan et ses hommes, plus aucune vie n’est précieuse, surtout pas celles de ces femmes-là. Mais les hommes sont condamnés et Conan se fâche :

La v’là leur paix ! C’est quand les lopettes et les mufles ont le droit de piétiner de vrais hommes pour se venger de leurs quatre ans de coliques. Une belle dégueulasserie.

Les corps francs étaient une poignée de combattants au regard des millions d’hommes mobilisés, mais c’est grâce à eux que la France a gagné la guerre :

Moi et mes gars, on l’a faite, la guerre, on l’a gagnée ! C’est nous ! Moi et ma poignée de types, on a fait trembler des armées, t’entends, des armées qui nous voyaient partout, qui ne pensaient plus qu’à nous, qui n’avaient peur que de nous dès qu’on s’allumait la première fusée !… Tuer un type, tout le monde pouvait le faire, mais, en le tuant, loger la peur dans le crâne de dix mille autres, ça c’était notre boulot ! Pour ça, fallait y aller au couteau, comprends-tu ? C’est le couteau qui a gagné la guerre, pas le canon !

Ces hommes qui ont vécu pour se battre pendant quatre ans sont à présent déconcertés. Ils errent, font le coup de poing pour étancher leur soif de combat. Impossible pour ces soldats de redevenir des hommes : ils portent en eux la guerre et la violence est devenue leur seul langage.

Conan enrage et les défend avec acharnement car il comprend que la paix revenue, lui et les siens n’ont plus de place dans l’armée : on a honte de leur comportement. Hier héros aujourd’hui réprouvés. Pourtant, à travers le cas du très jeune soldat Erlane, le lieutenant Norbert comprend que le fanatisme meurtrier n’est pas du seul côté de ces hommes grossiers que les militaires de carrière montrent à présent du doigt.

Erlane, dix-neuf ans doit passer en conseil de guerre pour désertion à l’ennemi : non seulement affirme le lieutenant de Scève, il n’a jamais porté le pli dont il était porteur mais en plus, il a sciemment avancé vers les lignes bulgares pour se faire arrêter afin de livrer des renseignements à l’ennemi. De Scève est sur de lui, il déteste Erlane qui n’est à ses yeux qu’un trouillard trop dorloté par sa mère. Contre toute attente, Conan prend la défense du gosse et persuade Norbert de son innocence. En tant qu’accusateur, il fait tout pour minimiser la responsabilité d’Erlane mais l’acharnement de de Scève n’a pas de borne : le jeune soldat terrorisé est condamné à mort sept mois après l’armistice, juste avant la démobilisation de l’armée d’Orient en mai 1919.

A l’évidence, de Scève, militaire de carrière, ne vaut pas mieux que Conan et ses hommes : lui aussi poursuit la guerre, dans la haine et la revanche. Quand Conan est accusé de meurtre, Norbert démissionne de son poste de commissaire apporteur.

Au-delà de toutes les blessures et handicaps que les combattants de la Grande Guerre ont pu rapporté, c’est de troubles psychologiques graves qu’il est ici question. Pour Roger Vercel, qui a lui-même combattu sur le front d’Orient et a été rapporteur pour l’armée, il est clair que la guerre a fait de certains hommes des guerriers, des machines à tuer. Ces corps francs aussi appelés parfois nettoyeurs de tranchées étaient encouragés à tuer sauvagement. Affranchis des règles de la guerre pour leur efficacité, ils ne connaissaient que leurs propres lois. Et voilà qu’ils doivent à nouveau obéir, rentrer dans le rang et oublier qu’ils ont été admirés et décorés pour leur implacabilité. Ces quelques mois d’après guerre témoignent déjà de l’impossibilité pour ses hommes de désormais trouver une place dans la société qui ne veut plus d’eux ni de ce qu’ils représentent.

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Capitaine Conan

Roger Vercel
Librairie Générale Française (Le Livre de poche n°9), 2013
ISBN : 978-2-253-02921-2 – 218 pages – 5.10 €

Première publication en France : 1934

11 Comments

    1. J’ai vu le film il y a un certain temps, il m’a terriblement ennuyé. je crois même ne pas être allée jusqu’au bout…

  1. Moi, c’est l’inverse, j’avais adoré le film, avec Torreton en barbare qui finit pitoyable dans son pauvre bistrot … Un seigneur de guerre en chaussons … Et du coup, ce film m’avait assez passionnée pour que je lise le livre qui m’avait déçue. Pourquoi ? Trop explicatif, je pense. Mais il n’est reste pas moins que le propos est essentiel : quand on a fabriqué pour le bien de la patrie, des machines à tuer, on en fait quoi après ? (je pourrais rebondir sur tellement de points que tu évoques qu’il me faudrait 15 commentaires !) Ton dernier paragraphe est juste juste.

    1. On imagine l’implication de Vercel dans ce qu’il écrit. Ces gars-là, il les a connus et il mesure d’autant mieux le gâchis. La question de ce qu’on peut faire de notre inhumanité, nous autres hommes, est sans fin. Je trouve encore plus fort de nous mettre sous le nez la lâcheté qui consiste à renier ceux (et non pas « ce ») qu’on a faits. Ces textes écrits par des écrivains combattants un certain temps après la guerre, quand il n’est plus question de patriotisme et que la société a oublié les hommes, sont les meilleurs : ils ne cessent de souffrir, bien après les faits. Ce qui est valable, malheureusement, pour toutes les guerres et là où les textes sont essentiels c’est que la société et les gouvernements essaient longtemps de nier ces souffrances (cf. les vétérans d’Irak, si jeunes…).
      C’est vrai qu’on pourrait faire long sur le sujet 😉

  2. Les poilus ont mené la plus affreuse des guerres pour l’idée de Patrie dans la haine du « boche », la plupart… Les militaires de carrière? Nivelle et Joffre le premier, « en ont consommé du breton » (citation attribuée à Nivelle). Du Breton et des autres,… et des fusillés « pour l’exemple ». Si jeunes. Dorgeles, Vercel, Barbusse, Remarque le savent bien. La « der des der »? Pas du tout. On remet ça au nom de la religion.Que ferons nous de tous ces djihadistes qui partent pour une l’ idée qu’ils se font de Dieu? Les grands bénéficiaires , aujourd’hui comme hier, les marchands de canons…

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