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Le bleu du ciel

On se souviendra peut-être du ciel au-dessus de Paris, lors de ce samedi, 21 novembre 2020, où il ne s’est rien passé. Il faut être de bien mauvaise foi pour dire que quelque chose se passe encore en France, pays qui se tient bien.

(Paris, parvis des Droits de l’Homme, 21 novembre 2020, photo Yassine Bouzrou)

Cette photographie invite à une relecture du Bleu du ciel, roman de Georges Bataille dont on ne mesure sans doute pas encore le plein impact. Bataille rédigea une première mouture de ce roman en 1935, alors qu’il s’intéressait à la question de l’inéluctable montée du fascisme. Sans doute qu’en 1935, pas davantage qu’aujourd’hui, rien ne se passait en France.

Bataille ne publiera son roman qu’en 1957. Voici un extrait du Prière d’insérer adjoint à l’ouvrage : « Le Bleu du ciel dénud[e] au fond de chacun de nous cette fente, qui est la présence toujours latente de notre propre mort. Et ce qui apparaît à travers la fente, c’est le bleu d’un ciel dont la profondeur ‘‘impossible’’ nous appelle et nous refuse aussi vertigineusement que notre vie appelle et refuse la mort. » 

Lors du Congrès de Versailles tenu le 3 juillet 2017,  le Président Macron évoquait le passé colonial de la France, en employant (en détournant) pour l’occasion la notion de part maudite chère à Georges Bataille. Cette formule ravalée au rang d’élément de langage réapparaîtra dans la bouche du même, à l’occasion d’un discours prononcé le 25 novembre 2017, pétri de commisération cette fois-ci à l’endroit de la femme : « Et cette part maudite, celle qui accepte les violences indicibles, l’indignité d’un comportement, le pire parce qu’il était caché dit trop d’une société qui n’est pas notre pays, qui n’est pas notre République. »

Force est de constater que, depuis quelques semaines, la part maudite de la France, un peu usée d’accepter des « violences indicibles » (rendues désormais invisibles), celle à qui on refuse l’image autant que la parole, est vouée à contempler le bleu du ciel derrière des grilles lors de samedis après-midi à Paris où il ne se passe rien.

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