Graphic Nuggets, On the Run(s), Red is the New Black

1/ Of Cats and Men (Daredevil 238)

Daredevill 238
©Marvel Comics

Comme pour l’analyse du Hulk de Peter David, nous regrouperons les différentes périodes par dessinateur dans un souci d’accessibilité, soit 3 grandes phases même si nous entrerons plus dans le détail de chaque épisode étant donné la densité de ceux-ci.

La première phase du run d’Ann Nocenti a donc pour dessinateur « régulier » Louis Williams (et Al Williamson à l’encrage) qui conserve donc sa place après l’éviction d’Englehart.
Régulier entre guillemets parce qu’il ne dessinera que 4 épisodes sur 12.

Le turn over de dessinateurs sur la série n’aidera pas la scénariste qui, étant arrivée au dernier moment et sans plan pré-établi, va mettre un certain temps pour faire sien le petit monde de Hell’s Kitchen et pour canaliser son trop plein d’idées.
En conséquence de quoi cette période va alterner entre le bon et le moins bon avant que l’auteur réussisse à finalement trouver une réelle direction dans le diptyque précédent l’arrivée de John Romita Jr.
Et l’instabilité graphique commence dès le premier épisode qui n’est non pas assuré par Williams mais par Sal Buscema et Steve Leialoha.

N’ayant pas encore de véritable plan mis en place, Ann Nocenti décide de commencer son run avec un autre loner (épisode indépendant).
Et en bon éditor rouée et roublarde (ce n’est pas une critique) des titres X, elle l’intègre au crossover Mutant Massacre afin d’attirer l’attention sur sa série.
Ce tie-in reste d’ailleurs à ce jour le seul inédit VF du crossover et s’il est parfaitement dispensable à la trame globale, il est néanmoins intéressant en proposant un point de vue différent sur l’event mutant.

SabretoothDD
©Marvel Comics

En effet, l’histoire est un focus sur Dents de Sabre qui enlève une jeune clocharde errant dans les tunnels des Morlocks afin d’en faire sa femelle (oui, au sens reproducteur du terme).
Croisant ensuite le chemin des Fat Boys, il décide de s’en prendre au protecteur de ces derniers, Daredevil, afin de marquer son territoire et sa position de mâle Alpha.

Plus que DD c’est véritablement le mauvais mutant qui est au centre du récit et pour le coup, on peut dire que l’editor des X-Men fait le travail de Chris Claremont.
Il est vrai que Papy était certes en train de poser Dents de Sabre comme la némésis de Serval mais ne lui avait donné pour l’instant aucune identité particulière autre que celle de tueur ricanant et cruel.
C’est donc Nocenti qui est la première à creuser le personnage de Creed et pour le coup elle le définit véritablement comme le reflet inversé de Serval.

Là où Logan tente de contrôler la bête en lui et aspire à l’idéal du samouraï, acme de la condition humaine pour lui, Creed s’abandonne totalement à ses instincts.
C’est un homme ayant régressé au stade animal qui prend femelle, marque son territoire (soyez rassurés, il n’y a pas de case où l’on voit Creed pisser partout) et veut prouver son statut de chef de meute en dégommant ses possibles rivaux.
Nocenti en fait la représentation de l’aspect le plus sauvage et cruel du règne animal, un être qui a grand peine à se raccrocher à son humanité.

Nulle surprise donc à ce qu’elle l’oppose à Daredevil, l’autre samouraï des héros Marvel et le plus humain de tous, voire christique, depuis les événements de Born Again.
Face à Creed, Matt Murdock représente la tempérance, le contrôle de soi et l’empathie qui semble représenter dans l’esprit de la scénariste le meilleur de l’humanité.
Ce sont toutes ces qualités qui vont permettre à Creed de se ressaisir un bref instant et de laisser sa prisonnière aux soins de DD.
On note donc tout de suite l’intérêt que porte l’auteur à l’aspect berger, bon samaritain désintéressé que venait de donner Miller au diable rouge et pour le coup on voit bien qu’elle va paradoxalement chercher à creuser dans cette direction qui embêtait bien ses camarades editors et scénaristes.

Catsabre
©Marvel Comics

Avec ce combat, elle renoue aussi avec l’aspect casse-cou, homme sans peur, avec le « never give up » cher à Miller en lançant DD contre un adversaire bien plus fort que lui.
On se souviendra des superbes confrontations entre Daredevil et le Prince des Mers (Wally Wood) ou Hulk (McKenzie/Miller).
Nocenti a retenu cette leçon et elle n’hésitera pas plus tard à jeter Pyro, le Colosse, Ultron et carrément Méphisto contre son héros.

De même, elle creuse aussi une thématique déjà abordée dans les fill-ins précédents en gérant les conséquences du run de Miller et de l’affrontement contre Nuke puisqu’elle se penche sur l’image très écornée de Tête à Cornes (huhu!).
Celui-ci est en effet vu par les médias et les habitants de New York comme un héros violent, un vigilante finalement pas si éloigné que cela du Punisher.
Nocenti creusera cet aspect des choses durant toute la première partie de son run et l’on y voit clairement une volonté de se démarquer de la vague grim n’ gritty qui submerge alors l’édition américaine et dont le DD de Miller fut involontairement un précurseur.
Elle respecte donc les apports de son prédécesseur tout en en mettant en exergue les conséquences et les contradictions pour pouvoir construire ensuite son propre Daredevil.

Dans une démarche plus personnelle encore, elle intègre le « gang » des Fat Boys à la série.
Ce groupe d’enfants de Hell’s Kitchen, créés dans les pages de sa mini-série Longshot, sont donc pris sous l’aile de Daredevil et deviennent à la fois ses protégés et ses informateurs.
C’est une trouvaille astucieuse car elle permet de redonner une petite touche kids et des personnages auxquels s’identifier pour les plus jeunes lecteurs dans l’univers souvent sombre de DD.
Cela constitue aussi un hommage appuyé aux kids gangs chers à Kirby et leur relation avec le héros rappelle celle unissant la Newsboy Legion avec le protecteur du ghetto de Suicide Slum, le Guardian (dans les pages du Jimmy Olsen de Kirby puis dans les diverses séries Superman).

Mais c’est aussi un moyen pour la scénariste d’introduire une figure chère à son cœur, celle du candide, de l’innocent et qu’elle a déjà utilisé et utilisera encore avec les personnages de Warlock, Longshot, Number 9 ou Ahura.
Cela-lui permet d’apporter une certaine fraîcheur dans un univers héroïque devenant alors plus sombre tout en apportant une perspective, un regard différent sur les actions des protagonistes et en questionnant les conséquences de leurs agissements tant nos héros sont souvent aveugles au « monde réel » qui les entourent, tout occupés qu’ils sont à friter le vilain du mois et à résoudre leurs peines de cœur.

On peut aussi noter que l’épisode est moins verbeux que le précédent, ce qui est agréable et permet de donner plus de punch à cette confrontation.
Tout au plus peut-on critiquer l’histoire du chat développé en parallèle et qui surligne de manière un peu trop appuyé le parcours de Dents de Sabre.

Sabrecat
©Marvel Comics

Graphiquement par contre, c’est bien en-dessous de la performance de Barry Windsor Smith sur l’épisode 236.
Sal Buscema reste malgré tout un artisan honnête et même si souvent ses prestations ne sont pas transcendantes, elle n’en sont pas désagréable pour autant.
Par contre, son association avec le très stylisé Leialoha ne fonctionne pas vraiment puisque le dessinateur-encreur fait parti de ces artistes à très forte identité graphique et, à l’instart d’un Kevin Nowlan ou d’un Klaus Janson, dont le style vient parfois recouvrir complètement celui de son partenaire.
Du coup, on alterne entre des cases typiques du cadet Buscema et d’autres typiques de Leialoha.
Autant dire que ça gâche quelque peu le plaisir des yeux même si le résultat n’est pas honteux non plus.

Reste un épisode qui plante des choses intéressantes, qui permet à la scénariste de donner un peu d’épaisseur à un personnage qui en manquait cruellement pour l’instant et de ne pas encore se confronter directement à Daredevil mais de l’appréhender par le prisme de Dents de Sabre.

DDSabretooth
©Marvel Comics

 

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