THÉÂTRE : Le déclin d’hier à aujourd’hui

Affiche de Rome, crédit : Marjorie Guindon et Marie Tourigny

Depuis le début de la pandémie, Brigitte Haentjens, comme la majorité de ses collègues d’ailleurs, n’avait pas entrepris un projet à grand déploiment comme Rome, offert bientôt à l’Usine C. Mais elle y songeait et y travaillait avec son complice Jean-Marc Dalpé depuis un bon moment. La crise leur aura au moins permis de prendre le temps de mettre en chantier la traduction, l’adaptation et l’idéation du spectacle de plus de sept heures des cinq pièces romaines de Shakespeare.

Bien sûr, il y avait eu L’opéra de Quat’sous et Richard III au cours des dernières années pour la metteuse en scène, mais 29 personnes sur scène, dont trois musiciens, et autant sinon plus de concepteurs dans les coulisses, c’est du très peu, sinon du jamais vu à Montréal. Au diapason des thématiques des pièces de Shakespeare, peut on dire, qui parlent aussi bien du monde d’aujourd’hui : politique, démocratie, corruption, violence et déchéance.

Démesure quand tu nous tiens. Au début de ce périple théâtral, on parlait d’un spectacle de six heures en raison du texte de Jean-Marc Dalpé, puis est apparue la nécessité de faire des pauses pour le public.

Brigitte Haentjens, photo: Mathieu Rivard

 » Rome c’est fou, c’est complètement fou, je dois le dire, confie Brigitte Haentjens quelques jours avant la première. Tout prend de telles proportions. Lors des lectures, on ne savait pas combien de temps durerait le spectacle. On ne le sait jamais, en fait.  »

Rome –  Le viol de LucrèceCoriolanJules CésarAntoine et Cléopâtre et Titus Andronicus – c’est nous, c’est l’Amérique, c’est le monde. Le déclin inévitable de toute civilisation. Rome c’est quelques réponses qui nous feront peut-être comprendre un comment nous en sommes arrivés là, d’hier à aujourd’hui.

 » C’est exactement l’époque à laquelle on se trouve, croit-elle. Aujourd’hui, on pourrait dire que Titus Andronicus c’est très proche de nous. Cette histoire se passe à côté de chez nous. Je ne suis pas un curé et je n’ai pas de boule de cristal non plus, mais les questions que posait Shakespeare nous rejoignent encore. »

Dans Titus Andronicus, cette « tragédie de la vengeance », le général imaginaire de Shakespeare se nourrit de la haine pour justifier sa cruauté et entraîner une suite d’événements horrifiques qui en font l’un des textes les plus sanglants du barde anglais. La dramaturgie, avec Jean-Marc Dalpé, aura nécessité trois ans de travail avant même le début des répétitions.

 » Comme toujours et comme Shakespeare aussi, Jean-Marc navigue dans divers niveaux de langue pour en arriver à une réécriture et non pas une traduction. C’est en québécois parfois soutenu, parfois de la rue. Ce n’est pas naturaliste. »

La metteuse en scène décrit une approche davantage brechtienne que stanislavskienne. Pour ce faire, elle a réuni sa famille, élargie tout de même, pour s’assurer de bien réaliser ce marathon théâtral d’envergure dans les temps. Mélanie Dumont (dramaturgie),  Anick La Bissonnière  (scénographie) et Bernard Falaise (son et musique) sont parmi les habitué.es qu’elle retrouve dans Rome.

Sylvie Drapeau et Sébastien Ricard dasns le Richard III du duo Dalpé-Haentjens

La grande manitou travaille également avec des interprètes de confiance comme Sylvie Drapeau, Marc Béland et Sébastien Ricard, entre autres, qui étaient également de sa mise en scène de Richard III présenté au TNM en 2015. Ils et elles ne sont pas seul.es évidemment.

Pendant les répétitions, il était fascinant de lire Brigitte Haentjens rendre hommage à tous et toutes sur les réseaux sociaux, ancien.nes comme nouveaux et nouvelles collaborateurs et collaboratrices.

 » Curieusement, dans ce genre de projet, le moindre rôle est important, dit la metteuse en scène. Dans Coriolan, il y a eu beaucoup de travail à faire avec les citoyens qui bougent sur scène. Même s’ils ne disent pas un seul mot, si on ne le travaille pas, l’acteur qui fait Coriolan peut se casser la gueule. C’est le défi, tout contribue au tout. »

Répétitions différentes

Ce spectacle exigeant a nécessité une gymnastique différente en répétitions. L’équipe y est allée dans le temps et dans l’ordre des pièces.

« C’est spécial, confie Brigitte Haentjens. Il fallait tout avancer en parallèle. Parfois, il m’arrivait d’oublier des trucs. On en était à Antoine et Cléopâtre et j’oubliais ce qui était arrivé dans Jules César. Au début, on pouvait passer quatre semaines sur une pièce, puis avec le temps, trois et deux semaines, avant de passer à la prochaine. »

La metteuse en scène aime d’ailleurs passer beaucoup de temps en répétition. C’est là où elle se sent le plus à son aise pour explorer et expérimenter. Mais cette fois, tout devait être planifié quotidiennement à l’heure près, et ce, dès le tout début.

« Nous n’avions pas le choix avec les horaires de chacun et chacune puisque plusieurs font de la télé et du cinéma. Nous n’avions aucune marge de manœuvre et nous devions nous en tenir à un horaire de travail fixe. Mais j’ai absorbé tout ça sans que ça ne me paraisse trop contraignant. Il faut avoir du plaisir malgré tout. « 

Au contraire des personnages shakespeariens, sans doute, dont le destin est presque toujours marqué par la souffrance et le sang.

« Ce n’est pas un spectacle aride. Il y a des moments drôles quand même », conclut en riant Brigitte Haentjens.


Le spectacle Rome est présenté à l’Usine C du 5 au 23 avril et les 5 et 6 mai au Centre national des arts à Ottawa.