LITTÉRATURE : Vie et survie au Nutshimit

Auteure de récits, de romans, de recueils de poésie et d’un conte, Laure Morali est aussi connue comme une alliée non seulement, mais aussi fidèle très active de la nation innue. Elle a dirigé, parfois en tandem avec des pairs, des anthologies qui mettent l’accent sur cette réalité culturelle singulière et tentent aussi des rapprochements entre occupants récents et de plus ancienne origine du territoire du Québec.

Laure Morali a vécu une expérience des plus singulières, de celle qui marque quelqu’un pour la vie. Elle a su suffisamment gagner la confiance d’un Innu d’expérience pour qu’il l’amène avec lui et l’initie à l’arrière-pays, le Nutshimit. Quand on pense que toutes ces connaissances auxquelles elle a été initiée, tout ce savoir dont elle a pu constater l’étendue, sont peut-être en danger d’être perdus irrémédiablement, on mesure toute la valeur de cette équipée.

Dès qu’on ouvre le livre et qu’on s’aventure dans les premières pages, on constate que ça n’est pas allé de soi. On y voit une jeune femme progresser vers un pays dont elle ne sait rien, en pleine froidure, peu encouragée à rester et à s’installer au début. Mais elle a la tête tournée vers le nord, pour on ne sait quelle raison et, mue par on ne sait quelle obstination, elle va s’enfoncer de plus en plus dans cette Côte du nord, un jour injustement appelée, par des gens qui se demandaient comment y survivre sans doute, terre de Caïn. Elle ne le sait pas alors, mais elle va à la rencontre de ce qui va l’habiter pour longtemps.

Certes, on sait aujourd’hui, recueils de poésie et projets de livres aidant, combien cette femme a trouvé œuvre utile cet amour de la vie au sein de cette communauté. Combien elle a su comprendre et marcher, émerveillée, dans ce monde nouveau pour elle, même si on se rend bien compte que cela ne se fit pas sans obstacles.

Le premier contact fut un peu abrupt, mais elle va savoir se rendre utile et prouver la valeur de ce qui va devenir un engagement profond à vivre à Ekuanitshit, à écouter les leçons de vie qu’elle recevra de ses expériences et de ses amitiés et à veiller à leur diffusion. Ce qu’elle a pu semer en ces lieux résonne encore aujourd’hui, alors que l’anthologie de poésie des enfants innus, dont elle est l’une des responsables, se décline maintenant en des expositions présentées par le Festival international de la littérature, cet automne.

Le coeur du livre est habité par ce périple, d’octobre à décembre 1998 (pardon! d’uashtessiu-pishimu à pishimuss!) dans les terres qui ont pour nom Nutshimit. C’est le père de ses amies Penassin et Nuenau, Shimun qui l’y amène. C’est là un privilège dont peu de Blancs ont pu bénéficier, à notre époque moderne. En parfait contraste avec ces temps inquiets et frileux que nous vivons, cette aventure dans le pays profond en est une de dépaysement, que nous vivons avec elle et Shimun, par procuration.

Nous sommes pourtant dans notre Québec, dans notre arrière-pays, dans ce lieu que nous habitons et ne connaissons pas aussi bien, c’est assez évident, que notre guide. C’est tout de même un environnement qui ne peut nous être totalement étranger. Le décor est certes familier mais y évoluer comme le font ces explorateurs, y vivre aussi complètement, ce n’est pas chose commune! L’émerveillement que peut ressentir la narratrice, nous le vivons avec elle. Nous sommes invités à nous soumettre à un temps et à vivre en des lieux qui n’ont pas de commune mesure avec ce que nous connaissons. Et pourtant, nous sommes implantés en ces terres, voisins avec ceux qui ont un meilleur souvenir que nous, plus étendu surtout, de ce qui a été vie et survie.

Ce livre, on le sent parfois, est composé de textes écrits à des moments différents dans la vie de l’écrivaine. Il y a quelque chose du récit d’apprentissage dans les premières parties et du retour nostalgique de qui a vécu dans la dernière. En celle-ci, alors que Shimun est mort depuis quelque temps déjà et que la narratrice retourne en ce pays où elle a vécu l’extraordinaire, on entend bien que des années ont passé et qu’elles ont laissé leur lot d’expériences et de maturité. Cela se sent dans le ton, l’écriture.

Ou bien alors est-ce que le souvenir, la reconstitution du passé est justement affaire d’écriture et de littérature ? Que plus d’efforts sont nécessaires dans le fait de faire revivre, reconstituer, rebâtir, si cela est possible, ce qui fut. Comme si l’âge de la nostalgie et des temps envolés menait à quelque chose de plus poignant. La remémoration, le deuil lestent l’écriture alors que l’expérience de moments magiques ne peut s’écrire que dans la retenue, le presque silence, dans une description réservée qui ne vient pas troubler la narration de ce vécu mémorable. Comme si cela devait s’envoler quand trop bien cerné…

En bref, voilà un livre qui nous dit peut-être comment réussir à entrer dans un monde qui jouxte le nôtre et que nous connaissons mal. Pour nous, à le lire, on s’imagine cogner timidement à une porte qui s’entrouvre…


Laure Morali

En suivant Shimun

Éditions du Boréal, 2021

184 pages