L’enfance des inégalités.
Entretien avec Bernard Lahire par Nadia Taïbi
« […] Pour celles et ceux qui cumulent les « handicaps » et les manques de ressources,
c’est toute la vie qui se restreint. Le temps de vie qui se raccourcit,
l’espace qui se réduit, le temps de repos ou de loisirs qui s’amenuise,
le confort qui diminue, l’horizon mental et sensible qui se referme,
et finalement la maîtrise du monde et d’autrui qui s’affaiblit et disparaît. ».
Bernard Lahire, Enfances de Classes,
De l’inégalité parmi les enfants ? p. 1169.
Sociologue, Bernard Lahire est professeur de sociologie à l’École normale supérieure de Lyon, directeur de recherche au CNRS et membre de l’équipe Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations du Centre Max Weber (CNRS). Nous revenons dans cet échange sur l’ouvrage publié en 2019 aux éditions du Seuil : Enfances de Classe. De l’inégalité parmi les enfants. Cette recherche a impliqué 17 sociologues et résulte d’une enquête de terrain menée durant les années 2015-2016 et 2016-2017 auprès de 35 enfants âgés de 5 à 6 ans vivant dans différentes villes de France et issus de différents espaces sociaux (classes et fractions de classes sociales). Il en ressort un constat saisissant : « ces enfants, qui sont tous en grande section à l’école maternelle, au même moment, dans la même société, ne vivent pas du tout les mêmes réalités 1 ».
Sens-Dessous : Ma première question porte sur la nature de votre engagement de sociologue. En un mot, penser l’enfance en termes d’inégalités serait aussi penser l’origine des inégalités. Une sociologie qui pense l’inégalité parmi les enfants produit donc les outils critiques pour questionner la source même des inégalités sociales. Pourriez- vous revenir sur cette grande idée ?
[…]
Notes et liens
1. Enfances de Classes, De L’inégalité parmi les enfants, Seuil, Paris, 2019 p. 13.
2. Notamment dans La honte, Gallimard, 1997.
3. « Les enfants ne sont jamais passifs, mais ils sont particulièrement dépendants des adultes avec qui ils sont liés et qui structurent leurs champs d’actions et de réactions depuis leur naissance » Enfances de Classe, op.cit. p. 23.
4. « Ashan a 5 ans et quatre mois à la rentrée scolaire 2015, au moment où commencent les entretiens, et c’est déjà sa quatrième année de scolarité à l’école maternelle, de la toute petite section à la grande section. Sa mère, Kalyani, 41 ans, est originaire du Sri Lanka. […] Après une période d’errance, Ashan et sa mère habitent à Lille dans un foyer pour sans-abri : une tour de huit étages dans laquelle ils n’ont comme espace privé que deux petites chambres ». Ibid. p. 147.
5. Ibid. p. 38.
6. Ibid. p. 42. Jean-Claude Chamboredon, « La sociologie comme théorie des cultures de classe », Revue européenne des sciences sociales, n° 103,1996 p. 116.
7. Ibid.p. 9. Stéphanie Chaillou, Le Bruit du monde, Lausanne, Noir sur Blanc, coll. « Notabilia », 2018, p. 163-164.
8. Ibid. p. 49.
9. Faire des 1 000 premiers jours de l’enfant une priorité de l’action publique | Élysée (elysee.fr).
10. Ibid. p. 1176.
11. « Libertad et sa famille sont des Roms de Roumanie arrivés en France en 2007. Ils viennent d’une région frontalière de la Hongrie et parlent hongrois. Libertad a 5 ans et sept mois à son entrée en grande section de maternelle p. 101. »
12. Ibid. p. 118.
13. 1995, Seuil. Éditée aux éditions Poche en 2016.
14. Soutenue en 1990. Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’« échec scolaire » à l’école primaire, republiée aux Presses universitaires de Lyon, 2021.
15. « L’épanouissement culturel de Lucie » in Enfances de Classe, op.cit. p. 655.
16. Ibid. p. 792.
17. La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Éditions de Minuit, 1989.
18. En février 2006, à Lyon, le futur candidat déclarait ainsi à des fonctionnaires : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur “La Princesse de Clèves”. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de “La Princesse de Clèves”… Imaginez un peu le spectacle ! » Nicolas Sarkozy kärcherise encore La Princesse de Clèves (nouvelobs.com).
19. Des « héritiers » en échec scolaire, La Dispute, coll. L’enjeu scolaire, Paris, 2010. « Sans remettre en question les statistiques qui montrent de forts écarts globaux entre la réussite scolaire des élèves selon que les parents sont diplômés ou non, l’auteure défend la thèse selon laquelle la reproduction sociale est un processus qui n’a rien d’automatique, et qu’il est possible de rendre compte de l’existence d’élèves avec parents non diplômés en forte réussite scolaire, ou au contraire d’élèves « méshéritiers », avec parents diplômés, en grande difficulté scolaire sans la réduire à une question de présence ou absence de « dons » ou « mérites » personnels ». Gaële Henri-Panabière, Des « héritiers » en échec scolaire, 2011, La Dispute, Paris, 189 pages. Compte rendu de Maria Candea, Sorbonne Nouvelle – Paris, dans Langage et société, 2015/2 (n° 152), pages 143 à 145.
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