Crise (1946) Ingmar Bergman

Bergman, Opus 1

Crise

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Kris

Année : 1946

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Inga Landgré, Stig Olin, Marianne Löfgren

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Le premier film de Bergman et déjà un très bon opus. Principale qualité, ses dialogues, qui ont la puissance évocatrice des répliques de théâtre où beaucoup de choses sont dites en peu de temps. Un maximum d’informations est concentré dès les premières répliques qui doivent personnaliser parfaitement les personnages, pour exprimer leur nature, leurs ambitions, aspirations et leur problématique. Rien n’est dit directement, tout est fait dans la suggestion voire le symbole ; si bien qu’une scène de vie quotidienne en révèle beaucoup plus qu’il n’y semble au premier coup d’œil. Bien sûr, on ne le comprend que plus tard.

On retrouve certains personnages traditionnels des pièces de théâtre russes de Tchekhov. Des personnages essentiellement de la petite bourgeoisie, dans le cadre de la famille ou des amis proches.

Ingeborg est une femme célibataire dans une ville perdue de la province suédoise. Elle donne des cours de piano pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa charmante fille tout juste nubile. Une chambre est louée à un homme, discret et humble, amoureux de sa fille Nelly.

Mais Nelly n’est pas la fille naturelle d’Ingeborg. On l’apprend quand sa véritable mère, Jenny, citadine directrice d’un institut de beauté, vient la chercher pour qu’elle travaille à ses côtés. Seulement Ingeborg considère Nelly comme sa véritable fille. Elle est malade, ne lui a pas dit et voudrait l’avoir auprès d’elle. Elles se mettent d’accord pour laisser le choix à leur fille, qui sait depuis le début la vérité. Elle voit là surtout l’occasion de sortir de ce trou perdu et accepte de partir avec sa mère qu’elle connaît à peine.

Entre-temps, elle a fait connaissance de Jack, homme, fantasque, hâbleur, comédien sans le sou, séducteur, manipulateur, passablement suicidaire… Elle se laisse séduire, et se rendra vite compte que sa mère Jenny l’entretien, rendant toute relation avec lui impossible.

On laisse partir Nelly avec sa mère, et on reste avec Ingeborg qui vit très mal cette séparation. Elle décide alors au bout de quelques mois de venir saluer sa fille à la capitale. C’est Jenny qui l’accueille : tout laisse penser qu’elles sont toutes les deux heureuses. Ingeborg embrasse sa fille le cœur serré et retourne dans sa province…

On reste cette fois avec Nelly, Jenny, et Jack, qui apparaît un soir à l’institut que Nelly s’apprêtait à quitter. Il semble bouleversé, lui dit qu’il ne pourra jamais aimer personne parce qu’il est égoïste…, pourtant, il se sert de cette situation pour abuser de la pauvre petite Nelly… Apparaît alors la mère…, et là, C’EST LE DRAME. Scène de dénouement, on comprend tout des relations curieuses de ce “couple”. Jack s’enfuit et meurt tragiquement.

Épilogue : Nelly retrouve sa mère Ingeborg. On se serre, on s’embrasse. Magnifiques instants d’amour entre une mère et sa fille. Nelly pourra peut-être désormais accepter les avances de Ulf, le charmant garçon, discret et sans problème que sa mère loge depuis longtemps en espérant que sa fille tombe amoureuse de lui.

Ça peut paraître un peu glauque, le genre de drame intimiste qui a fait la réputation du Suédois. Eh bien, si c’est bien un drame intimiste, ça n’a rien de glauque. Bergman prévient même, un peu à l’image de Tchekhov qui dira jusqu’à la fin que ses pièces étaient des comédies, que ce n’est pas une grande histoire et que « ça pourrait même être une comédie ». Il y a du vrai un peu là-dedans. Il ne faut pas nier que l’histoire soit plutôt tragique (le genre de tragédies courantes qu’on trouve dans toutes les familles), mais il y a beaucoup de légèreté, d’insouciance ou de pure bonté chez les personnages. Les méchants et leurs mauvaises intentions sont absents, et si Jenny peut paraître antipathique, ou au moins un peu cruche et parfaitement égoïste au début, elle se révélera au contraire une femme pleine d’amour pour sa fille. Elle n’a jamais réussi à faire sa vie avec un homme, se faisant à chaque fois jeter, donc elle voudrait être avec sa fille et la gâter un peu. Même chose pour Jack, qui a tout au début du goujat manipulateur, bon à séduire les filles pour mieux les jeter par la suite. Il est ainsi, mais il en est conscient et s’en excuse même par la suite. Jamais antipathique le bonhomme, parce qu’il ne veut faire de mal à personne ; il profite de l’argent de Jenny, mais elle aussi y trouve son compte ; il cherche juste à vivre, à prendre du plaisir malgré ses blessures, à cacher ses larmes par des rires et une joie excessive (les Suédois ne sont pas des Slaves, mais la Russie n’est pas loin, du moins dans certaines œuvres de Bergman comme ici, et là ça correspond tout à fait à l’image qu’on se fait d’un Slave). On le voit d’ailleurs mieux quand Jack insiste pour accompagner Ingeborg à la gare : on pourrait croire que toute cette fausse gentillesse cache quelque chose, alors qu’en réalité, si elle paraissait fabriquée c’est qu’il en rajoutait et cachait ses tourments derrière ces excès. Ingeborg comprend qu’il n’est pas là pour lui poser des problèmes : il avait juste besoin de compagnie, de partager quelques moments… Et au final, toutes ces contradictions, tous ces troubles, en font un personnage fascinant et attachant (même s’il faut s’en méfier).

Excellent premier film sur l’amour d’une mère et sa fille. Ce n’est pas si courant comme thème au cinéma…


Crise, Ingmar Bergman 1946 Kris | Svensk Filmindustri (SF)


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