Don’t Let the Sun Go Down on Me, G. Michael & E. John

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Les pilosités électives

On apprend dans le dernier numéro de Sciences et Vie que les femmes européennes s’estiment trop poilues et que c’est bien la faute de leurs aïeules d’avoir toujours privilégié les mâles velus aux petits Poucet glabres et polis. Or, voilà 25 ans que les jeunes filles se plaignent ainsi, et c’est certain, il faudrait plus d’une génération pour voir les imberbes dominer la terre. Et encore, rien n’est moins sûr, tout n’est qu’artifice.

Artifice, et subterfuge.

Les bifurcations capillaires évoluent au fil de la mode, et la mode est souvent trop éphémère pour que les jeunes filles, un jour, se peignent de ne plus avoir de cheveux sur le bas caillou… La mode, c’est comme l’amour, ça va, ça vient : ce qui était un jour au poil se pointe sans prévenir sous le fil du rasoir.

Faisons table rase du passé.

Si vous n’avez pas d’exemple en tête, permettez que je vous cède mon chapeau et vous relate veluement l’histoire d’une révolution qui, si elle n’était pas musicale, était tout du moins, et de pied en cap, hilarante.

C’était le début de l’année 91, et alors que je me demandais pourquoi l’émission de Michel Drucker Star 90 ne devenait pas Star 91, un tube commençait à monter dans les charts comme aspiré par d’étranges capillarités tubulaires : Don’t Let the Sun Go Down on Me.

La chanson interprétée par Elton John et George Michael tournait en boucle d’or à la radio, mais ce qui faisait alors jaser, c’était moins la réunion de ces deux garçons joyeux et polis, que le scandale capillaire auquel s’était livré le sex symbol des années 80, George Michael. (Elton aurait bien voulu mais cela fait l’objet d’un billet plus ancien que je partagerai à l’occasion, intitulé : Les capilosités d’Elton.)

C’est que l’ancien chanteur de Wham ! cherchait à tirer son épingle du cheveu dans cette nouvelle décennie fort concurrentielle en matière capillaire. Et pour ce faire George avait lancé tout une campagne publicitaire visant à le faire entrer dans ce que certains charretiers nomment « l’âge de la maturité ». Le duo, il l’avait déjà fait, il fallait donc proposer du neuf, quelque chose de plus sulfureux, de plus ébouriffant, de moins… rasoir.

Les années 80 sur le plan capillaire sont à ranger dans l’ère des trente glorieuses. L’ère des Beatles, l’ère du poil long et dru, l’ère de la prospérité et de la contestation. Au cinéma, cette ère s’est tragiquement achevée en 1992 quand un jeune cinéaste qui fera la mode des années 2000, David Fincher, impose le crâne rasé à Sigourney Weaver.

Mais le premier à avoir fait vaciller le cheveu, c’est bien lui, George Michael, en cette funeste année 91, qui déclenche les hostilités.

L’ironie, c’est que l’intention (marquetée) de George Michael, était d’abord de s’enlaidir, de proposer un look plus neutre, pour faire oublier ses splendeurs capillaires passées.

Si Louise Brooks avait été un symbole de l’émancipation de la femme, George Michael avait tenté le contraire en cherchant à janséniser son apparence. Mais en voulant imiter la tonsure de Laspalès, il a remis au goût du jour ce qui apparaissait alors comme une étrangeté antique : la coupe à la romaine. Coupe, non seulement rendue populaire, mais théorisée par le célèbre Archimède dans son ouvrage De la capillarité en six cils et au-delà. Gageons que ce sont les gènes de ses grecques aïeules qui ont parlé ici pour lui (ces mêmes aïeules responsables d’un article plein de pilosité dans mon S&V du mois dernier).

Suivront quelques dates marquantes qui feront du poil ras, pour les quelques années à venir, la norme.

Notons par exemple que plus Elton John se voyait sublimé d’une toison nouvelle pour bientôt oser quitter de plus en plus son divin cap, plus la mode marchait, ou poussait, dans l’autre sens. N’est pas George Michael qui veut. Mais c’est un peu ce qui arrive quand le chou fait bon ménage avec la chèvre…

Dès l’année suivante, un docteur des Urgences est intronisé au rang de nouveau sex symbol masculin : l’autre George, George Clooney, adoptant lui aussi la coupe à la romaine.

L’homme des années 90 se doit d’être garni de la touffe, mais pas trop, plutôt rasé d’hier, mais pas trop.

Pour les femmes, la bifurcation s’était amorcée tragiquement avec la Lambada : si encore dans les années 80 la mode était au minou taillé au ras du maillot, la Lambada a lancé les coupes dites à la brésilienne. La mode parfois suit des élans, et quand on coupe « ça », on finit par tout couper. Les jeunes filles ne le savent sans doute pas, mais leurs mères sont allées jusqu’au ticket de métro (les hommes auront au même moment leur période “bouc”). Ce sont elles, ces jeunes filles, qui la décennie suivante ont décidé de laisser le soleil les prendre toutes nues, et donc, comme pour ces femmes évoquées dans Sciences & Vie, de rêver à une peau parfaitement glabre (l’héroïne de Tigre et Dragon, Zhang Zizi, en fer de lance de toute une génération glabre et polie).

Un dernier scandale devait faire basculer pour longtemps l’ère pubienne dans un monde aseptisé, sans âge, sans vie, sans sexualité et sans maladie : celui de la chanteuse Mallaury Nataf exposant son minou velu (brésilien, lambadadesque) aux yeux gauleguenards de millions de petits téléspectateurs du Club Dorothée.

La coupe était pleine. Il fallait faire la guerre aux poilus. George avait lancé la mode. Une mode qu’on n’arrêta plus.

Bientôt, c’était Justin Bieber qui devait apparaître. Mais cela est une autre histoire.

Long poil à toi, George.