« Triste d’abandonner le plus beau métier du monde » (B. Johnson)

Le 18 juin dernier des dizaines de milliers de travailleurs manifestaient dans les rues de Londres à l’appel du Trade Union Congress (TUC) contre l’effondrement de leurs salaires sous le coup d’une inflation qui atteindra bientôt les 11%. Selon nos camarades britanniques du WIN, c’est un nouveau climat social qui régit la Grande-Bretagne. Une vague de protestations a commencé, avec des grèves des cheminots, du personnel au sol des aéroports, des communicants, des infirmières, des médecins généralistes, voire des avocats…

C’est alors que les ministres du gouvernement de Boris Johnson qui avaient toléré ses frasques et ses provocations jusqu’aux sondages en berne et aux deux partielles perdues en juin, et à la multiplication des mobilisations, ont décidé qu’il devenait une cause sérieuse de défaite.. S’engagea alors un processus de démissions ministérielles en chaine qui devait aboutir au départ du premier ministre lui-même. Et cela malgré sa « tristesse d’abandonner le plus beau métier du monde », comme il le confiait au Figaro du 7 juillet.

Boris Johnson pourra cultiver de nombreux regrets. Pas seulement ceux des bamboulas au 10 Downing street au cœur de la pandémie. Dans un registre moins décoiffé, il n’aura surtout pas réussi à dépasser Margaret Thatcher dans sa politique libérale anti ouvrière. La politique fiscale de Johnson, contrainte par la crise sanitaire, est loin de faire l’unanimité des ultra-libéraux du Parti conservateur, comme le montre la dizaine de candidats à sa succession qui ont tous pour ambition de réduire toujours plus les impôts, malgré les besoins de financement de la santé publique et de la protection sociale.

Un autre de ses regrets sera de n’avoir pas finalisé la législation permettant l’utilisation massive de travailleurs intérimaires pour briser les grèves – autre chose que même Thatcher n’avait jamais osé. Dans un article du 3 juillet publié sur le site du WIN, R. Silverman analyse les prémisses de l’affrontement qui vient : « Johnson préparait consciemment une confrontation totale à quoi l’on sent bien qu’une grève générale est dans l’air. Où les conservateurs trouveront-ils une telle armée de briseurs de grève ? Où pourraient-ils recruter dans un bassin de professionnels, de la classe moyenne et des jeunes. Aujourd’hui, les « classes moyennes » – couches autrefois privilégiées, mais aujourd’hui paupérisées par les monopoles ou poussées dans l’opposition – comptent désormais parmi les grévistes les plus militants. Et la jeunesse est majoritairement en rébellion ».

(…) « Les attaques de la classe dirigeante concentrent la résistance. Les salaires réels moyens chutent à leur rythme le plus rapide depuis plus de 20 ans : ce qui équivaut à une perte de 26 £ par semaine pour le travailleur moyen.

Avant même la nouvelle crise de « stagflation » et la crise du coût de la vie, on avait calculé que le revenu disponible moyen des ménages avait subi une chute catastrophique de 42 % au cours des deux décennies suivant le krach de 2008. Le déclin de la production britannique a entraîné une perte par habitant de 6 700 £. Le Brexit a déjà coûté une perte moyenne annuelle de 870 £ pour le budget d’une famille moyenne, plus une autre baisse de revenus de 472 £ par an en raison d’une perte de compétitivité. Les exportations vers l’UE auront été réduites de 38 % d’ici 2030, plus une nouvelle baisse de 16 % en raison du renoncement à une intégration plus poussée. Depuis le référendum, le PIB par habitant a chuté de 4 %, tandis que celui de l’UE a augmenté de 15 %.

Un nombre record de travailleurs employés réclament le crédit universel et utilisent les banques alimentaires. À Londres, la baisse de salaire équivaut à 750 £ par an. La rémunération moyenne du secteur public augmente de 1,5 %, tandis que l’inflation devrait bientôt atteindre 11 %.

Au temps où il n’avait pas encore de regrets, Johnson se vantait d’une « économie à hauts salaires et à haute productivité ». Mais avec une inflation à deux chiffres, ses amis n’ont pas tardé à le mettre en garde contre une « spirale inflationniste salaires-prix ». La livre se déprécie rapidement face au dollar et à l’euro, de 12 % jusqu’à présent. La Grande-Bretagne a la croissance prévue la plus faible – zéro pour cent – ​​de toutes les grandes économies du monde, à l’exception de la Russie.

« MAIS… il y a des offres d’emploi record (1,3 million). En 2020, il y avait quatre demandes par offre d’emploi, maintenant, « au mieux », une seule. Et la combinaison de l’inflation galopante et de la pénurie de main-d’œuvre ne signifie qu’une chose :  les grèves ! C’est pourquoi nous entrons dans une nouvelle ère de lutte des classes en Grande-Bretagne. »