Voyage sur les hauteurs de l’Argentine avec des experts de l’hyperbarie

Mener une expédition extrême à plus de 12’000 kilomètres de chez soi, plonger dans un lac de très haute altitude à plus de 6’300 mètres et y tourner un film, voilà sans doute la définition improbable que le réalisateur Sébastien Devrient propose au terme «Multitasking» (ou multitâches en français). Dans son nouveau documentaire Une Goutte d’Eau sur un Volcan, en tournée dans toute la Suisse romande, le réalisateur veveysan et son compère marseillais Frédéric Swierczynski ont tenté de plonger dans la lagune la plus élevée au monde, située sur le Mont glacier d’Ojos del Salado, à la lisière entre l’Argentine et le Chili.

Trois semaines d’expédition pour trente minutes – seulement – de plongée. L’aventure semble irréelle. Sébastien Devrient et Frédéric Swierczynski ont choisi de se rendre sur les bords de la lagune la plus élevée au monde avec pour seul objectif d’y découvrir les profondeurs. L’expédition résulte à la fois d’une tentative d’exploit sportif à sensation, mais véhicule aussi un objectif de nature scientifique. Des minéraux recueillis par les deux aventuriers sur place seront auscultés par des biologistes, dans l’espoir de mieux comprendre le début de la vie sur terre.

Après plusieurs jours passés sur les parois volcaniques, presque martiennes, du Mont Ojos del Salado, dans une illusion de solitude totale où la vie y apparait inexistante tout autour, Sébastien et Frédéric parviennent à faire la découverte d’un attroupement de crevettes-fées caché sous un caillou disposé à deux mètres et demi de profondeur dans une lagune verte, qui plus est à 5’300 mètres d’altitude. La découverte est inouïe autant qu’inattendue. « La solitude à ces latitudes n’était donc qu’une illusion, confie Sébastien Devrient lors de la présentation du film à Pully. Ces créatures sont celles de la préhistoire. Comprendre comment elles survivent dans cet environnement est vital. »

« Ces créatures sont celles de la préhistoire. Comprendre comment elles survivent dans cet environnement est vital »

Sébastien Devrient, réalisateur

Ces crustacés semblent d’ailleurs vivre dans des conditions particulièrement difficiles. Certaines survivent très bien dans le désert, en Mongolie par exemple. Ou encore en Iran, où certaines de ces espèces ont été observées dans le désert très inhospitalier du Lut, à quelques kilomètres à l’est de la ville de Kerman. Concrètement, elles forment une famille de crustacés d’eau douce, dont la plupart trouve la vie dans des mares printanières – temporaires et saisonnières. Ce qui est le cas de la plupart des Lagunas Verdes qui apparaissent sur les reliefs de l’Ojos del Salado qui abrite un volcan. Les glaces qui s’y forment lors d’hivers froids fondent de façon accélérée sur les parois chaudes, ce qui favorise la création de lagunes à très haute altitude. C’est dans ces conditions particulières que naissent ces petits crustacés dont la durée de vie ne dépasse généralement pas quatre mois.  

« On n’a pas cherché la vie, et on l’a trouvée, assure Frédéric Swierczynski, contacté par téléphone. Comprendre le sens de nos découvertes, c’est être ouvert à la vie et ouvert à soi-même. Pas besoin, dans ces circonstances, d’être un chasseur-tueur. On peut aussi faire les choses en toute discrétion et simplicité et parvenir à rendre une expédition aussi extrême utile au plus grand monde. »

Une préparation exigeante

Sébastien Devrient, par-delà la gestion de Vertiges Prod, son entreprise de production, est aussi un guide de montagne expérimenté. À son actif: plusieurs expéditions à haute exigence, au Népal, au Pakistan ou encore dans l’Himalaya, à la frontière avec la Chine tibétaine. Adapter son corps aux très hautes altitudes est donc un exercice que le Veveysan connaît plutôt bien. « On en apprend toujours, à chaque montée, parce que le corps réagit de manière toujours différente, explique-t-il. On n’est jamais sûr que tout va bien se passer quand on monte en altitude. En Argentine, je voulais vraiment monter lentement pour que nos corps puissent vraiment bien s’adapter aux conditions. »

© Vertiges Prod

Le duo d’explorateurs a ainsi parcouru la distance à la marche très lentement, avec un maximum de 500 mètres de dénivelé par jour. Cette condition s’est révélée primordiale dès lors que les deux hommes souhaitaient plonger à quelque dix mètres de profondeur. Dans le langage spécifique, cela revient à s’immerger, depuis un environnement hypobare (la montagne), dans un biotope hyperbare (les profondeurs aquatiques). Le passage entre les deux devient dès lors très sensible. « Pour expliquer: il faut savoir que si nous plongeons à ces hauteurs, en respirant du gaz qui est sous pression, on se sent naturellement revivre. On inspire fort et on est galvanisés par tout l’oxygène qu’on reçoit à travers les bouteilles. Mais il faut penser au choc quand on ressort de l’eau. »

Quant au choc hypothermique – un risque plus qu’évident lors d’une plongée dans une eau légèrement inférieure aux zéro degrés –, les deux aventuriers l’ont contenu grâce à des combinaisons néoprènes qui avaient préalablement passé une batterie de tests de résistance et d’efficacité en laboratoire. C’est à la Compagnie Maritime d’Expertises, le COMEX, de Marseille que l’ensemble des propriétés thermiques du matériel de survie avaient été éprouvées.

« Ce genre de virée très exigeante sur le plan physique se démarque clairement de l’ordre de la performance »

Sébastien Devrient, réalisateur

Frédéric Swierczynski est, de façon un peu différente, également habitué à ce genre d’expédition. Considéré comme l’un des meilleurs spéléologues au monde, il dispose d’une expérience notoire dans la préparation de ce type d’immersions profondes. Peu avant de partir au pied de l’Ojos del Salado, le Marseillais est parti s’entraîner deux fois par semaine dans les Calanques, en parcourant l’équivalent de dix kilomètres par séance en fort dénivelé. Son passé d’ancien rugbyman reconverti à la natation lui permet d’ailleurs d’adapter ses entraînements au mieux. « L’engagement dans les séances d’entraînement reste le même, explique-t-il. À cette différence près que là, je ne cours plus derrière des chronos. Je peux me donner le temps de préparer mes expéditions, puis de les réaliser. »

« Ce genre de virée très exigeante sur le plan physique se démarque clairement de l’ordre de la performance », complète Sébastien Devrient. L’idée d’aller plonger dans le lac plus haut du monde était dès lors avant tout un prétexte pour s’immerger dans cette nature singulière sans vouloir donner pour autant une quelconque impression d’exacerber l’exploit strictement sportif de l’expédition. « La performance, ce sont des chiffres. Ici, c’est de l’expérimental sur le corps, les émotions; être émerveillé de voir des choses que peut-être personne n’avait jamais vu auparavant. »

Sébastien Devrient (à gauche) et Frédéric Swierczynski à près de 5’300 mètres d’altitude. © Vertiges Prod

Survivre, plonger… et tourner un film-documentaire

Comprenez: rater la survie – trois semaines de randonnée en totale autonomie en pleine montagne, par des températures et des conditions climatiques extrêmes, et avec des paquetages proches des 50 kilogrammes chacun – aurait eu des conséquences terriblement funestes. Mais par-delà les risques encourus tout au long de leur aventure, Sébastien Devrient et Frédéric Swierczynski n’ont jamais perdu de vue leurs objectifs initiaux: réussir à plonger à très haute altitude dans la province de Catamarca et à en faire un film-documentaire pour laisser des traces et, d’une certaine manière, contribuer à faire avancer la recherche scientifique.

Dès lors, entre les réserves de vivres et le matériel de campement, deux bouteilles d’oxygène, deux combinaisons néoprène complètes, des palmes, des lunettes de plongée, mais aussi un drone, un ordinateur portable, un disque dur et une caméra main, entre autres, ont été transportés à pied jusque sur les parois rocailleuses massives et soufrées, à près de 6’000 mètres d’altitude, du Mont Ojos del Salado. « De toute cette expédition folle, redescendre sans image aurait été un échec personnel, assure Sébastien Devrient. Réussir le film était une préoccupation toute aussi forte que de réussir à survivre dans pareilles circonstances. Vérifier nos prises était devenu une habitude, tout comme vérifier régulièrement si les bouteilles d’oxygène dans le sac étaient bien rangées ou si elles n’avaient pas perdu le gaz qu’elles contenaient. »

« De toute cette expédition folle, redescendre sans image aurait été un échec personnel »

Sébastien Devrient, réalisateur

Leur sac de voyage était même recouvert de courts panneaux solaires, nécessaires pour faire fonctionner l’ensemble de l’appareillage électronique indispensable au tournage – avec une inquiétude constante, la surveillance de la dépense énergétique. « Je réfléchissais sans cesse quel était le moment le plus opportun et le plus propice pour faire voler le drone, pour filmer notre avancée, sauvegarder les rushes sur notre ordinateur et allumer la lumière, nous explique le réalisateur veveysan. Toutes ces choses consomment de l’énergie et nous forcent à utiliser chaque appareil avec la plus grande parcimonie. Ce n’est pas parce que nous utilisons le numérique que nous pouvions filmer tout ce que nous voulions. Dans ces instants, il n’y a pas un moment où vous oubliez le film. » Quitte même à ce que la préoccupation du tournage ne vienne, au final, totalement éclipser les peurs légitimes de cet environnement sauvage.

« Monter si haut en parfaite autonomie, à deux, sans aide extérieure et sans équipe de tournage nous a permis de réellement profiter de cette aventure, rappelle pour sa part Frédéric. On nous demande trop souvent de jouer la survie devant des caméras. Cette fois-ci, nous n’étions pas des acteurs; tout a été réalisé de façon parfaitement fluide. Et cela était dû au fait que nous étions tout seuls. »

Une Goutte d’Eau sur un Volcan (2022), 70 minutes

Une version complémentaire de cet article est disponible à la lecture dans le numéro de novembre du magazine Le Regard Libre. Pour les abonnés, il est aussi consultable en ligne.

Retrouvez toutes les dates de la tournée du film Une Goutte d’Eau sur un Volcan en Suisse romande sur le site internet de Vertiges Prod. Sébastien Devrient et Frédéric Swierczynski termineront leur tour de Suisse le lundi 28 novembre au cinéma Grütli, à 18h30, puis 20h30.

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