12 février 2016 – « Synergie paysanne » et la lutte contre les accaparements fonciers au Bénin

(Table-ronde de présentation du dossier « Les chantiers du syndicalisme en Afrique », Paris, 12 février 2016. Présentation avec Camille Saïah de notre article « Fonder sa légitimité par le plaidoyer ? Synergie paysanne et la lutte contre les accaparements fonciers au Bénin », Revue Tiers-Monde vol 2015/4, n°224, pp.103-120. Voir une analyse détaillée dans Lavigne Delville P. et Saïah C., 2016, Politiques foncières et mobilisations sociales au Bénin. Des organisations de la société civile face au Code domanial et foncier Cahier du Pôle foncier n° 14, Montpellier, Pole Foncier, 60 p.)

Synergie paysanne, seul syndicat paysan béninois, a menée entre 2010 et 2013 pour tenter d’influer la réforme foncière en préparation, et en particulier le projet de Code domanial et foncier, qui selon eux servait les intérêts des investisseurs étrangers et des élites urbaines dans une logique « d’accaparement de terres ». En analysant la façon dont Synergie Paysanne s’est emparée du dossier du Code domanial et foncier, et les différentes stratégies qu’il a mis en œuvre pour construire des argumentaires, et s’imposer dans les arènes d’élaboration du texte, il s’agit d’interroger la capacité des syndicats à peser sur les processus de réforme des politiques, et en particulier d’interroger la forme du plaidoyer, choisie par ce syndicat.

Fondé en 2002 par de jeunes agriculteurs diplômés, ayant des difficultés d’accès à la terre, Synergie paysanne, compte environ 2000 membres. Il s’est mobilisé successivement pour l’agriculture familiale, contre les OGM et les agrocarburants, et sur la politique agricole béninoise. Lors de l’émergence en 2008 de la question des « accaparements fonciers », Synpa est une des premières organisations béninoises à mettre cette problématique sur la place publique. Entre 2010-2013, il a focalisé progressivement sa lutte contre le projet de code.

Depuis sa création, Synpa a mobilisé une diversité de répertoires d’actions (campagnes, conférences de presse, plaidoyers auprès des élus locaux, appui juridique des paysans sans terres), mais depuis 2010, dans sa mobilisation contre le code, il concentre ses efforts sur un mode d’action spécifique : le plaidoyer auprès des autorités et l’argumentation technique.

1 .Un combat inégal, où SYNPA est en situation de faiblesse 

SYNPA défend l’agriculture paysanne et la lutte contre l’accaparement des terres, face à un gouvernement promoteur de l’agriculture d’exportation et des agrocarburants. De plus, SYNPA se situe dans un réseau d’acteurs « de la sécurisation foncière », avec une partie du Ministère de l’agriculture (qui est globalement marginalisé dans ce débat), quelques chercheurs et Ong, qui soutiennent des alternatives au titre foncier, et qui est moins doté en compétences et en moyens que le réseau de ceux qui soutiennent l’immatriculation des terres, auquel il s’oppose. Ce dernier est favorable à la généralisation du titre de propriété privé pour l’ensemble du territoire, et est soutenu par le Millenium Challenge Corporation (agence américaine qui finance le texte), le Ministère de l’Urbanisme, les corporations juridiques (notaires, géomètres, magistrats). Enfin, SYNPA rentre tardivement dans le dossier, à un moment où le texte est déjà en cours de rédaction et où les options sont posées.

Dans un discours altermondialiste, SYNPA dénonce un code au service des investisseurs étrangers, qui remet en cause l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire. Il concentre ses revendications sur les risques les plus forts. Il veut interdire l’achat de terres par les étrangers, fixer à 100 hectares la superficie maximale d’achat pour un individu (au lieu de 1000 proposé dans le projet de Code) et obliger à mettre en valeur les terres en jachère pour lutter contre la spéculation foncière. Il investit plusieurs formes de mobilisation : il lance une pétition qui recueille 5000 signatures, il organise une « alliance pour un code foncier responsable et équitable qui réunit onze ONG et réseaux d’ONG ayant une forte légitimité médiatique et politique). En 2012, il organise un séminaire parlementaire pour présenter ses analyses et revendications aux députés avant l’examen du projet de Code, organise un débat télévisé très offensif la veille du vote. Ces mobilisations influent sur le débat au parlement, au sens où les députés y font référence. Mais, in fine, le Code est voté à l’unanimité. Synpa et l’Alliance ont gagné sur la durée de jachère, mais ont perdu sur leurs deux principales revendications.

Il s’agit donc d’une défaite politique, qui est aussi celle des autres acteurs qui contestaient ce texte. Mais dans cette lutte, SYNPA a acquis une reconnaissance institutionnelle : il a créé une alliance informelle d’intérêts avec une direction du ministère de l’agriculture ; il a tissé des liens avec deux députés de l’opposition ; il a réussi à participer aux travaux en commission parlementaire (au sein desquels la société civile n’a normalement pas accès). Il est invité dans les groupes de travail sur le foncier.

Sans la mobilisation de l’Alliance, les thèmes de la souveraineté alimentaire, de l’accaparement des terres, des superficies maximales d’achat, la propriété foncière des étrangers, de l’obligation de mise en valeur n’auraient pas fait l’objet de vifs débats à l’Assemblée nationale.

2. Le plaidoyer technique, ressource et risque

Le plaidoyer est ainsi une ressource pour être pris au sérieux, émettre une critique « acceptable », pour un syndicat en construction qui doit bâtir un nouvel espace de défense des intérêts et qui doit créer sa base, dans un contexte difficile de dialogue avec le pouvoir et ds des arènes où la parole paysanne est peu légitime. Mais c’est aussi une stratégie coûteuse : en expertise ; en temps ; en argent. )

De plus, le plaidoyer sur des dossiers techniques induit une spécialisation des rôles, qui risque d’induire une déconnexion des militants et un affaiblissement de la dynamique collective du syndicat. Face à la technicité juridique du code, le plaidoyer tend à augmenter la du travail syndical entre les experts et les militants. SYNPA n’a pas cherché à créer un rapport de force par le nombre et a compté finalement plus sur des alliances avec des ONG de la capitale que sur ses deux mille membres. De plus, la technicité du sujet réduit le champ des revendications. L’argumentaire de Synpa n’a en fait porté que sur 3 des 500 articles du code. Synpa ne cherche pas à démontrer l’inadaptation de la propriété individuelle à la réalité du monde rural, risques de dépossession (garantie de crédit, vente). Les trois points de propositions sont certes importants et cohérents avec sa lutte contre les accaparements, mais ils sont réducteurs par rapport aux questions que pose le code au monde rural.

Ce choix résulte aussi de controverses internes, tant entre les membres de l’Alliance qu’au sein même du syndicat, qui resserrent aussi le champ des revendications : selon la situation foncière des syndiqués, les positions diffèrent sur les règles coutumières et sur le titre individuel de propriété.

L‘Alliance est hétérogène du point de vue de ses positions, les différents membres ont une expertise très inégale sur les questions foncières et ont positions différentes par rapport au titre foncier : pour certains, c’est un outil d’appauvrissement des paysans incitant à brader leurs terres, pour d’autres, une solution aux conflits fonciers.

Alors qu’il avait jusque-là négocié avec des interlocuteurs au sein du ministère de l’Agriculture, son interlocuteur naturel, Synpa s’est confronté sur ce dossier à un processus de réformes piloté par d’autres institutions, soutenu par des intérêts économiques et corporatistes puissants, disposant de moyens financiers conséquents.

Le plaidoyer technique sur le texte légal l’a enfermé dans des cercles où le syndicat était en position de faiblesse, où ses alliés habituels l’étaient eux-mêmes ; il a restreint le champ des stratégies, comme le recours à la rue ou le soutien aux paysans victimes d’accaparements, au risque de détourner les efforts du travail militant de terrain.

La faible efficacité de cette stratégie, dans un contexte certes très inégal, confirme l’importance de porter la critique, pas seulement sur des questions techniques d’administration foncière, mais aussi en amont en termes politiques, de projet de société et de place des ruraux dans la société, de lutte contre les inégalités d’accès à la terre, et de combiner différents types de mobilisation.

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