« Doppelgänger », la nuit lui va si bien

Dans ce cinquième album, Joseph d’Anvers synthétise ses talents et multiplie les avatars d’anti-héros…

Fin novembre 2020, le Nivernais au patronyme de station de métro publiait le clip « Esterel », où il apparaissait en cylindrée américaine dans une ambiance nocturne éclairée au néon, en proie à deux succubes en robes à paillettes prêtes à lui broyer le cœur.

Le titre électro dansant ouvre Doppelgänger, un album aux textes sombres qui s’allient aux beats entraînants dans un univers cohérent, où se glissent tout de même deux ballades épurées (« Les combattants » et « Je viens d’ailleurs »).

L’opus est traversé de thèmes chers à l’auteur, l’amour empêché, la nuit, la jeunesse, mais aussi le manque de repères, et de façon plus neuve, la guerre et le cinéma. L’ancien de la Fémis assume pleinement sa passion du septième art, offrant même une place à des monologues de films en guise d’intermèdes : « Je sais sourire » (Zoé Félix dans Déjà mort), « On est plus forts que ça » (Patrick Dewaere dans Hôtel des Amériques), « Les enfants, les soldats et les fous » (Jean-Pierre Léaud dans La Maman et la Putain). Ces extraits font écho à des humeurs et des ambiances de l’album, jusqu’à parfois appeler une reprise textuelle (« si j’ose un sourire, c’est parce qu’on me l’a demandé », dans « Los Angeles »). La littérature est présente également, avec l’hommage à Salinger mais aussi, de façon plus prégnante, la parenté entre plusieurs titres et le roman que Joseph d’Anvers publiait en 2020, Juste une balle perdue. La « balle » est d’ailleurs maintes fois évoquée, le champ lexical des armes ayant la part belle au fil des titres, jusqu’à la mention de « balles perdues » dans « Les combattants ». On retrouve également l’univers de la nuit avec ses substances addictives (« Comme ils dansent », Baby Doll »), l’amour incandescent (« Esterel », « Pyromanes »), la mort (« Les terres sacrées », « Hôtel européen »).

Comme dans le roman, les morceaux narratifs racontent un voyage aux escales à la fois précises et indéfinies, parmi lesquelles la côte atlantique, la côte d’Azur, et surtout les États-Unis, de New York (L’Attrape-cœurs, cité dans « Baby Doll ») à « Los Angeles ». Dans une ambiance de thriller élégant, déambulent des personnages qui se racontent à la première personne. Des anti-héros, des parias, le côté obscur de l’artiste qui se projette tantôt en enfant privé de père (« Un homme »), en soldat sur le champ de bataille (« Les combattants »), en séducteur de pacotille (« Baby Doll »), en gentleman en fuite (« Les palaces ») ou en pensionnaire d’un hôpital psychiatrique (« Je viens d’ailleurs »).

Comme lorsque Ben Mazué se glissait dans la peau d’anonymes désignés par leur âge dans 33 ans, c’est peut-être à travers ses doubles que Joseph d’Anvers en dit le plus sur ses obsessions, martelées dans des refrains qui restent en tête, lancinants comme la pulsation des phrases, véritable boîte à rythmes organique. On reconnaît en tout cas dans les textes son sens de la formule poétique (« sous les pavés la rage », « j’ignorais que la mort puisse faire autant de bruit », « un exil en asile fragile »…).

Au mitan des histoires nocturnes de personnages « perdus », l’espoir se glisse, irrésistible, planqué sous le titre pourtant peu optimiste « Personne ne gagne » : « mais si tu tombes, tu te relèveras encore ». Le musicien, lui, s’est relevé des déceptions, a créé son label et produit un album aux couleurs musicales qu’il rêvait, nous entraînant dans son voyage aux frontières de la nuit.

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