« Las Mercedes, la forge d’un héritage », le documentaire de Terra TV qui marche au pas paysan (sous-titres français)

Il y a quelques mois les militant(e)s sociaux de la CRBZ ont parlé à l’équipe de Terra TV de la lutte tenace de nombreuses familles qui cultivent quelques parcelles de l’immense terre improductive del “Hato Las Mercedes”, dans l’état de Barinas. Malgré la Loi des Terres et les instructions du président Maduro de faire cesser toute expulsion de paysans, des mafias locales (grands propriétaires, hommes de main, paramilitaires colombiens, fonctionnaires soudoyés de l’Institut des Terres) tentent de reprendre à ceux et celles qui les travaillent les terres remises par Hugo Chavez. Les cinéastes-formateurs(trices) de Terra TV Jorge Henriquez, Victor Daniel Rivera et Betzany Guedez sont allés visibiliser cette bataille. Cet extraordinaire documentaire est aussi leur premier moyen-métrage.

La situation de la lutte pour la terre reste complexe au Venezuela mais grâce aux luttes des paysan(ne)s et aux campagnes des médias alternatifs, le gouvernement bolivarien a renoué avec la remise des titres de propriété, comme en témoignent les cas récents des terres du “Trebol” et de “Santa Maria”, dans l’état du Zulia.

Las Mercedes – La Forge d’un Héritage”, fruit d’une école de cinéma documentaire

Terra TV est un des résultats d’un effort de formation qui dure depuis vingt ans : l’Ecole Populaire et Latinoaméricaine de Cinéma, Théâtre et Télévision (EPLACITE). Cette première oeuvre part de quelques uns des principes décolonisateurs de cette école itinérante.

Véhicule direct de la parole paysanne, le film libère l’information du champ externe du journalisme des “questions/ réponses”. La voix du paysan n’est ni trahie, ni rabotée. Jusque dans le volume: la voix que les curseurs de la télé font toujours monter “au-dessus du réel” se mêle ici à l’univers du travail qui transforme l’être humain autant que lui le transforme. Cohérence technique du son avec le concept de l’harmonie recherchée entre paysan(ne)s, animaux, terre et semis. Il y a dans les regards sur les objets une tendresse qui s’oppose à la relation que le capitalisme a créée avec les « choses ».

La haute qualité photographique de ce premier film est aussi liée à la relation de respect, d’amour et aux orientations données par les paysan(ne)s à la jeune équipe de Terra TV. Comme dit Jorge Henriquez : “On nous a aimés”.

Dans le voyage vers la parcelle, il y a un autre effet particulier du montage. Un documentaire classique résumerait sans doute la traversée de la rivière et la longue marche à pied sous le soleil en quelques plans: « c’est ainsi que les paysans arrivent sur la terre à cultiver”. Ici les réalisateurs ont structuré la marche en fragments successifs, renforcés par le son lancinants des pas. Nous marchons avec les paysan(ne)s. Surgissent les personnalités des marcheurs(se)s, mères, enfants, hommes à pied ou en moto. La distance à franchir elle-même évoque mieux que tout discours l’immensité des terres en friche aux mains d’un seul homme, l’immense injustice accentuée par le refus de vendre de l’essence au bac qui passe les paysans d’une rive à l’autre. Les témoignages disent l’espoir des paysans qu’un jour les choses s’amélioreront, une patience populaire qui vient de loin, d’une histoire collective vécue bien avant que les « intellectuels » expliquent comment faire la révolution. Cette longue marche est en quelque sorte l’image du temps de la révolution bolivarienne, foi populaire contre obstacles renouvelés.

Thierry Deronne, Caracas, 4 septembre 2019

Jorge Henriquez « bachaco » et Victor Daniel Rivera (réalisateurs) avec ci-dessous Betzany Guedez (assistante de production et preneuse de son) de Terra TV, le 26 août lors du lancement du documentaire à Caracas, avant les projections dans les campagnes du Venezuela. Photos: Yrleana Gómez Oropeza

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