Je marche seul

En ce mois d’août 2018, revenu en Île-de-France dès le lundi 4 août, confronté à des bureaux déserts et des soirées désœuvrées, je n’ai pourtant pas écrit grand’chose. J’ai eu du temps, mais je n’avais pas envie d’écrire — plus exactement, pas envie d’écrire plus que des tweets. Ce billet sera le seul de ce mois d’août 2018.

J’ai beaucoup marché en ce mois d’août 2018. Pour toutes sortes de raisons. J’ai renoué avec un certain art du piéton urbain ou suburbain. J’ai marché pendant des heures, une heure chaque jour en général, et notamment trois grandes traversées d’environ trois heures.

Le reste de ce billet sera écrit au présent. Un peu parce que j’espère bien pouvoir continuer à marcher dans les temps à venir — j’en ai besoin. Un peu parce qu’un gamin des années 1980s a forcément quelque chose de Jean-Jacques Goldman dans le crâne. Par contre, le premier qui me dit que je suis « en marche » se ramasse une baffe, modèle Obélix contre Le Devin.

( Message de service : Les vidéos « d’époque » qu’on trouve sur YouTube sont kitchissimes. )

Je marche seul
Quand ma vie déraisonne
Quand l’envie m’abandonne
Je marche seul
Pour me noyer d’ailleurs

Je marche parce que c’est l’été. Je marche parce que c’est la belle saison, parce que le temps disponible le permet, parce que la météo le permet. Une fois passée la rentrée, une fois venue la mauvaise saison, ce sera plus difficile.

Je marche pour, comme on dit, « brûler des calories ». Je marche pour faire marcher mon corps. Pour faire quelque chose de mon corps. Pour réhabituer mes pieds, mes jambes et le reste. Pour me convaincre que mon corps n’est pas fini. Pour continuer à me réapproprier mon corps.

Je marche pour, comme on dit, « me changer les idées ». Pour voir autre chose. Pour renouveller les images dans ma tête.

Je marche pour aller voir à quoi ça ressemble, en vrai, avec mes propres yeux, pas derrière la vitre d’un véhicule ou d’un écran.

Je marche parce qu’on ne connaît vraiment que ce qu’on a parcouru comme piéton, ce qu’on a ressenti comme piéton. Les véhicules — automobiles, bus, trains, avions, etc — font oublier le poids de la distance, la profondeur, l’épaisseur, la lourdeur, ce qu’il y a aux alentours, ce qu’on traverse, ce qu’on survole, ce qu’on contourne. Je marche pour m’approprier les lieux, pour les ressentir.

Je marche dans Paris, dans ma petite et moyenne couronne qui est « chez moi » depuis une ou deux décennies, pour voir à quoi ça ressemble autour. Pour voir ou revoir à quoi ça ressemble. Parfois, rien n’a changé par-rapport à mon souvenir. Parfois, tout a changé, en général suite à un bétonnage en règle, plus rarement suite à l’ouverture bienvenue d’un petit square neuf, ou d’une « coulée verte » — quoiqu’il serait plus franc d’appeler « autoroutes à poussettes » certaines « coulées vertes » .

Je marche pour voir parfois des lieux que j’ai déjà vus, et parfois d’autres que je n’avais jamais vus, même s’ils sont tout près de chez moi, ou tout près de mon lieu de travail. Il est beaucoup plus facile qu’on ne croit de découvrir un bout de lieu inconnu.

Promenades and avenues
Real life and postcard views
Elegance and decadence
Europe endless
Flüsse, Berge, Wälder
Europa endlos
Wirklichkeit und Postkarten-Bilder
Europa endlos
Elegance and decadence
Europe endless
Eleganz und Dekadenz
Europa endlos

Je marche pour tenter parfois des bifurcations que je n’ai jamais tentées, des raccourcis improbables, ou des extensions inutiles. Pour explorer des angles morts — j’aime beaucoup la notion d' »angle mort ». Un peu de géométrie : partant de A, je vais souvent vers B, je vais aussi parfois vers C. A peut être ma maison, B une gare, C un centre commercial. A partir de quel angle BAC, ou à partir de quelle distance AB ou AC, est-ce qu’il est probable qu’il y a des ruelles inconnues de moi entre AB et AC ? Ainsi, même assez près de « chez moi », il m’arrive encore de découvrir des « angles morts » — en anglais « blind spots », littéralement « points aveugles ». On croit connaître, mais on connaît assez peu, parfois.

Je marche pour découvrir des perspectives, ou des absences de perspectives. Je marche pour découvrir les petits dénivelés qui ne sont pas sur les cartes, et qui ouvrent parfois des dégagements inattendus sur la Seine, ou sur une autre colline, une autre banlieue, ou juste un bâtiment plus grand ou plus marquant que les autres. Dans ma banlieue, c’est parfois le long des voies de chemin de fer, quand elles sont bordées par un chemin ou une ruelle, que surgissent les perspectives les plus vastes, les plus saisissantes à la tombée de la nuit.

Je marche le plus souvent au crépuscule, en rêvant de marcher jusqu’à l’aube.

Je marche pour me rappeler que la vie n’est pas finie.

Je marche pour voir autre chose, juste un peu autre chose, juste une heure ou deux. Des ailleurs, ou des semblants d’ailleurs. Pas grand’chose.

Je marche pour me sentir vivant. Je marche pour reprendre mon corps.

Don’t you know I’m still standing better than I ever did
Looking like a true survivor, feeling like a little kid
I’m still standing after all this time
Picking up the pieces of my life without you on my mind
I’m still standing yeah yeah yeah
I’m still standing yeah yeah yeah

Je marche pour me convaincre que je peux encore tenir debout, que je suis encore debout, et que le monde autour de moi aussi est encore debout.

Je marche pour me rappeler que je suis libre.

Increasingly, the mathematics will demand the courage to face its consequences.

Winter is coming.

Bonne nuit.

Cet article, publié dans Uncategorized, est tagué , , , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Un commentaire pour Je marche seul

Tous les commentaires seront les bienvenus.