Le Monde published two op-eds exactly a month ago—by American law professors James Whitman and Christopher Kutz— that made some interesting comparisons between the French and American judicial systems. Really good pieces and that I was going to post and comment on back then, but didn’t get around to. Now that the subject is de l’actualité again, here they are. As for the commentary, I’ll try to get to that later.
La justice américaine en question(s)
Dominique Strauss-Kahn va, lundi 6 juin, comparaître devant une institution au fonctionnement complexe, aussi vantée et médiatisée que controversée, et dont les résultats suscitent incompréhension et réservesDeux notions d’égalité devant la loiArticle paru dans l’édition du 04.06.11Pourquoi, dans l’affaire Dominique Strauss-Kahn, les Américains éprouveraient-ils une certaine jubilation devant des aspects de la procédure pénale qui choquent les Français ? Il faut chercher les origines d’une telle différence de perception de part et d’autre de l’Atlantique dans les différentes conceptions américaine et française de l’égalité.
Ce que la grande foule des commentateurs américains perçoit dans les réactions françaises, c’est la faiblesse supposée qui serait accordée en France à la valeur de l’égalité. L’idée selon laquelle l’égalité serait étrangère à la République française, semble pour les Américains surtout illustrée par la révulsion que l’opinion publique française aurait ressentie devant les images de DSK menotté.
Violation de la présomption d’innocence, selon les Français. Symbole de l’égalité, selon les Américains. Qu’est-ce que l’égalité, selon ces derniers, sinon l’humiliation des grands ? Qu’est-ce que la réaction française, sinon un résidu du sentiment hiérarchique d’une nation qui n’aurait jamais surmonté ses traditions monarchiques de déférence envers les puissants ? Cette tradition de privilèges des puissants n’explique-t-elle pas que certains hiérarques socialistes français se permettent de séjourner dans des suites d’hôtel à 3 000 dollars (2 000 euros) la nuit ?
Pour rechercher les sources de ce conflit culturel, il ne suffit pas d’examiner les différences techniques existant entre les procédures pénales des deux démocraties. Il faut reconnaître que le principe d’égalité, valeur fondamentale des deux côtés de l’Atlantique, a emprunté deux chemins historiques différents.
Bien sûr que les Français croient qu’il faut traiter tout le monde de la même manière ! La différence réside ailleurs : c’est qu’ils croient que tout le monde mérite un traitement respectueux.
La protection contre l’exposition publique ne s’applique pas exclusivement aux hommes de haut statut social en France. L’égalité, selon la conception française, ne consiste pas à humilier les puissants, mais plutôt à s’efforcer de garantir que nul dans la société ne subira le traitement que devait subir, dans le passé, la « canaille ».
Divergence fondamentale
En fait, l’affaire DSK révèle l’un des contrastes fondamentaux entre les cultures juridiques américaine et française. Au cours des deux derniers siècles, l’égalitarisme français s’est exprimé par l’idée d’un nivellement par le haut. Il s’est manifesté par l’ambition juridique que tout le monde puisse jouir, autant que possible, du droit au respect, droit qui était le privilège d’une infime minorité au XVIIIe siècle, à savoir, pour la plupart, la noblesse.
Aux Etats-Unis, on a précisément renversé cette ambition égalitaire, caractéristique de la France et de l’Europe continentale en général. On l’a réalisée chez nous par un nivellement par le bas, ce qui signifie l’abolition, justement au nom de l’égalité, de tout droit au respect. Le droit pénal n’est pas du tout le seul domaine dans lequel cette divergence fondamentale s’est manifestée.
Ainsi, le droit de la protection de la vie privée en est un autre : il est conçu, en France, comme un droit de la protection de la dignité et, aux Etats-Unis, comme un droit de la protection de la liberté. Plus largement, les systèmes de droit européens accordent une large attention aux questions de la dignité individuelle, valeur presque tout à fait ignorée dans la jurisprudence américaine.
Cela n’est pas le seul facteur qui est en jeu dans ce conflit des cultures d’égalité. Mêmes les aspects les plus techniques de la procédure pénale peuvent, eux aussi, être les produits des idéaux égalitaires. La procédure pénale symbolise toujours l’égalité dans les républiques, mais de manière différente. Pour le dire en une formule simple, la procédure pénale française témoigne du respect de l’égalité surtout en visant à garantir un traitement équitable pour les accusés, alors que la procédure pénale américaine entend respecter l’égalité surtout en visant à garantir un traitement équitable pour les condamnés.
Il est donc inconcevable en France que la police fasse preuve d’une sorte de parti pris contre l’accusé, comme l’a ici fait la police new-yorkaise. Mais, aux Etats-Unis, le grand moment égalitaire dans le calvaire de M. Strauss-Kahn risque d’arriver plus tard. L’égalité en procédure pénale pour les Américains s’exprime surtout dans la peine. Cela signifie qu’il importe que les gens de statut social élevé doivent, le cas échéant, purger les mêmes peines que les autres – y compris des peines lourdes de prison. C’est aussi une forme d’égalité.
Les systèmes sont faillibles, davantage que les hommesFrance – Etats-Unis, encore un effort pour se comprendre !Article paru dans l’édition du 04.06.11Sensiblement différentes des deux côtés de l’Atlantique ont été les réactions au spectacle de Dominique Strauss-Kahn. Pour les Français, l’état du système pénal américain est tout aussi scandaleux que les accusations de la défense – ce système qui humilie hypocritement un prévenu présumé innocent, d’abord en le faisant parader menottes aux mains (le « perp walk ») devant les médias du monde entier, puis en refusant une généreuse caution, et enfin en l’incarcérant avec les petits délinquants et les dangereux criminels de Rikers Island.Pour les Américains, en revanche, le deuxième scandale est lié à la loi du silence de l’élite française, elle qui connaissait bien les tendances et les frasques de DSK et qui a osé décrire un pur acte d’agression sexuelle comme étant simplement le fait d’un « grand séducteur ». En même temps, une certaine autosatisfaction semble accompagner les deux prétendus scandales : les Français se gargarisent d’un système pénal qui protège la dignité des accusés ; tandis que les Américains sont fiers de montrer que, chez eux, riches et pauvres sont à égalité devant la loi.
Une forme d’amour-propre national est certes de mise, mais la France comme les Etats-Unis feraient mieux de regarder, chacun, les choses à travers les yeux de l’autre. Les Américains – ou, à vrai dire, les féministes américains – devraient se féliciter d’une révolution dans la manière dont les victimes de viol sont traitées. Il y a moins de vingt ans, leurs accusations, si elles arrivaient à être entendues, étaient considérées comme purs mensonges, comme des actes de vengeance ou de honte liés à un rapport sexuel consenti.
A présent, au contraire, ainsi que le démontre la vitesse déroutante avec laquelle DSK a été arrêté, les accusations d’une travailleuse subalterne venue d’Afrique affirmant avoir été violée dans un hôtel de luxe sont, à juste titre, considérées comme tout aussi crédibles que celles d’un riche touriste européen qui ferait état d’un vol à Central Park.
De leur côté, les Français ont raison de souligner que leur système pénal traite les accusés avec un certain respect de leur humanité – chose qui manque cruellement à ces prisons américaines surpeuplées, de plus en plus privatisées, et qui abritent leur lot d’âmes en peine.
Par ailleurs, les Américains feraient aussi bien d’observer à travers des yeux français la cruauté et la dégradation de leur système de justice. Je sais, pour avoir enseigné le droit pénal, que même les Américains éduqués sont parfois surpris d’apprendre que les taux d’incarcération aux Etats-Unis sont six à dix fois supérieurs à toute autre nation développée – avec des taux de criminalité qui, eux, ne sont comparables qu’aux Etats les plus faibles.
Si la suppression, il y a vingt-cinq ans, d’un système discrétionnaire de condamnation a permis une certaine égalité raciale dans les sentences, l’utilisation parallèle de la prison comme instrument premier de la lutte antidrogue a créé l’une des populations carcérale les plus racialement biaisées de la planète. Ainsi, aux Etats-Unis, comme le souligne le sociologue Bruce Western, un jeune homme noir a plus de risque d’aller en prison que d’être diplômé de l’université ou d’entrer dans l’armée – près de huit fois plus de risque qu’un Blanc.
Par conséquent, l’arrestation triomphale et l’exhibition, comme s’il s’était agi d’un trophée, d’un riche homme blanc – français, en plus ! – soumis aux accusations d’une pauvre femme noire et à un essaim de journalistes du monde entier, ne devrait pas aveugler les Américains quant aux failles de leur système pénal. Le système pénal américain, sous ses paillettes et son aspect télégénique, favorise en réalité le ressentiment et légitime une injustice massive, sans mentionner une excitation lubrique cachée sous le terme de « transparence ». Si ce n’est dans la définition de l’hypocrisie que donne La Rochefoucauld, tâchons de ne pas confondre une cruauté généreusement disséminée avec un hommage rendu à l’égalité.
Les précautions qui entourent, en France, un accusé protégé des pires insinuations de la presse respectent le noble principe de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, qui garantit l’égalité devant la loi de tous les citoyens. L’application de ce concept de dignité, dérivé des privilèges de l’aristocratie, à l’humanité entière, est sans doute l’un des plus grands accomplissements des Lumières, même si sa mise en oeuvre pratique a été, quant à elle, plus inégale en France et ailleurs.
Si ce principe d’égalité de traitement s’est développé tardivement dans le système pénal français, il y est bien présent. Comme l’affirme l’historien du droit James Whitman, l’universalisation, en Europe, du traitement pénal auparavant réservé aux seuls aristocrates souligne une différence de taille avec le système américain qui, lui, n’a fait qu’universaliser le traitement réservé aux esclaves des plantations.
Pourtant, le cas DSK souligne bien qu’un engagement en faveur de la dignité, même avec une facette égalitariste, laisse encore de la place pour un traitement inégal des dignités. Peu importe dès lors la vérité de l’accusation lancée à l’encontre de DSK : il est déjà apparu à de nombreux médias et politiciens que ce dernier n’aurait jamais pu sauver la face avec un tel comportement s’il n’avait été un brillant homme politique et un économiste dévoué à se servir des rouages de la finance internationale pour améliorer la vie des plus pauvres.
La banalisation de son comportement brutal souligne le secret le mieux gardé de la politique française : une tolérance élitiste pour la corruption et la mauvaise conduite, qui est presque aussi aberrante que le goût des Etats-Unis pour les prisons agricoles. Les Américains n’ont donc pas tort de voir la résurgence d’un certain « droit seigneurial » dissimulé derrière ce scandale.
Cette histoire aura laissé de nombreuses victimes sur son passage – non seulement les victimes de viol ou de harcèlement (voire, si les théories du complot s’avéraient justes, la mort programmée d’un homme innocent), mais aussi les victimes à venir si la politique progressiste du Fonds monétaire international venait à échouer. Peut-être devrions-nous saisir cette occasion pour confronter certaines vérités difficiles quant aux péchés de nos systèmes eux-mêmes – et pas seulement ceux de nos hommes politiques.
Christopher Kutz
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