L’Avro Canada CF-105 Arrow : une réussite canadienne en aéronautique

Par Kyle Huth

J’ai dix ans quand je vois l’Avro Canada CF-105 Arrow pour la première fois. Il apparaît sur la couverture d’un livre d’une librairie de Bobcaygeon, en Ontario, plus de 40 ans après son dernier vol. Cet avion à réaction blanc, épuré, orné d’insignes canadiens et orienté vers le ciel, a un petit quelque chose qui attire mon attention. Je passe donc le reste de mes vacances à étudier mon nouveau livre… je veux tout savoir sur l’Arrow! Comme beaucoup d’autres Canadiens, j’ai été marqué dès mon jeune âge par cet avion.

Le premier Arrow – numéro de série 25201 – sort de l’usine de construction d’aéronefs d’Avro Canada à Malton (de nos jours Mississauga), en Ontario. Il est dévoilé au grand public le 4 octobre 1957. Produit de la Guerre froide, ce gros chasseur d’interception biturbine à aile delta est conçu pour protéger les villes canadiennes contre les bombardiers soviétiques venus du pôle Nord.

Photo noir et blanc d’une foule de personnes autour d’un aéronef blanc.

La sortie du premier Avro Canada CF-105 Arrow à Malton, en Ontario, le 4 octobre 1957. La foule donne une indication de la taille de l’aéronef. (e999912501)

Avro Canada débute la conception de l’Arrow en 1953. Avant la fin de l’année, l’Aviation royale canadienne (ARC) commande deux prototypes expérimentaux. L’ARC souhaite acquérir un aéronef qui peut atteindre une vitesse de Mach 1,5 à une altitude d’au moins 50 000 pieds (plus de 15 000 m) tout en étant armé des plus récents missiles guidés. À l’époque, aucune compagnie aérienne des États-Unis, du Royaume-Uni ou de France n’est en train de produire ou de concevoir un appareil qui répond à ces exigences.

L’intérêt pour l’Arrow augmente au même rythme que les tensions causées par la Guerre froide. Le développement d’un bombardier soviétique à long rayon d’action se poursuit plus rapidement que prévu, menaçant de rendre obsolètes les chasseurs d’interception de l’ARC de l’époque. En 1955, l’ARC change sa commande et demande 5 appareils d’essai en vol Arrow Mk1 et 32 aéronefs de série Arrow Mk2. En raison du besoin urgent pour l’aéronef, celui-ci passe directement à la production, sautant l’étape traditionnelle de développement pour un avion de ce genre.

L’objectif est d’équiper l’Arrow Mk2, la version de série destinée aux escadrons de l’ARC, de deux turboréacteurs PS-13 Iroquois, fabriqués au Canada par Orenda Engines, ainsi que du système de contrôle d’armes Astra I et de missiles Sparrow II. Les trois dispositifs doivent être développés en même temps que la cellule de l’aéronef, ce qui augmente les coûts. Pour éviter les retards, les Arrow Mk1, qui servent à évaluer le vol et la maniabilité des prototypes, sont équipés de deux turboréacteurs américains Pratt & Whitney J-75.

Carte manuscrite de l’Amérique du Nord avec un cercle rouge entourant le Canada et des lignes jaune, verte et mauve.

Carte montrant la portée opérationnelle de l’Arrow Mk2 subsonique et les bases proposées au Canada, en Alaska et au Groenland, ainsi que les bases aériennes de l’ARC (en rouge). Elle montre aussi les emplacements radars du Réseau d’alerte avancé (en jaune), de la Ligne du Centre du Canada (en vert) et du Réseau Pine Tree (en mauve). (e011202368)

Après cinq mois d’essais au sol, l’Arrow 25201 s’envole le 25 mars 1958, piloté par le célèbre Janusz Zurakowski. Au cours des onze mois suivants, quatre autres Arrow Mk1 s’ajoutent au programme de vols d’essai. L’Arrow Mk2, équipé des moteurs Iroquois (encore plus puissants), doit prendre son envol en mars 1959.

Alors que le programme de vols d’essai se déroule plutôt comme prévu et que les pilotes d’essai ne tarissent pas d’éloges pour la performance et la maniabilité de l’Arrow Mk1, tout ne se passe pas aussi bien en coulisse.

Les coûts de développement augmentent, et le programme Arrow fait l’objet d’une surveillance financière accrue de la part du nouveau gouvernement progressiste-conservateur du premier ministre John Diefenbaker.  Au même moment, le développement des fusées soviétiques surpasse les avancements de l’Ouest et Spoutnik 1 est lancé le jour même où l’Arrow est dévoilé au public. Il devient alors évident que les missiles balistiques intercontinentaux soviétiques, et non les bombardiers, sont désormais la principale menace à laquelle le Canada risque d’être confronté. Ce changement technologique fait naître des doutes sur l’utilité de l’Arrow et certains, comme le ministre de la Défense nationale, George Pearkes, remettent en question la nécessité de disposer d’avions intercepteurs pilotés, estimant que les missiles antiaériens peuvent les remplacer pour une fraction du coût.  En septembre 1958, le gouvernement annonce qu’il commandera le missile surface-air à longue portée CIM-10B Super Bomarc de Boeing et annulera le programme en difficulté du système de contrôle d’armes Astra I et des missiles Sparrow II. De plus, le gouvernement avertit Avro Canada que le reste du programme Arrow sera passé en revue en mars 1959.

Le 20 février 1959, Diefenbaker annonce à la Chambre des communes que le programme Arrow est annulé. Avro Canada réagit en licenciant immédiatement les 14 500 employés qui travaillent sur ce programme, soutenant que l’entreprise a été prise par surprise par l’annonce du gouvernement.

Photo noir et blanc d’un homme tenant la boîte d’une maquette d’avion.

« Mieux vaut en acheter un si vous voulez un souvenir de l’avion qui ne volera jamais, » lance malicieusement Pat Gallacher, un des employés licenciés d’Avro Canada, alors qu’il tient une maquette de l’Arrow achetée à l’usine de Malton, le 20 février 1959. (e999911901)

Au moment de l’annulation, les cinq aéronefs Arrow ont effectué 66 vols, pour une durée totale de 69 h 50 min. Le premier Arrow équipé de moteurs Iroquois, le prototype 25206, est terminé à 98 % le jour de l’annonce du gouvernement. Les tentatives visant à sauvegarder au moins un des cinq Arrow achevés pour les utiliser dans les essais à haute vitesse échouent. Le 15 mai 1959, on ordonne la destruction de tous les aéronefs achevés et de ceux se trouvant sur la chaîne de montage, ainsi que l’élimination de tous les plans. Pour expliquer cette décision, le Cabinet et les chefs d’état-major du Canada font référence à des problèmes de sécurité liés aux caractéristiques de pointe de l’aéronef et aux documents classifiés du projet. L’Arrow 25201 effectue le dernier vol de cette gamme d’appareils le 19 février 1959 en après-midi, la veille de l’annulation du programme.

Photo noir et blanc de huit avions stationnés devant un bâtiment, vus depuis les airs.

En attendant la décision, les aéronefs Arrow 25202, 25205, 25201, 25204 et 25203 (de haut en bas) sont stationnés à l’extérieur du bâtiment expérimental d’Avro Canada situé à Malton, en Ontario, le 8 mai 1959. Trois chasseurs d’interception à voilure droite CF-100 Canuck, le type d’aéronef que l’Arrow devait remplacer, sont garés à côté. (e999911909)

L’Arrow ne sera jamais utilisé aux fins prévues : patrouiller dans l’espace aérien canadien. Il aura toutefois de nombreuses répercussions culturelles sur le Canada. Depuis son annulation, l’Arrow est le sujet d’innombrables livres, articles de magazines et documentaires. Il apparaît également dans une minisérie de la CBC mettant en vedette Dan Aykroyd en 1997. Les plus grosses parties de l’Arrow qui existent toujours sont le fuselage avant du prototype 25206 et l’extrémité d’aile du 25203, conservés par le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa. À ce jour, l’Avro Canada CF-105 Arrow est toujours un symbole de réussite canadienne, un sujet de débats et d’hypothèses et une source de fierté et de fascination pour les Canadiens.

Pour en savoir plus sur l’Arrow, consultez les ressources suivantes de Bibliothèque et Archives Canada :


Kyle Huth est archiviste adjoint à la Division des initiatives sur les documents gouvernementaux de Bibliothèque et Archives Canada.

Une réflexion au sujet de « L’Avro Canada CF-105 Arrow : une réussite canadienne en aéronautique »

  1. Ping : Centenaire de l’Aviation royale canadienne : honneur aux femmes militaires | Le blogue de Bibliothèque et Archives Canada

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.