Thomas Craven ou la résurrection en 3D d’un protestant anglais


L’impression 3D est aussi utilisée pour reconstituer des visages. C’est en effet ce qui est arrivé à un jeune homme anglais issu de la noblesse mort de la peste en 1636 mort en France loin des siens
Nuage

 

Thomas Craven ou la résurrection en 3D d’un protestant anglais

 

Reconstitution faciale 3D de Thomas Craven. A gauche, l’étape finale de la modélisation numérique, à droite, une phase avec des marqueurs servant à déterminer l’épaisseur des tissus mous établis à partir de tables de mesures anatomiques. CREDIT: Philippe Froesch /Studio Visual Forensic

Par Bernadette Arnaud

La société Visual Forensic a réalisé cette étonnante reconstitution faciale numérique d’un jeune protestant anglais mort à Paris de la peste en 1636.

 

PORTRAIT. Avec son visage d’adolescent où affleure l’ombre d’une fine moustache, ce jeune Britannique pourrait sembler tout droit sorti d’un concert de rock à Londres. Or, Thomas Craven, noble anglais de 17 ans, est mort à Paris en… 1636.  Son émouvante reconstitution faciale 3D vient rejoindre la série des étonnants portraits d’Henri IV et Robespierre auxquels nous a habitués Philippe Froesch, le fondateur de la société Visual Forensic spécialisée dans les reconstructions numériques de personnages historiques. C’est à la demande de Djillali Hadjouis, archéologue au service Archéologie du Conseil départemental du Val de Marne, que Philippe Froesch vient ainsi de redonner ses traits au jeune homme qui avait été découvert il y a 30 ans à Saint-Maurice (Val de Marne). Un moulage du crâne et de nombreux scanners ont permis de réaliser ce travail saisissant de réalisme, à l’instar de ceux utilisés pour les portraits précédents.

Le sarcophage de Thomas Craven, lors de sa découverte
à Saint-Maurice en 1986. © Ph. Huard

C’est en 1986 qu’a eu lieu la découverte spectaculaire : celle d’un sarcophage anthropomorphe en plomb mis au jour dans les sous-sols d’un conservatoire de musique, situé sur le terrain d’un ancien cimetière protestant. Celui-ci avait été détruit au 17e siècle, lors de la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV (1685) qui avait mis fin à la tolérance envers les protestants. Le catholicisme étant dès lors la seule religion reconnue dans le royaume. Une fois le sarcophage ouvert, les archéologues avaient découvert les restes d’un individu embaumé, enveloppé d’un linceul maintenu par une cordelette, sur lequel était posé un bouquet de plantes aromatiques séchées. Les traces d’une ancienne bière en bois étaient toujours visibles. Les premiers examens avaient révélé que la boite crânienne avait été sciée, comme cela se pratiquait depuis le Moyen Age pour extraire le cerveau lors des autopsies.

Dès l’ouverture du cercueil, des fragrances persistantes avaient également frappé les chercheurs. Il s’agissait des parfums des plantes utilisées pour l’embaumement et que l’on appliquait généralement pour la conservation des cadavres issus de la noblesse. Les analyses des végétaux qu’employaient les thanathopracteurs de l’époque ont ainsi attesté la présence d’un cocktail d’armoise absinthe (Artemisia absinthium), et de marjolaine (Origanum majorana).

« Leur utilisation était courante dans l’aristocratie depuis l’époque d’Ambroise Paré, le célèbre chirurgien anatomiste du 16e siècle », précise Djillali Hadjouis.

Epitaphe en alliage cuivreux trouvée sur le sarcophage de plomb de Thomas Craven.
© B.Allard, SD, 94

Qui pouvait bien être ainsi inhumé dans ce cercueil de plomb ? Les archéologues ont très vite levé le mystère. Une plaque en alliage cuivré, collée sur le sarcophage, portait en effet les armoiries de la famille Craven. Et une longue épitaphe en latin était dédiée au trépassé :

« Dans ce cercueil repose, attendant la joie de la résurrection et une heureuse réunion avec son âme qui est maintenant aux cieux, le corps de Thomas Craven, très noble jeune anglais … mort le vingtième jour du mois de novembre 1636 de Notre-Seigneur… ».

Que faisait cet aristocrate anglais, fils de Lord Craven, maire de Londres, dans ce catafalque exhumé en région parisienne ? Et de quoi avait-il bien pu mourir en pleine fleur de l’âge ?

Pendant trente ans, une succession d’études anatomo-pathologiques, tomographiques et paléopathologiques, associées à des recherches microbiologiques effectuées par les chercheurs de la Faculté de médecine de Marseille, ont enfin fait « parler » le corps de Thomas. Et des prélèvements réalisés dans la pulpe dentaire et des analyses génétiques ont conduit à identifier la présence du bacille Yersinia pestis.

« Le cimetière dans lequel il a été inhumé était sans doute un cimetière de pestiférés », explique Djillali Hadjouis également associé à l’UMR 5288 du CNRS.

L’examen des dents prélevées sur cinq autres individus récupérés dans ces fosses en 2005, avait effectivement montré que tous avaient été victimes de la peste.

« Dans certains récits sur l’histoire de Paris, on trouve mentionné un épisode de la peste qui sévissait à Paris en septembre 1636, deux mois avant la mort de Thomas Craven, poursuit le paléopathologiste. Il est alors demandé de faire évacuer la Conciergerie pour envoyer tous les prisonniers vers le bourg de Saint-Marcel, du côté de l’actuelle gare d’Austerlitz. »

Thomas Craven était en fait un jeune huguenot venu étudier à Paris où il a contracté la maladie. Sa dépouille repose aujourd’hui dans une chambre froide à 4°C, dans le service d’archéologie du Conseil départemental du Val de Marne.

« Nous avons demandé à ce qu’il puisse être réinhumé », précise Djillali Hadjouis.

Dans la législation française, tout corps étudié archéologiquement doit en effet être réenterré dès lors qu’il a été identifié. Ce qui concerne le plus souvent des individus nés après le 16e siècle, puisque les archives de l’état civil ne sont apparues qu’à la Renaissance.

« Dans le cas de Thomas Craven, nous ne possédons plus ces documents, car les temples protestants qui les conservaient ont été incendiés. Le premier temple de Charenton, haut lieu du protestantisme en France, l’a été sous Louis XIII, en 1621, et le second, reconstruit sur le même emplacement, 62 ans plus tard, en 1686. Toutes les archives paroissiales protestantes sont donc parties en fumée », précise Djillali Hadjouis.

Par chance pour lui, son identité figurant sur sa plaque mortuaire, Thomas Craven pourrait effectivement faire l’objet d’une nouvelle inhumation. Une monographie complète sur son cas devrait être prochainement publiée. En attendant, le jeune-homme a retrouvé un visage… à défaut d’une famille, aucun de ses descendants ne l’ayant, semble-t-il, réclamé.

http://www.sciencesetavenir.fr/

Une réponse à “Thomas Craven ou la résurrection en 3D d’un protestant anglais

Laisser un commentaire