Mafrouza en librairie : chronique polyphonique d’un quartier d’Alexandrie

Mafrouza, œuvre fleuve d’Emmanuelle Demoris est sans doute l’un des projets documentaires les plus originaux et monumentaux de ces dernières années. Plus qu’un documentaire, cette chronique en cinq volets de la vie d’un bidonville égyptien est une extraordinaire expérience cinématographique.

C’est en explorant l’idée d’un film traitant du « rapport des vivants aux morts » qu’Emmanuelle Demoris pénètre pour la première fois en 1999 dans le quartier de Mafrouza : ancienne nécropole d’Alexandrie transformée en bidonville. Entrer dans Mafrouza c’est entrer dans une ville troglodyte, presque un souterrain. Eblouie par la liberté d’esprit et l’humanité solaire de ses habitants, Emmanuelle Demorris s’y rend à plusieurs reprises, avec une petite caméra DV. Adoptée par le quartier, elle est invitée à filmer un mariage ou la confection du pain, à recueillir des paroles. Elle entreprend alors de filmer Mafrouza deux années durant, avec le soutien essentiel de Jean Gruault, qui fut le scénariste de François Truffaut, et s’invente producteur pour permettre à ce film d’exister.

« Le peuple incarné, dans sa souffrance et dans sa joie, dans son impertinence et sa dignité, tel que le régime général des images l’ignore ; la vie même, célébrée avec une frénésie carnavalesque, un désorde de dévotion et de truculence, jusque dans les immondices d’un dépotoir social. » Le monde, Jacques Mandelbaum

Caméra au poing, elle est souvent interpellée par les habitants. Plutôt que de cacher ce qui pourrait être considéré comme du travail préparatoire, le film donne à voir la construction de cette relation. Emmanuelle Demorris opte pour une caméra participante, au sens où l’entendait Jean Rouch. Une caméra au cœur des fêtes, des danses, des interactions. En prenant le temps qu’il faut, elle révèle des personnalités complexes et chaleureuses. Le résultat est une œuvre « poétique et politique, brut de brut et romanesque, concrète et symbolique, rude et sensuelle, qui embrasse la maison et le monde, l’injustice sociale et l’énergie de vivre. Ode à l’esprit de résistance, Mafrouza est un film juste indispensable. » Les inrockuptibles, Serge Kaganski

Ce film-monstre, ce film-monde se déploie en cinq parties intitulées ainsi : Oh la nuit ! / Cœur / Que faire ? / La main du papillon / Paraboles. La réalité se chargera de l’épilogue : Mafrouza a été rasé en 2007, et ses habitants relogés à 15 kilomètres de la ville, dans la radieuse Cité Moubarak.

Mafrouza, le film, est donc tout ce qu’il en reste. Un tombeau poétique, une prophétie politique, un film d’amour.

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