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Le traité des reliques

 Commençons donc par Jésus-Christ, duquel, pour ce qu’on ne pouvait dire qu’on eût le corps naturel (car du corps miraculeux, ils ont bien trouvé la façon de le forger, voire en tel nombre, et toutes fois et quantes que bon leur semblerait), on a amassé, au lieu, mille autres fatras, pour suppléer ce défaut. Combien encore qu’on n’a point laissé échapper le corps de Jésus-Christ sans en retenir quelque lopin.

 Car outre les dents et les cheveux, l’abbaye de Charroux, au diocèse de Poitiers, se vante d’avoir le prépuce, c’est-à-dire la peau qui lui fut coupée à la circoncision ! Je vous prie, d’où est-ce que leur est venue cette peau ? L’évangéliste saint Luc récite bien que notre Seigneur Jésus a été circoncis ; mais que la peau ait été serrée, pour la réserver en relique, il n’en fait point de mention. Toutes les histoires anciennes n’en disent mot.

 Et par l’espace de cinq cents ans il n’en a jamais été parlé en l’Église chrétienne ; où est-ce donc qu’elle était cachée, pour la retrouver si soudainement ? Davantage, comment eût-elle volé jusques à Charroux ? Mais pour l’approuver, ils disent qu’il en est tombé quelques gouttes de sang. Cela est leur dire, qui aurait métier de probation. Par quoi on voit bien que ce n’est qu’une moquerie. Toutefois, encore que nous leur concédions que la peau qui fut coupée à Jésus-Christ ait été gardée, et qu’elle puisse être ou là, ou ailleurs, que dirons-nous du prépuce qui se montre à Rome, à Saint-Jean de Latran ? Il est certain que jamais il n’y en a eu qu’un. Il ne peut donc être à Rome et à Charroux tout ensemble. Ainsi, voilà une fausseté toute manifeste.

 Il y a puis après le sang, duquel il y a eu grands combats. Car plusieurs ont voulu dire qu’il ne se trouvait point du sang de Jésus-Christ, sinon miraculeux. Néanmoins il s’en trouve de naturel en plus de cent lieux. En un lieu quelques gouttes, comme à La Rochelle, en Poitou, que recueillit Nicodème en son gant, comme ils disent. En d’autres lieux, des fioles pleines, comme à Mantoue, et ailleurs. En d’autres, à pleins gobelets, comme à Rome, à Saint-Eustache. Même on ne s’est pas contenté d’avoir du sang simple, mais il l’a fallu avoir mêlé avec l’eau, comme il saillit de son côté quand il fut percé en la croix. Cette marchandise se trouve en l’église de Saint-Jean de Latran, à Rome. Je laisse le jugement à chacun, quelle certitude on en peut avoir. Et même, si ce n’est pas mensonge évident, de dire que le sang de Jésus- Christ ait été trouvé sept ou huit cents ans après sa mort, pour en épandre par tout le monde, vu qu’en l’Église ancienne jamais n’en a été faite mention.

 Il est temps de traiter du suaire, auquel ils ont encore mieux montré tant leur impudence que leur sottise. Car outre le suaire de la Véronique, qui se montre à Rome en l’église de Saint-Pierre, et le couvre-chef que la Vierge Marie, comme ils disent, mit sur les parties honteuses de notre Seigneur, qui se montre à Saint-Jean de Latran, lequel aussi bien est derechef aux Augustins de Carcassonne ; item, le suaire qui fut mis sur sa tête au sépulcre, qui se montre là même ; il y a une demidouzaine de villes, pour le moins, qui se vantent d’avoir le suaire de la sépulture tout entier ; comme Nice, celui qui a été transporté là de Chambéry ; item, Aix en Allemagne ; item, Trèves ; item, Besançon ; item, Cadouin en Limousin ; item, une ville de Lorraine, assise au port d’Aussois ; sans les pièces qui en sont dispersées d’un côté et d’autre ; comme à Saint-Salvador en Espagne, et aux Augustins d’Albi. Je laisse encore un suaire entier qui est à Rome en un monastère de femmes, pour ce que le pape a défendu de le montrer solennellement.

 Je vous prie, le monde n’a-t-il pas été bien enragé, de trotter cent ou six vingt lieues loin, avec gros frais et grande peine, pour voir un drapeau duquel il ne pouvait nullement être assuré, mais plutôt était contraint d’en douter ? Car quiconque estime le suaire être enun certain lieu, il fait faussaires tous les autres qui se vantent de l’avoir ; comme pour exemple : celui qui croit que le drapeau de Chambéry soit le vrai suaire, celui-là condamne ceux de Besançon, d’Aix, de Cadouin, de Trèves et de Rome, comme menteurs, et qui font méchamment idolâtrer le peuple en le séduisant et lui faisant accroire qu’un drapeau profane est le linceul où fut enveloppé son rédempteur.

 Venons maintenant à l’Évangile ; car ce serait peu de chose qu’ils se démentissent l’un l’autre, mais le Saint- Esprit leur contredisant à tous, les rend tous ensemble confondus, autant les uns que les autres. Pour le premier, c’est merveille que les évangélistes ne font nulle mention de cette Véronique, laquelle toucha la face de Jésus- Christ d’un couvre- chef, vu qu’ils parlent de toutes les femmes lesquelles l’accompagnèrent à la croix. C’était bien une chose notable et digne d’être mise en registre, que la face de Jésus-Christ eût été miraculeusement imprimée en un linceul. Au contraire, il semble avis que cela n’emporte pas beaucoup, de dire que certaines femmes ayant accompagné Jésus-Christ à la croix, sans qu’il leur soit advenu aucun miracle. Comment est-ce donc que les évangélistes racontent des choses menues et de légère importance, se taisant des principales ? Certes, si un tel miracle avait été fait, comme on fait accroire, il nous faudrait accuser le Saint-Esprit d’oubliance ou d’indiscrétion, qu’il n’aurait su prudemment élire ce qui était le plus expédient de raconter. Cela est pour leur Véronique, afin qu’on connaisse combien c’est un mensonge évident, de ce qu’ils en veulent persuader.

 Quant est du suaire auquel le corps fut enveloppé, je leur fais une semblable demande : les évangélistes récitent diligemment les miracles qui furent faits à la mort de Jésus-Christ, et ne laissent rien de ce qui appartient à l’histoire ; comment est-ce que cela leur est échappé, de ne sonner mot d’un miracle tant excellent, c’est que l’effigie du corps de notre Seigneur Jésus était demeurée au linceul auquel il fut enseveli ? Cela valait bien autant d’être dit comme plusieurs autres choses. Même l’évangéliste saint Jean déclare comment saint Pierre étant entré au sépulcre, vit les linges de la sépulture, l’un d’un côté, l’autre d’autre. Qu’il y eût aucune portraiture miraculeuse, il n’en parle point. Et n’est pas à présumer qu’il eût supprimé une telle oeuvre de Dieu, s’il en eût été quelque chose.

 Il y a encore un autre doute à objecter, c’est que les évangélistes ne parlent point que nul des disciples, ni les femmes fidèles, aient transporté les linceuls dont il est question hors du sépulcre, mais plutôt ils donnent à connaître qu’ils les ont là laissés, combien qu’ils ne l’expriment pas. Or, le sépulcre était gardé des gendarmes, qui eurent depuis le linceul en leur puissance. Est-il à présumer qu’ils le baillassent à quelque fidèle pour en faire des reliques, vu que les pharisiens les avaient corrompus pour se parjurer, disant que les disciples avaient dérobé le corps ?

 Je laisse à les rédarguer [NDLR : blâmer, accuser] de fausseté par la vue même des portraitures qu’ils en montrent ; car il est facile à voir que ce sont peintures faites de main d’homme. Et ne me puis assez ébahir, premièrement comme ils ont été si lourdauds, de ne point avoir meilleure astuce pour tromper ; et encore plus comment le monde a été si niais de se laisser ainsi éblouir les yeux pour ne voir point une chose tant évidente.

 Qui plus est, ils ont bien montré qu’ils avaient les peintres à commandement. Car quand un suaire a été brûlé, il s’en est toujours trouvé un nouveau le lendemain. On disait bien que c’était celui-là même qui avait été auparavant, lequel s’était par miracle sauvé du feu ; mais la peinture était si fraîche, que le mentir n’y valait rien, s’il y eut eu des yeux pour regarder.

 Il y a, pour faire fin, une raison péremptoire, par laquelle ils sont du tout convaincus de leur impudence. Partout où ils se disent avoir le saint suaire, ils montrent un grand linceul qui couvrait tout le corps avec la tête ; et voit-on là l’effigie d’un corps tout d’un tenant. Or, l’évangéliste saint Jean dit que Jésus-Christ fut enseveli à la façon des Juifs. Et quelle était cette façon, non seulement on le peut entendre par la coutume que les Juifs observent encore aujourd’hui, mais aussi par leurs livres, qui montrent assez l’usage ancien : c’est d’envelopper à part le corps jusqu’aux épaules, puis envelopper la tête dedans un couvre-chef, le liant aux quatre coins. Ce qu’aussi l’évangéliste exprime, quand il dit que saint Pierre vit les linges d’un côté, où le corps avait été enveloppé ; et d’un autre côté le suaire qui avait été posé sur la tête. Car telle est la signification de ce mot de suaire, de le prendre pour un mouchoir, ou couvre-chef, et non pas pour un grand linceul qui serve à envelopper le corps.

 Pour conclure brièvement, il faut que l’évangéliste saint Jean soit menteur, ou bien que tous ceux qui se vantent d’avoir le saint suaire soient convaincus de fausseté, et qu’on voie apertement qu’ils ont séduit le pauvre peuple par une impudence trop extrême.

  • Jean Calvin (Traité des reliques, 1543)

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