France-Congo/ Père Jean-Claude Mbemba «X-Or», spiritain : «Je regrette d’avoir trop pris la place du Christ sans m’en rendre compte»

Père Jean-Claude Mbemba «X-Or»

Père Jean-Claude Mbemba «X-Or»

Chaque année au mois de juin, à la Maison Mère de la Congrégation du Saint-Esprit située au 30 rue Lhomond à Paris (France), les spiritains organisent trois journées d’amitié en faveur de leurs confrères âgés, malades. A cette occasion, La Semaine Africaine a rencontré le père Jean-Claude Mbemba «X-Or», aumônier au crématorium du Père Lachaise et à l’hôpital Marie Curie, qui a bien voulu accorder l’interview ci-après à notre rédaction, pour ses 30 ans de sacerdoce. «J’avais donc utilisé cet outil (c’est-à-dire la sape) qui s’offrait à moi pour ma pastorale comme une arme efficace pour attirer les jeunes», s’explique-t-il.

* Père, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs du journal?

** Je suis prêtre de Jésus Christ, membre de la congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie. Je suis le 3ème spiritain congolais, ordonné le 1er juillet 1984 et j’en profite pour rendre hommage à mes aînés: le père Paul Ondia, premier spiritain congolais d’heureuse mémoire et le père Didace Malanda le deuxième, actuellement à Chevilly-Larue en France.

* Pouvez-vous nous dire ce que vous faites à Paris?

** Après 13 ans aux Etats-Unis, j’ai été affecté dans la province de France, plus exactement ici à la Maison Mère, à la rue Lhomond à Paris. Aujourd’hui, nous sommes en pleine journée d’amitié et le thème de cette année est: «Tous solidaires»! Vous comprenez alors pourquoi je suis ici.

* Quel est le berceau ou l’origine de votre vocation?

** D’abord ma famille. J’avais une sainte mère: Cécile Ngangoula, bien que de confession évangélique au début de mes premiers pas, qui m’a soutenu jusqu’au bout, en devenant elle-même catholique. Le deuxième berceau tout aussi important que le premier, a été ma paroisse Saint-François de Pointe-Noire où j’ai fait mes premiers pas dans la vie chrétienne. Les pères Léandre Michel, Georges Laloux, Pierre Dérive ont été à l’origine de ma vocation; même si c’est Dieu qui appelle. Je n’oublie pas des frères comme Farias Milandou, qui m’a appris à servir à l’autel de Dieu, comme enfant de chœur et Komité qui m’ont accompagné, tous les deux, dans mon cheminement.

* Missionnaire à la paroisse Saint-Kisito de Makélékélé à Brazzaville, il y a quelques années, quels sont les bons et mauvais souvenirs sur la pastorale que vous y avez menée?

** Je ne peux pas parler de Kisito sans parler de la paroisse Notre-Dame des Victoires (Sainte-Marie) de Ouenzé au nord de Brazzaville. Comme on dit dans le langage: «Ouenzé a fulanganguengue, Ouenzé a sala que père X-Or a zala». Je n’ai aucun regret des moments passés à Ouenzé et à Kisito. Même les moments les plus difficiles ont été des lieux de mûrissement de ma foi et des occasions d’aller plus loin dans ma vocation. Léonard de Cohen a dit: «Dans toute chose, il y a une faille et c’est par cette faille que la lumière passe.

Heureux les faillés, car ils recevront la lumière». Si regret il devait y avoir aujourd’hui, c’est peut-être d’avoir trop pris la place du Christ. Sans m’en rendre compte, je n’ai pas su parfois m’effacer pour me faire oublier et laisser toute la place au Christ car à lui seul reviennent tout honneur, toute gloire et louange. Quand la mission est pensée et vécue communautairement, les joies et les peines sont partagées ensemble et on se rappelle que nous ne sommes que des serviteurs inutiles.

* Quel lien faites-vous entre sacerdoce et sapologie, un concept dont vous êtes aussi connaisseur?

** Avant de répondre à cette question, je voudrais faire un clin d’œil au professeur Ngoïe-Ngalla que je respecte et admire beaucoup. Je veux juste le rassurer, ainsi que de nombreuses autres personnes que je suis toujours prêtre de Jésus-Christ. Et pour répondre à la question, je ne suis pas sûr qu’il y ait un lien entre le sacerdoce et la sapologie. Le sacerdoce trouve son origine d’abord dans l’Ancien Testament et peut-être même avant, lorsqu’on était au service du temple, prêtre de père en fils. Je pense à la tribu des Lévites (le professeur Ngoïe-Ngalla saura mieux que moi vous répondre sur ce point d’histoire). Ensuite, il y a eu le grand prêtre Jésus lui-même, le grand prêtre par excellence de qui je tiens mon sacerdoce. Si la sapologie est l’art de savoir se vêtir et de bien mélanger les couleurs en se gardant bien sûr d’emporter plus que trois sur soi, nous sommes bien évidemment aux antipodes de la notion du sacerdoce.

Il y a trente ans, comme l’encourage le pape François, je suis allé à la périphérie de mon Église qui se trouvait être la jeunesse de mon pays qui avait beaucoup souffert (je parle de ceux qui me l’ont avoué, de ceux qui croyaient aux instances politiques, mais qui souffraient en même temps de ne pas pouvoir vivre ouvertement leur foi chrétienne), des mouvements de jeunesse marxiste-léniniste. Dans cette vague de flottement, avait resurgi le mouvement de la «sape» et non la «sapologie». J’avais donc utilisé cet outil (c’est-à-dire la sape) qui s’offrait à moi pour ma pastorale comme une arme efficace pour attirer les jeunes. Je laisse à chacun le droit de juger cette action avec la liberté des enfants de Dieu que nous sommes. Mais je ne permettrais à personne de raconter à tout vent qu’en voulant sauver les jeunes, c’est moi qui me suis perdu en fin de compte.

Non! Ce n’est pas moi qui sauve, ou qui change le cœur de l’homme. C’est le Christ Seigneur. Et pendant toutes ces années, la jeunesse a été ma préoccupation missionnaire. C’était d’ailleurs l’esprit de ma lettre de mission. Comme pour mener une enquête, il y a plusieurs manières d’agir, moi, j’avais choisi l’immersion dans cet environnement. Je recommencerais si c’était à refaire.
Je n’ai jamais été un sapelogue. J’ai toujours pensé que les sapelogues comme tout être humain, étaient très aimés de Dieu et qu’ils avaient aussi besoin que quelqu’un leur apporte une parole d’espérance.

* Et le prêtre aujourd’hui dans la société?

** Le prêtre d’aujourd’hui doit être capable de rendre compte de sa foi et de son espérance, comme nous le demande Saint Pierre. Il doit annoncer plus d’évangile que de religion: qu’il s’occupe plus de l’éthique que de religion. Le prêtre doit plus annoncer un évangile qui donne du sens à l’humain et à la fraternité humaine. Aimer vient de Dieu et le prêtre doit savoir faire exister cet amour de Dieu pour les hommes et les hommes entre eux.

Le monde change et avec les nouvelles technologies naissent de nouveaux besoins, des nouvelles soifs. Le prêtre doit être prêt à s’attaquer à des nouvelles évangélisations, tout en restant fidèle à la foi des apôtres, fidèle à l’évangile et à la fraction du pain. J’ai vu à la télévision une religieuse participer à l’émission «The voice» et chanter à merveille du Hip hop. Je crois qu’en une soirée, elle a touché le cœur de milliers de jeunes et réconcilié des centaines de gens avec l’Église (non la religion). Le prêtre d’aujourd’hui doit savoir accepter de faire une grande place à la femme pour l’évangélisation du monde d’aujourd’hui. Je m’explique: si nous devons tous notre éducation à une femme qui a été notre mère, l’Église devrait donner un peu plus de place à la femme pour l’évangélisation. Ce qui du reste n’est pas nouveau. Le pape François essaie d’aller dans ce sens. Pour moi, l’évangile, c’est d’abord vivre l’amour et cet amour me permet de vivre en Église.

* Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut devenir prêtre?

** Mais qui suis-je pour m’octroyer le droit de donner des conseils à un jeune? Ce n’est pas parce que j’ai trente ans de prêtrise que je sais tout. Moi-même, je continue d’apprendre tous les jours à travers toutes les rencontres humaines joyeuses et douloureuses (même à côté et avec de très jeunes prêtres qui ont tout juste quelques années de service). Aujourd’hui, je suis aumônier au crématorium du Père Lachaise et à l’hôpital Marie Curie. Je côtoie la douleur et la souffrance humaine et pourtant au milieu de cette souffrance surgit parfois une parole d’espérance qui fait avancer l’humain. Au jeune qui veut devenir prêtre, je dirais d’aimer vraiment le Christ, de croire en l’humain. Et comme dit Saint Augustin: «Aime et fais ce que tu veux». Enfin, un grand merci à mon mentor, le père René Tabard, spiritain.

Lasemainafricaine.net propos recueillis par Jean-Baptiste MILANDOU

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