Penser l’après Macron

Le débat n’est pas un facteur d’instabilité lorsqu’il est organisé par et dans des institutions adéquates, bien au contraire il permet des décisions politiques adaptées aux réalités.

Emmanuel-Macron  “conducator” des Français (Image par Grégory ROOSE de Pixabay)

Penser l’après Macron comme solution à la crise que traverse actuellement la France, implique qu’il s’agirait là d’une réponse, voire de la réponse à tous  les mots qui nous accablent. Certains objecteront que couper une tête  ne suffit pas à mettre fin à un système : cela se discute. L’histoire en témoigne : la fin d’un autocrate ne met pas toujours fin à la forme de pouvoir qu’il a exercé, mais parfois oui. Disons que la fin d’un autocrate ouvre un moment où le changement de régime politique est possible, mais pas certain. Un autre autocrate peut remplacer le « sortant » et le retour à la démocratie dépend de multiples facteurs : l’état des rapports sociaux où se confrontent les intérêts particuliers à telle ou telle classe, la condition politique dans laquelle se trouvent les citoyens (1), l’état plus ou moins favorable de l’environnement physique où se déroulent les activités humaines.
Pour ce dernier facteur, la pandémie du Covid-19 crée un contexte qui met particulièrement en lumière les dysfonctionnements de notre système politique : ce qui était auparavant peu visible, voire occulté, est rendu évident à tous qui en éprouvent les effets dans leur vie quotidienne.

Mais penser l’après Macron c’est d’abord  comprendre ce qui a produit un président de la République disposant de pouvoirs inégalés chez ses collègues occidentaux.

La présidence de Macron se situe au bout d’une longue évolution de nos institutions basées sur la constitution de la Vème  République. Cette constitution s’est fondée à la fois en réaction à celle de la IVème république, à qui on reprochait un parlementarisme excessif, créant une instabilité politique qui rendait difficile la conduite des affaires du pays, mais aussi pour faire place à un homme d’envergure politique exceptionnelle, De Gaulle, réputé auprès d’une large partie de l’opinion être le sauveur de la France.
Les nouvelles institutions visaient avant tout à créer une stabilité du pouvoir politique, doté d’un exécutif reposant sur un premier ministre fort, nommé par le président et un président de la République, élu au suffrage universel, garant des nouvelles institutions. La situation d’un président et d’un premier ministre de bords politique opposés, rendue possible par cette constitution fut ressentie comme un frein après plusieurs périodes de cohabitation. Cela a conduit en 2001 à un changement de calendrier électoral : le parlement est désormais élu quelques semaines après l’élection présidentielle. 

Cette modification a renforcé considérablement le pouvoir présidentiel, puisqu’elle garantit pratiquement une majorité de députés du même bord que le président, et que ces députés lui doivent leur en grande partie leur élection, faite dans le sillage du succès présidentiel.
Se pose alors la question du mandat confié à ces députés de la majorité présidentielle : leur élection est moins due à l’aboutissement d’un débat politique où le mandat de représentation est confié par les électeurs à celle ou celui dont ils agréent les propositions, mais ces électeurs tendent majoritairement à choisir le candidat qui s’engage à soutenir l’action du président qu’ils viennent d’élire. Dans de telles conditions ces députés sont-ils encore les représentants de leurs électeurs ?
Ce doute se confirme lorsqu’on se rappelle certaines déclarations des parlementaires macronistes, dont le président du groupe LREM, Gilles Le Gendre qui déclarait en 2018 que l’erreur des députés de son parti était d’« avoir probablement été trop intelligents, trop subtils, trop techniques » dans leurs explications des mesures prises par le gouvernement. On peut voir dans cette déclaration un signe de la distance qui s’est établie entre les parlementaires et leurs électeurs, mais aussi l’expression d’un certain mépris des citoyens de base, désignés en d’autres circonstances par E. Macron comme « ces gens qui ne sont rien ».

L’histoire des institutions de la Vème République est celle de l’attrition progressive de l’écoute des citoyens par le pouvoir en place : depuis le départ de De Gaulle, qui avait tiré les leçons de son échec au référendum de 1969 sur la régionalisation, ni le président Chirac qui n’a pas tenu compte du « non » au référendum de 2005 sur la constitution européenne, ni son successeur Sarkozy qui signa le traité de Lisbonne sans référendum, n’ont tenu compte de la Vox Populi, c’est à dire de l’avis majoritaire des citoyens.

Le souci de stabilité a finalement débouché sur un fonctionnent monolithique nos institutions : il y a un bloc compact qui associe président, gouvernement et parlementaires affidés, unis par de mêmes références idéologiques, peu ou pas débattues et puis il y a les autres…
Si peu ou pas de débats à l’intérieur de la majorité macroniste, si peu ou pas de débats avec des oppositions parlementaires, menées s’il le faut à la trique du 49/3, si peu ou pas de débats avec un peuple qu’on n’écoute pas ou qu’on feint d’entendre (cf. : le Grand débat national 2019, la Convention citoyenne pour le climat, etc.). Comment dans de telles conditions, pourrait-il se faire une politique raisonnée et raisonnable ? Alors, droits dans leurs bottes, nos gouvernants persistent dans leurs idées, dans leurs perceptions biaisées de notre société et de l’état du monde et se trompent… Leur gestion de la pandémie du Covid-19 en est un témoignage saisissant, un festival d’erreurs !
Le débat n’est pas un facteur d’instabilité lorsqu’il est organisé par et dans des institutions adéquates, bien au contraire il permet des décisions politiques adaptées aux réalités.

L’état de nos institutions provoque l’émergence d’un autre danger : celui de soumettre le pouvoir politique au service d’intérêts particuliers. Aujourd’hui la soumission du pouvoir politique à la finance est incessamment évoquée. Mais il est vrai que prendre le contrôle de notre système présidentiel est devenu facile : on peut fabriquer un candidat ex-nihilo, sans passer par son apprentissage au sein d’une formation politique et par la pratique d’un mandat électoral. Les techniques de marketing et de formatage de l’opinion permettent de sortir du chapeau, en quelque mois, en l’intégrant à quelques réseaux d’influence bien choisis, en présentant à l’opinion un candidat présentable remarquable par son intelligence et sa “technicité” et en transformant quelques aptitudes à la comédie en postures de communiquant. On obtient alors un président de la République au service de ceux qui l’ont fait et tout l’appareil pyramidal d’Etat suit : la présente édition du Clairon en fournit quelques illustrations…

Alors oui il faut faire partir le président Macron et la pyramide qui ne tient que par son sommet aura de fortes chances de se disloquer.

Mais ce moment où un changement politique serait possible, aboutira-il vraiment à un changement de nos institutions ?

Le peuple est mal en point, négligé, voire méprisé par les gouvernements et les présidents qui se sont succédé, il tend à ne plus croire à un pouvoir politique qui lui manifeste si peu d’attentions. Ce manque de reconnaissance lui donne le sentiment que dans ce monde organisé par le néo-libéralisme, lui ou un autre c’est pareil, qu’il est remplaçable, ne vaut rien et n’est rien…L’individu réifié à qui on nie ses qualités propres, son expérience n’a pour tout choix que constater son impuissance et se laisser couler ou alors se conformer au système capitalise en devenant un “winner” compétitif, performant, productif, en concurrence avec l’autre au détriment de la solidarité.

A la base de notre société les troupes ne sont pas en bon état : il s’agit de les réarmer moralement et politiquement, de leur donner des conditions de vie décentes si l’on veut en faire des acteurs efficaces du changement démocratique de nos institutions.

Chaque jour les mesures prises par nos gouvernants actuel montrent que, sous des discours proclamant avoir compris les leçons de l’épidémie actuelle et leur intention de changer de politique, ils ont le souci de mettre en place un lendemain de crise qui ne fera que renforcer la politique menée jusqu’à présent au service de leurs donneurs d’ordres : moins de démocratie, moins de libertés, plus de répression, plus d’exploitation des travailleurs, plus d’inégalités.
Une course de vitesse est engagée, les citoyens, dans l’état où ils se trouvent actuellement,  auront-ils assez de forces pour contrer cette politique ? En tout cas le temps presse, il s’agit dès maintenant de réfléchir concrètement aux institutions que nous voulons, tout en donnant à nos concitoyens, par l’information et l’éducation populaire, les moyens de débattre, de former et d’exprimer leur volonté sur ce que doit être la société de demain. Ce travail doit s’initier à l’échelle de réseaux de proximité, on voit mal comment se réapproprier la chose publique autrement que par le local

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 22/04/2020

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Notes
  1. à prendre dans un sens analogue à celui de condition physique[]
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