Etat d’ivresse de Denis Michelis

ETAT D'IVRESSE

État d’ivresse brosse le portrait d’une femme brisée qui, en s’abîmant dans l’alcool, se fait violence à elle-même. La mère d’un adolescent, en état d’ivresse du matin au soir, se trouve en permanence en errance et dans un décalage absolu avec la réalité qui l’entoure. Épouse d’un homme absent, incapable d’admettre sa déchéance et plus encore de se confronter au monde réel, elle s’enferme dans sa bulle qui pourtant menace de lui éclater au nez.

Pourquoi j’ai choisi ce livre

Non choisi, lecture faite dans le cadre du comité de lecture de ma bibliothèque mais un thème qui m’interpelle, une maison d’éditions que j’aime.

Ma lecture

On ne sait pas pourquoi, on ne sait pas depuis quand, mais c’est un fait : elle boit….

Elle boit, elle sombre, plus rien n’arrive à la sortir de cet état d’ébriété où elle s’enfonce de jour en jour. Personne, même pas Tristan, son fils de 17 ans, sa chair, son sang mais pas son alcool car l’alcool désormais prend le dessus sur tout : sa famille, son travail, ses voisins, son moi.

Chaque journée n’est faite que de mensonges, de dissimulations, de petits arrangements avec soi et avec les autres pour boire, elle croit que personne ne sait ou ne voit alors que tous savent mais sont désarmés, impuissants ou ont peur. Elle se détruit, lentement mais sûrement. Elle perd l’amour que ses proches lui portent, elle n’a plus d’amis,  elle risque de perdre son boulot et elle se perd également : les rares fois où elle se voit elle ne se reconnaît plus.

Elle, elle a un job, c’est d’écrire des articles, chez elle, pour un magazine grand public mais comment écrire quand les mots se dérobent, quand les idées se font la belle, quand l’encre est alcool et transforme vos idées, vos mots et votre cerveau : tout se dilue et fonctionne au ralenti, les heures ne comptent plus, seul compte le moment où la flasque sera à portée de main et vous sauvera du naufrage.

Elle, elle est seule, un mari en déplacement toute la semaine et qui est sur le point de de l’abandonner, un fils qui tente de la repêcher mais est à bout, il est l’enfant et ne veut pas devenir l’adulte de sa mère, il y a Célia, la voisine, qu’elle terrorise et qui est sur le point de craquer. Tout le monde est à bout mais elle tient bon la barre de son navire sans voir qu’il sombre.

Elle, elle est seule et n’a pour compagnie que les quelques bouteilles dissimulées çà et là dans la maison. Heureusement elles sont là, elles la rassurent, elles sont le remède à tout, plus de problème, plus de soucis, elle flotte, vole, dort et perd toute notion du temps et de l’heure.

C’est un court roman qui retrace une semaine de la vie d’une alcoolique, sa lente descente aux enfers car il s’agit bien d’enfer, le cheminement de cette femme qui semblait tout avoir pour être heureuse : une maison, un mari, un fils, une situation mais que rien n’arrive à sauver. Elle nous raconte, elle se raconte mais ce qu’elle ne voit pas c’est sa déchéance, le constat de ces journées inutiles, de ces journées de brouillard dont elle ne sort pratiquement jamais.

Pas à pas, verre après verre, elle s’enferme dans des mensonges qu’elle seule croit, elle maîtrise la situation,  mais à force de s’approcher du bord du précipice, ne va-t-elle pas basculer. Mais inconsciemment, n’est-ce-pas ce qu’elle cherche : se noyer, oublier, se donner la force de tenir encore, allez un petit dernier pour la route…..

J’ai trouvé que Denis Michelis restituait parfaitement cet état d’ivresse, d’inconscience, de déni dans lesquels l’héroïne s’enferme. Cette soif inextinguible, ce goût pour l’alcool toujours plus , toujours plus fort, la peur du manque, les subterfuges pour s’en procurer, sans sentiment de se détruire, de détruire ceux qui vous entourent. C’est une drogue accessible, destructrice, silencieuse mais visible, c’est une plongée dans un enfer dont on ne ressort jamais indemne, ni pour celui qui boit ni pour ceux qui l’entourent.

Au fil des jours le récit prend des allures d’une descente aux enfers, elle s’enfonce dans ses promesses de s’en sortir mais en a-t-elle la volonté ? Maîtrise-t-elle la situation ? Elle le pense, mais c’est un jeu dangereux. Dans les derniers chapitres le rythme ralentit, comme son cerveau qui s’embrume et l’apocalypse s’annonce :

Et tes prévisions ont vu juste, la brume ne devrait pas tarder. Et s’en viendront des chevaux d’écume montés de leurs cavaliers blancs, et à la première occasion ils me feront sauter la tête avec leur faux (p163)

Donner la parole à celle qui boit, vivre à son rythme, dans son ressenti sans chercher à expliquer le pourquoi, se plonger dans son quotidien, dans sa quête du « médicament » son anti-dépresseur à elle aux effets rapides et salvateurs qui lui donne la puissance et un pouvoir qu’elle n’a plus,  Il lui permet une vision des choses, des autres et d’elle qui est faussée mais elle n’en a pas conscience. Elle vit dans son monde, à elle. Mais ce monde a ses limites, la famille s’épuise, se lasse, comprend que plus rien ne peut l’aider et parfois la fuite est nécessaire afin de ne pas sombrer soi-même.

Tout cela l’auteur le restitue parfaitement, il nous fait boire la coupe jusqu’à la lie, jusqu’à la dernière goutte et nous ne demandons pas un dernier verre pour la route, car après un tel récit, on reste la gorge nouée, on ne peut rien avaler. Denis Michelis ne cherche pas à donner des réponses, c’est un témoignage d’une femme alcoolique, qui nous raconte une semaine de sa vie, qui ne voit pas pourquoi sa famille s’éloigne, pourquoi plus personne ne l’aide, qui sombre dans son Etat d’Ivresse.

C’est du brut, c’est fort, ça brûle comme un alcool fort mais cela permet de mettre en lumière, une femme, qui peut être n’importe quelle femme qui boit, seule chez elle……

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Editions Notabilia – Janvier 2019 – 163 pages

Ciao

4 réflexions sur “Etat d’ivresse de Denis Michelis

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