Annexe du livre La reconsolidation thérapeutique de la mémoire : Transformer les schémas émotionnels avec la Thérapie de la cohérence

Introduction

Imaginez qu’une femme vient vous consulter pour un problème de jalousie et un manque de contrôle qui l’amène à agir de manière impulsive. Lorsque son conjoint et elle se retrouvent dans un groupe, il lui arrive régulièrement de réagir vertement aux interactions que son conjoint peut avoir avec d’autres femmes. Par exemple, elle rapporte l’avoir déjà giflé pour cette raison. Quel changement viseriez-vous avec elle ? Mettre fin à ses réactions impulsives ? Ou chercher à faire en sorte qu’elle n’éprouve plus ce sentiment de jalousie qui la conduit à de tels gestes ? Il existe autant de réponses que d’approches thérapeutiques, voire de thérapeutes ! Selon les écoles de thérapie, le succès ne serait pas mesuré de la même façon.

Considérons la première option. Déjà, plusieurs options thérapeutiques s’offrent à vous. Par exemple, vous pourriez choisir de développer les capacités de mentalisation et de pleine conscience de cette femme face à la réactivation de ce qu’elle décrit comme son sentiment de jalousie. Vous pourriez augmenter sa sensibilité aux réactions physiologiques qui accompagnent ce sentiment. Elle pourrait ainsi devenir plus consciente de l’état subjectif qui provoque sa tendance à agir de manière agressive dans de telles situations. Cela l’aiderait à créer un espace décisionnel qu’elle n’avait pas auparavant. Elle pourrait maintenant choisir d’inhiber sa tendance à l’action dans ces circonstances. Cela serait évidemment une amélioration appréciable par rapport à son état initial. 

Examinons de plus près l’effet de cette intervention d’un point de vue neuropsychologique. Comment cette femme est-elle devenue jalouse? Elle a été exposée à des expériences qui l’ont amenée à faire l’apprentissage automatique des comportements, pensées et émotions liées à la jalousie. C’est un état acquis auquel correspond une structure neuronale donnée, plus ou moins complexe selon ses connexions à d’autres systèmes. Nous allons utiliser des jeux de modélisations simples pour illustrer ce à quoi nous référons lorsqu’il est question d’encodages de mémoires. 

Encodages de la jalousie

Dans l’éventualité où votre intervention a l’effet désiré, votre cliente va apprendre de nouveaux outils, donc former de nouveaux apprentissages, pour l’aider à composer avec l’intensité de son sentiment de jalousie qui l’amène à agir de manière impulsive. Au terme de l’intervention, imaginons que les apprentissages sont maintenant encodés ainsi:

 En apprenant un comportement d’inhibition pour contrôler l’impulsivité de son comportement jaloux, les deux structures neuronales d’apprentissages se retrouvent donc naturellement en compétition l’une avec l’autre. Lorsqu’une thérapeute définit son rôle et ses objectifs thérapeutiques comme étant d’enseigner et guider l’apprentissage de nouvelles techniques et outils visant à gérer ou affaiblir les symptômes, cet effet thérapeutique est considéré comme une réussite. Et pour cause; au terme de cette intervention, cette femme rapportera probablement qu’elle ne gifle plus son mari et contrôle beaucoup mieux ses comportements jaloux en situation sociale. Elle risque aussi fortement de rapporter un plus grand bien-être dans ces situations. 

Lorsque l’intervention vise à créer de nouveaux apprentissages, elle facilite la création de nouveaux encodages dans la mémoire. C’est la raison pour laquelle ce type de changement est qualifié d’incrémentiel: l’intervention ajoute quelque chose à la mémoire. Avant que la recherche fondamentale n’ait identifié précisément l’effet de la reconsolidation de la mémoire émotionnelle, ce type de changement représentait l’objectif le plus souhaitable pour de nombreux psychothérapeutes (les approches cognitivo-comportementales de 1ère, 2è et 3è vague par exemple) : créer un encodage assez solide pour qu’il arrive à atténuer le symptôme et/ou le contrôler ou le contourner dans une mesure assez grande pour que la personne puisse retrouver un bon fonctionnement dans ses différentes sphères de vie. 

Imaginons cette fois que l’intervention s’effectue dans la 3è vague de la thérapie cognitivo-comportementale. La thérapeute pourrait, par exemple, collaborer avec cette femme pour construire une Matrice qui reflète son état de lutte contre ses symptômes, normaliserait avec elle, grâce à la psychoéducation, ses sentiments et pensées jalouses en évitant de les présenter comme étant pathologiques, et l’encouragerait, en lui apprenant des outils comme la pleine conscience, l’auto-compassion, l’acceptation et la défusion cognitive, à créer un espace dans lequel elle pourrait orienter ses comportements en fonction de ses Valeurs. Ainsi, elle cesserait de lutter contre ses réactions jalouses envers son conjoint et pourrait faire des choix différents afin d’avoir une vie plus inspirante et plus riche. De même, la réussite de cette intervention créerait de nouveaux apprentissages dans la mémoire de cette femme, ce qui pourrait prendre la forme suivante:

   

Encore une fois, sur le plan neuronal, l’impact de ce type d’intervention reste le même: une nouvelle trace correspondant aux apprentissages thérapeutiques est créée et renforcée par la validation et la répétition, et se retrouve naturellement en compétition avec les encodages originaux. Là encore, il s’agit d’un objectif thérapeutique parfaitement acceptable et partagé par nombre de professionnels. Il s’agit également d’un succès thérapeutique bien validé empiriquement et facilement mesurable. Si cette femme diminue de 70% ses comportements colériques, elle améliorera significativement son comportement. D’un point de vue de la mémoire émotionnelle, toutefois, l’intervention a créé un incrément, un ajout, faisant en sorte que la cliente inhibe 70% de ses comportements colériques. Ils n’ont pas disparu, ils sont seulement inhibés. 

Il est absolument possible que la cliente vive aussi une transformation profonde au cours de ces types d’interventions dites incrémentielles ou correctrices. En effet, il se pourrait que des circonstances fassent en sorte que le cerveau émotionnel de la cliente rencontre toutes les conditions nécessaires pour effectuer une reconsolidation thérapeutique de sa mémoire sur les encodages correspondant à sa problématique de jalousie colérique. Ce que nous mettons en relief ici, c’est que la structure interne de ces interventions favorise d’abord et avant tout un type de changement correctif ou incrémentiel. Les transformations, bien que possibles, sont fortuits car la structure d’intervention ne systématise pas la présence des étapes nécessaire à la reconsolidation thérapeutique de la mémoire et ne prévoit pas de mesures claires et essentielles qui permettent de valider qu’elle a bel et bien eu lieu.

Il est donc important pour nous de bien insister sur ce point. Notre intention n’est pas de qualifier ces types de changement comme étant supérieurs ou inférieurs l’un envers l’autre, mais plutôt de les différencier au niveau de leur impact neuronal. Selon les contextes (état de crise, nombre de rencontres très restreint), et parfois selon les capacités des clients ou leurs demandes, un type de changement thérapeutique sera préféré à un autre, et l’intervention le reflètera. 

Imaginons encore que la thérapeute souhaite miser sur la relation thérapeutique pour aider cette cliente. Elle fait par exemple l’hypothèse que ces états subjectifs de jalousie sont liés à des enjeux d’attachement insécure et elle souhaite favoriser des expériences correctrices à l’intérieur de la relation thérapeutique pouvant avoir un impact sur le problème de la cliente. L’empathie sincère de la thérapeute envers la cliente est souvent considérée comme un élément essentiel de cette expérience correctrice. Il est possible que cette expérience d’attachement sécurisant avec la thérapeute rencontre les conditions nécessaires à la reconsolidation thérapeutique de la mémoire et déclenche une transformation profonde chez elle. Or, il n’est pas toujours certain que cette expérience visera directement l’encodage de cet attachement insécure. Il n’est pas rare qu’une cliente vive cette expérience de façon fort positive, mais liée à un contexte très spécifique, soit celui de la relation avec cette thérapeute. Si c’est le cas, rien n’assure au départ que ce nouvel encodage modifiera l’encodage original. Notre cliente pourrait donc, malgré cette expérience, toujours éprouver les mêmes enjeux lorsqu’elle se retrouve en situation sociale avec son conjoint.

On voit ici que l’incrément, sans être directement en compétition avec l’encodage initial devenu problématique, constitue un apprentissage qui n’a pas d’impact direct sur lui dans les contextes où il s’active (interactions sociales en présence du conjoint).

Finalement, imaginons un autre type d’intervention.  L’interprétation a eu ses heures de gloire dans l’histoire de la psychothérapie; elle demeure toujours une intervention privilégiée par certains psychothérapeutes. Ainsi notre psychothérapeute a minutieusement reconstitué l’histoire du développement psychologique de la cliente. Il devient clair pour elle que des expériences d’abandon de la petite enfance vécues par la cliente sont à l’origine de ses appréhensions et du sentiment de jalousie qui en découle. Elle choisit alors d’interpréter régulièrement les réactions actuelles de la cliente en fonction de ses traumatismes passés. Et supposons que cette thérapeute expérimentée a vu juste (même s’il n’est pas vraiment possible de déterminer cela de façon certaine) quant aux conditions antérieures qui ont créé cet encodage associé au problème de jalousie. Mais comprendre un patron réactionnel automatique ne conduit pas automatiquement à sa modification et ce, pour deux raisons principales (tel que discuté au chapitre 2). 

Dans un premier temps, cette nouvelle connaissance sera probablement encodée à un niveau autre que celui d’une mémoire émotionnelle (système limbique) et ne pourra pas avoir d’effet modificateur sur cette mémoire émotionnelle. Notre cliente pourrait donc comprendre intellectuellement sans réagir autrement au plan subjectif. Sa connaissance des raisons de ses réactions coexisteraient avec la persistance de ses mêmes réactions. Peut-être qu’elle permettrait par ailleurs un certain contrôle volontaire de la dimension comportementale de cette réaction. Lorsque la nouvelle connaissance ne provient pas de la cliente mais de la thérapeute, elle risque de demeurer une information extérieure, même si elle la juge cognitivement pertinente. Rien n’assure que la vérité émotionnelle de cet encodage soit assumée. En cela, les conditions nécessaires à la reconsolidation thérapeutique de la mémoire ne seraient alors pas réunies. 

Dans un deuxième temps, la cliente pourrait vivre une intégration émotionnelle de l’interprétation de sa thérapeute, ou encore avoir participé directement à cette élaboration en faisant des liens bien sentis. Toutefois, si cette intégration émotionnelle n’est pas exposée à une expérience vivante contradictoire, les conditions nécessaires à la reconsolidation thérapeutique de la mémoire ne seront toujours pas réunies. En d’autres termes, même en ressentant pourquoi sa jalousie est aussi intense en raison de ses traumatismes d’abandon, sans une expérience directe précisément contradictoire à ces prédictions émotionnelles bien assumées, la détection d’erreur ne se fera pas et la reconsolidation ne se produira pas.

Chapitre 1

Traduction libre de: “A new theory is taking hold in neuroscience. The theory is increasingly being used to interpret and drive experimental and theoretical studies, and it is finding its way into many other domains of research on the mind. It is the theory that the brain is a sophisticated hypothesis-testing mechanism, which is constantly involved in minimizing the error of its predictions of the sensory input it receives from the world.” (Jakob Hohwy. 2013. The Predictive Mind. UK: Oxford University Press)

Chapitre 2 (section 9)

  • La nature d’un apprentissage émotionnel

L’état de la recherche permet maintenant d’affirmer que la stabilité d’un apprentissage n’est pas un acquis, et que des mécanismes biologiques antagonistes s’opposent constamment pour déterminer la mémorisation ou l’oubli (Migues et al., 2010; Pastalkova et al., 2006; Sacktor 2011; Shema et al., 2011…réf dans article Haubrich 2018). En outre, le rappel n’est plus considéré comme étant la lecture passive d’un encodage en mémoire à long terme, mais plutôt comme un processus actif qui peut profondément modifier la stabilité de cet apprentissage à travers le processus de reconsolidation (Haubrich & Nader 2018).

  • Les éléments essentiels de la reconsolidation transformatrice

Il y a donc deux éléments (la prédiction et la réalité) dont la rencontre déclenche un processus neurochimique complexe. Les facteurs de ces deux éléments qui déterminent la présence ou l’absence de transformation sont maintenant connus dans la littérature, et sont nommés « conditions limites » (Haubrich & Nader 2018). Ils ont trait aux caractéristiques de l’apprentissage cible, et à la manière dont la mémoire est réactivée. 

  1. Caractéristiques de l’apprentissage cible

Deux caractéristiques ressortent de manière importante dans la littérature. La première est l’intensité de l’apprentissage. Les études décrivant un protocole d’apprentissage de très haute intensité (Eisenberg et al. 2003; Suzuki et al. 2004; Wang et al. 2009; Winters et al. 2009) ou divers types d’apprentissage (García-De La Torre et al. 2009 ; Lee 2010 ; Morris et al. 2006 ; Rodriguez-Ortiz et al. 2005 ; Rodriguez-Ortiz et al. 2008) rapportent que les apprentissages cibles qui en résultent ont moins tendance à être affectés par un agent chimique suite à la réactivation. La deuxième condition frontière est l’âge du souvenir. Certaines études ont montré que des délais plus grands entre les séances de conditionnement et de réactivation créent une sorte d’effet protecteur qui nuit aux interférences post-réactivation (Baratti et al. 2008; Eisenberg and Dudai 2004; Frankland et al. 2006; Milekic et Alberini 2002; Suzuki et al. 2004; Haubrich et al. 2015; Bustos et al. 2009). 

  1. Caractéristiques de la réactivation

Une réactivation trop courte ne déclenche pas la reconsolidation (Bustos et al. 2009 ; Lagasse et al. 2009) tandis que des réactivations prolongées sans renforcement mènent à l’extinction (voir la section sur la différence entre la reconsolidation et l’extinction pour une discussion sur ce sujet); (Eisenberg et al. 2003 ; Lee et al. 2006 ; Mamiya et al. 2009 ; Pedreira and Maldonado 2003 ; Perez-Cuesta and Maldonado 2009 ; Suzuki et al. 2004). De plus, il est mentionné dans la littérature que la reconsolidation est limitée lorsqu’elle survient dans un contexte spatial différent (Hupbach et al. 2008), quand elle est prévisible (Forcato et al. 2009 ; Morris et al. 2006 ; Osan et al. 2011 ; Pedreira et al. 2004 ; Robinson et al. 2011), quand le stimulus n’est pas directement lié à l’apprentissage cible (Debiec et al. 2006) ou quand elle se produit pendant le sommeil (Diekelmann et al. 2011). Les facettes de la relativité du décalage sont discutées à la fin du présent chapitre. 

À l’origine, ces données ont laissé croire que la reconsolidation transformatrice était impossible dans certains cas, comme pour les apprentissages anciens. Heureusement, d’autres données ont démontré que ces conditions frontières ne sont pas absolues, et donc peuvent être déjouées pour permettre à la reconsolidation de se produire même dans le cas des mémoires intenses (Suzuki et al. 2004; Wang et al., 2009; Robinson et Franklin 2010) et anciennes (Brunet et al. 2008; Debiec et al.; Diergaarde et al., 2006; Lee et al. 2006; Robinson et Franklin 2010; Romero-Granados et al. 2010; Wang et al. 2009). Pour un tableau récapitulatif, voir Haubrich et Nader 2018 (tableau 3).

  • La différence entre une reconsolidation endogène et exogène

Comme toujours, cependant, pour comprendre comment ce clivage peut quand même être contourné, de manière accidentelle ou non, il importe de se détacher de la procédure et de réfléchir en termes d’expérience. En examinant l’expérience d’une séance dans laquelle une intervention de type exogène a eu lieu, on pourrait quand même identifier des éléments indiquant que les conditions de l’étape 3 ont bel et bien eu lieu, sans que ce soit nécessairement prévu par le protocole d’intervention exogène. Il suffit d’imaginer comment la présence rassurante du thérapeute permettant au patient de rester en présence de son matériel fortement anxiogène, puisse créer une telle expérience incompatible avec l’un des schémas cible d’un individu (B+C spécifique à l’apprentissage cible). De manière plus audacieuse, on pourrait aussi spéculer que l’effet de l’agent chimique lui-même puisse créer un certain type d’expérience incompatible permettant de rencontrer les critères de l’étape 3, tout comme on pourrait spéculer que la simple présence d’un agent chimique perturbe aussi la consolidation d’un nouvel apprentissage émotionnel même en étant capable de le déclencher. Les auteurs, au moment d’écrire ces lignes, sont activement penchés sur ces questions toujours en suspens.

  • La différence entre l’extinction et la reconsolidation thérapeutique

En guise d’exemple dans la recherche fondamentale, citons l’étude de Monfils et al (2009) qui marque un point tournant dans la littérature sur la reconsolidation thérapeutique. Ces chercheurs ont exposé des rats à trois pairages d’un son de 20 secondes (stimulus conditionnel, SC) avec des chocs électriques d’une demi-seconde appliqués aux pattes (stimulus inconditionnel, SI), espaçant les pairages avec une pause de 3 minutes. L’apprentissage cible était donc la peur d’anticipation envers le choc électrique.

Le jour suivant, l’apprentissage cible a été réactivé par la présentation du son (SC), ce qui correspond à l’étape 1 du PRT. Toutefois, le son ne fut pas suivi du choc (SI). À ce point, le protocole était le même que dans l’étude originale de Nader et al (2000) mais il ne rencontrait pas tout à fait les conditions requises pour une déstabilisation (étape 2 du PRT).

Au lieu de perturber l’apprentissage par un agent chimique (exogène) comme Nader et ses collègues l’ont fait, Monfils et ses collègues ont continué à présenter le son (SC) sans le choc (SI) à répétition. Cependant, comme nous l’avons vu, réactiver ou même déstabiliser un apprentissage ne garantit pas sa réécriture, et vivre une expérience incompatible (matériel C du PRT) ne revient pas à faire une détection d’erreur et ne doit pas être confondu avec la juxtaposition B+C (voir les étapes du PRT décrites au point 2 du présent chapitre). De surcroît, une expérience de décalage ne garantit pas la détection d’erreur et la déstabilisation, car le décalage peut être insuffisant. C’est exactement ce qui aurait pu se passer ici, mais ce ne fut pas le cas. 

C’est un unique détail de la procédure qui permet de le classer dans la catégorie des protocoles de reconsolidation et non d’extinction. Un total de 19 répétitions du son (SC) ont été présentées au jour 2. Toutefois, les deux premières répétitions furent espacées d’un délai de 10 minutes ou d’une heure au lieu de l’intervalle de 3 minutes prévu par l’apprentissage-cible. Les répétitions suivantes furent présentées à des intervalles égaux de 3 minutes. Sans ce premier délai de 10 minutes ou d’une heure, le protocole aurait simplement été de l’extinction. Pour comprendre pourquoi, il faut encore une fois imaginer l’expérience qu’ont pu vivre les sujets de l’étude. 

Lors du jour 1, les sujets ont vécu l’expérience suivante: son de 20 secondes, choc d’une demi-seconde, pause de 3 minutes. Ils ont donc appris qu’à la fin d’un son de 20 secondes, ils reçoivent un choc d’une demi-seconde suivi d’une pause de 3 minutes. Tous ces détails de l’expérience sont importants.

Jour 1 : 3 répétitions

Son (20 secondes) – choc (0.5 secondes) – Pause (3 minutes)

L’apprentissage d’origine prédit deux choses lors du jour 2: a) les sons seront présentés toutes les 3 minutes et b) le son sera suivi d’un choc électrique. Or, lors du jour 2, non seulement le premier son n’a pas été suivi d’un choc électrique, mais il n’a pas non plus été suivi d’un autre son après 3 minutes. Il a plutôt été suivi d’un son présenté après 10 ou 60 minutes. C’est cette incongruence suffisante qui a déstabilisé l’apprentissage, et c’est dans cet état déstabilisé que cet apprentissage a été exposé aux 19 sons suivants, cette fois présentés dans un format plus proche de l’apprentissage d’origine (sons à intervalles réguliers de 3 minutes). En détectant une absence de choc et une première pause de longueur différente que celle qui était anticipée, les sujets ont fait une première expérience (en gras ci-dessous), surprenante, que les événements se déroulaient vraiment d’une manière incompatible avec ce qui était prédit par l’apprentissage cible. C’est donc seulement à la présentation du 2è son, qui a créé un marqueur temporel de 10 ou 60 minutes, que l’expérience a rencontré les conditions suffisantes pour créer une détection d’erreur et donc, une déstabilisation de l’apprentissage-cible. 

Jour 2: 1ère présentation

Son (20 secondes) – pas de choc – Pause (10 ou 60 minutes)

Là encore, tout n’était pas gagné! Tel que discuté dans la section 1, il ne suffit pas de déstabiliser un apprentissage pour qu’il se modifie; la déstabilisation ne fait que créer la plasticité nécessaire pour rendre possible un tel changement.

Ce sont donc les répétitions du pairage son-pause sans le choc électrique suivant cette première expérience de décalage/détection d’erreur/déstabilisation, à l’intérieur de la fenêtre de reconsolidation de 5 heures, qui ont permis de modifier le pairage original et changer la prédiction. 

Jour 2: Reste de la séquence

Son (20 secondes) – pas de choc – Pause (10 ou 60 minutes) – Son (20 secondes) pas de choc – Pause (3 minutes) (19x)

Un nouvel apprentissage remplace alors l’ancien : le son annonce une pause de 3 minutes. Il est donc normal que le son ne déclenche plus la réponse de peur chez les sujets.

Examinons cette séquence selon les étapes du PRT:

Les étapes A-B-C du PRT sont absentes du protocole de recherche, étant donné que ces éléments sont créés en laboratoire, et donc déjà connus, déterminés à l’avance, et contrôlés par les chercheurs. Ici, le symptôme (A) est la réponse de peur lorsque le son est entendu, l’apprentissage-cible (B) est que le son prédit l’arrivée du choc électrique qui est suivi d’une pause de 3 minutes et l’expérience incompatible (C) est une expérience dans laquelle le son ne prédit ni l’arrivée du choc ni une pause de 3 minutes.

  1. Réactivation de l’apprentissage-cible (Jour 2 du protocole)

Son (20 secondes) Il suffit de présenter le son pour que l’apprentissage s’active et prédise la suite attendue, soit un choc de 0.5 seconde et une pause de 3 minutes. 

2. Activation de l’expérience invalidante (C) créant un décalage avec l’apprentissage cible (B)

Son (20 secondes) – pas de choc – Pause (10 ou 60 minutes)

3. Répétition des pairages B+C

Son (20 secondes) – pas de choc – Pause (10 ou 60 minutes) – Son (20 secondes) pas de choc – Pause (3 minutes) (19x)

L’étape de vérification a pris place au Jour 3 de l’expérimentation, alors que les chercheurs ont vérifié si la production du son déclenchait la réponse de peur. 

Dans un protocole où le son (SC) serait simplement présenté sans le choc électrique (SI) à répétition, la déstabilisation ne se produira pas. Pourquoi ? Parce que dans ce format, l’expérience censée déstabiliser l’apprentissage-cible avec un premier décalage, est trop similaire à l’expérience originale qui l’a créé (voir la relativité du décalage au point 10). 

La répétition du son à intervalles réguliers de 3 minutes créerait un nouvel apprentissage distinct au lieu de déstabiliser l’ancien: le son peut aussi venir sans choc électrique. Même s’il  y a une journée d’écart entre les deux apprentissages (jour 1 et jour 2 du protocole), l’effet reste comparable à celui d’un conditionnement intermittent. Comment savoir, alors, si le prochain son sera suivi d’un choc ou pas? Il est donc parfaitement normal que la peur soit facile à réactiver par une seule présentation son-choc le lendemain, ou que la suppression de la peur ne se produise simplement pas. Il en va de même pour toutes les interventions cliniques qui créent une expérience d’extinction et non une expérience réunissant les conditions requises pour déclencher la reconsolidation de la mémoire. L’impact final sur l’apprentissage cible reste comparable à un conditionnement intermittent et la réponse problématique continue à s’activer quand les déclencheurs (SC) sont présents. 

Dans ces types d’études, les détails temporels de l’apprentissage-cible déterminent souvent quelles expériences les déstabiliseront réellement par la suite. Ainsi, si un apprentissage prévoit qu’un son sera terminé par un choc électrique, l’expérience du son réactivera l’apprentissage cible, prédisant l’apparition du choc à la toute fin. Tant que le son dure, l’anticipation du choc est active. C’est seulement lorsque le son cessera que le sujet se retrouvera en décalage, car alors l’expérience ne correspondra pas à ce qui avait été anticipé. Toutefois, si le format de l’expérience incongruente ressemble de trop près au format d’origine (exactement le même format de répétition avec pour seule différence que le SI est absent), le sujet l’encode comme une nouvelle possibilité, sans transformer l’apprentissage d’origine, parce que le décalage est insuffisant pour engager le système de détection d’erreur du cerveau, et la déstabilisation ne se produit donc pas. Il est intéressant de noter, toutefois, que Diaz-Mataix et al. (2013) ont démontré qu’un seul décalage temporel est suffisant pour induire une déstabilisation par détection d’erreur.

Cela étant dit, d’autres facteurs sont à considérer dans le phénomène de l’incongruence entre la prédiction et la réalité. Celle-ci peut concerner la prédiction du moment où les événements sont censés se produire. C’est le cas de nombreuses études animales sur la reconsolidation de la mémoire, comme celle de Diaz-Mataix et collègues (2013). Dans leur étude, des rats ont été exposés à un son de 60 secondes et ont reçu un choc électrique à 30 secondes (donc au milieu de la période de 60 secondes), et cette expérience fut répétée 10 fois, conditionnant ainsi une réponse de peur envers le son (apprentissage cible). Le 2è jour, les rats entendirent le son et reçurent un choc, réactivant ainsi leur apprentissage cible (l’association entre le son et le choc). 

Toutefois, deux groupes ont été créés. Le premier groupe a reçu le choc électrique selon la prédiction de l’apprentissage cible, soit après 30 secondes. Le deuxième groupe reçu le choc électrique seulement après 10 secondes. L’agent chimique anisomycine fut administré immédiatement après (ces agents chimiques, comme le propranolol chez l’humain, perturbent seulement les circuits mnésiques qui sont dans un état déstabilisé, ou déconsolidé). 

Le troisième jour, les chercheurs ont fait entendre le son sans choc électrique et ont mesuré l’intensité de la réponse de peur chez les rats. Les rats du premier groupe, qui ont reçu un choc tel qu’attendu après 30 secondes, n’ont pas montré de changement dans l’intensité de leur peur, indiquant que l’agent chimique n’a eu aucun effet, parce que les circuits mnésiques n’ont pas été déstabilisés par leur expérience. Par contre, le rats du deuxième groupe, qui ont vécu une expérience incongruente avec l’apprentissage cible (un choc à 10 secondes au lieu du 30 secondes anticipé) ont montré une réponse de peur 50% moins intense, indiquant que l’agent chimique avait significativement perturbé l’apprentissage cible et, obligatoirement, que l’expérience incongruente du jour 2 avait effectivement déstabilisé cet apprentissage cible, permettant à l’agent chimique de faire son travail.

Considérons finalement une étude chez l’humain; l’étude de Schiller et collègues en 2010 est un excellent exemple. Les auteurs n’ont pas commenté toute la palette de nuances de la RDRM pouvant être distillées de leurs résultats. La relativité du décalage s’illustre de mille et unes manières à partir de leur protocole et Bruce Ecker en a fait une analyse approfondie, complexe et détaillée que nous avons reprise et étoffée. Cette analyse n’ayant pas été validée empiriquement, elle constitue de l’ingénierie inverse et donc, elle reste basée sur des hypothèses. Si vous souhaitez parfaire votre maîtrise de cet aspect de la reconsolidation, nous vous encourageons à poursuivre votre lecture encore un peu. Sinon, sentez-vous libre de passer au chapitre suivant; votre compréhension de la matière présentée n’en sera pas affectée. Cette analyse permet d’approfondir la compréhension des questions de recherche fondamentale mais n’est pas du tout nécessaire à une bonne maîtrise au niveau de l’application clinique chez l’humain. 

Jour 1

Imaginez que vous êtes un participant de cette étude. Vous regardez un écran sur lequel apparaissent des carrés de couleur. Les carrés restent à l’écran pendant 4 secondes, à intervalles de 15 secondes, pour un total de 26 présentations. Le carré est jaune 16 fois, et pour 6 d’entre eux (choisis aléatoirement) vous recevez un petit choc électrique au poignet à la fin des 4 secondes de présentation. Le stimulus conditionnel (SC) est donc le carré jaune, et le stimulus inconditionnel (SI) est le choc électrique. Les 10 autres carrés de la série sont bleus, jamais accompagnés par un choc, et sont répartis aléatoirement parmi les carrés jaunes.

Vous vous rendez compte que votre entraînement crée un conditionnement classique en vous faisant faire une association SC-SI à un niveau sous-cortical (carré jaune + choc). À mesure que les 26 présentations progressent dans la série, une mesure de conductance de la peau montre que le conditionnement fonctionne car plus vous voyez les carrés jaunes, plus votre réponse de peur d’anticipation augmente. Une fois la série terminée, vous voilà aux prises avec une peur envers les carrés jaunes. 

Est-ce vraiment tout ce que vous avez appris? Si vous avez déjà pris résolument l’habitude de vous placer du point de vue de l’expérience et non du protocole, vous répondrez « non » sans hésiter. Voici la liste des règles que vous avez apprises:

  • Association SC (carré jaune) et SI (choc électrique);
  • Un carré jaune peut être, ou non, accompagné d’un choc;
  • Quand le carré (jaune ou bleu) disparaît, il est suivi d’un écran vide pendant 11 secondes;
  • Après l’écran vide apparaît un carré de couleur (jaune ou bleu);
  • Cette séquence se répète en successions plusieurs fois d’affilée;
  • Les carrés jaunes peuvent être présentés sans choc à un maximum de 5 reprises.

Attention ! Chaque point décrit une prédiction différente ! L’apprentissage-cible, dans cette étude, est donc composé d’un groupe de prédictions qui peuvent être, tour à tour, déstabilisées et/ou réécrites, ou rester dans un état consolidé, dépendant du type d’expérience crée au Jour 2. Chaque détail de l’expérience compte.  

D’ailleurs, notez bien que la dernière prédiction de la liste a joué un rôle crucial dans cette étude, et nous le verrons ensemble plus tard. Pour bien suivre le fil de l’analyse portant sur cette prédiction en particulier, il vous faut considérer une statistique importante: les 6 chocs électriques vous ont été donnés aléatoirement parmi 16 présentations de carrés jaunes. Cela veut dire que vous avez reçu un choc au 6è carré jaune d’affilée seulement 22% du temps (séquence 5 carrés jaunes sans choc, 6è carré jaune avec choc), mais vous n’avez jamais vu plus de 5 carrés jaunes d’affilée sans recevoir de choc par la suite (jamais de séquence 6 carrés jaune sans choc, 7è carré jaune avec choc). Maintenant que le conditionnement a fait son effet, c’est tout ça que votre cerveau anticipe dans le contexte de la salle d’expérimentation, de manière implicite, sous-corticale, et émotionnelle (peur).

Jour 2 (24h plus tard)

C’est ici que la chose se corse, car les participants ont été séparés en 3 groupes et exposés à trois protocoles différents. Nous les examinerons un par un. 

Groupe 1 (expérimental) : 

A) Le carré jaune apparaît une seule fois, pendant 4 secondes (identique au jour 1), mais sans choc électrique (SC sans SI), puis est suivi de…

B) Les images et les sons d’un épisode d’une série télévisée, pendant 10 minutes, puis…

C) Une séquence aléatoire de 10 carrés jaunes et 11 bleus qui restent à l’écran pendant 4 secondes, à intervalles de 15 secondes (identique au jour 1) mais sans aucun choc électrique.

Au jour 3 (24h plus tard), ce groupe de participants a visionné de nouveau une série aléatoire de carrés jaunes et bleus. Tous les participants montraient une absence de réponse de peur (conductance de la peau), et ces résultats ont été maintenus au follow-up d’un an. Dans ces conditions, on peut conclure que la réponse de peur apprise par les expériences du jour 1 a été effacée de manière complète et durable par les expériences du jour 2.

Sans l’expérience B dans la série de ce groupe expérimental, la procédure aurait été une simple expérience d’extinction standard et la suppression de la réponse de peur n’aurait été que temporaire. Au contraire, la série d’expériences A-B-C pour ce groupe a réuni les conditions nécessaires pour effectuer un changement transformateur. Pour examiner ces résultats de plus près, toutefois, remettons-nous dans l’expérience subjective des participants.

A) En voyant le carré jaune apparaître (SC), l’apprentissage-cible a été réactivé dans votre mémoire, et votre peur d’anticipation s’est réveillée du même coup. Cela a rempli la première étape de la séquence de transformation. À ce point de la série, l’absence de choc électrique n’a pas créé de décalage pour vous, parce que selon votre apprentissage-cible conditionné la veille, vous saviez que le carré jaune pouvait aussi être présenté sans choc. Vous n’avez donc pas perçu de décalage, votre système de détection d’erreur ne s’est pas engagé, et votre apprentissage-cible est resté stable à ce point. 

B) En revanche, quand vous avez vu la série télé apparaître à l’écran, vous avez immédiatement fait une erreur de prédiction et senti un décalage franc et net. Ça ne s’est pas du tout passé comme vous vous y attendiez. L’apparition de la série télé ne correspondait en aucun cas à votre prédiction dictée par l’apprentissage cible: vous vous attendiez à voir un écran vide pendant 11 secondes, puis un autre carré de couleur, mais ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. Voilà un bel exemple d’effet de surprise devant un élément nouveau et inattendu. Votre apprentissage cible s’est donc immédiatement déstabilisé au contact de cette expérience. À noter que la présence continue de la série télé à l’écran pendant 10 minutes a alors créé une mise à jour de votre apprentissage cible: vous avez vécu une première juxtaposition (étape 2 du PRT) en voyant une série télé au lieu d’un écran vide, une deuxième juxtaposition en vous rendant compte que la pause s’étirait au lieu de durer 11 secondes (les deux durées étant fortement contrastantes), et une troisième juxtaposition au marqueur temporel qui situe la pause à une durée de 10 minutes. Votre apprentissage, à ce point-ci de la séquence, prédit maintenant que le carré jaune (SC) est suivi d’une série télé. À ce point, la transformation a déjà eu lieu dans votre mémoire car ses trois étapes ont été réunies !

Imaginons maintenant que l’écran reste vide pendant ces 10 minutes, au lieu de vous montrer la série télé. Ça aussi serait contraire à votre prédiction. C’est alors un décalage temporel qui sera créé, étant donné que votre apprentissage-cible d’origine prédisait une pause de 11 secondes seulement (voir la discussion sur l’étude de Monfils et collègues, 2009 au point 4 de ce présent chapitre). Dans ce cas, cependant, la déstabilisation serait seulement apparue lors du prochain marqueur temporel, soit au moment de la présentation du prochain carré de couleur de la série, à la fin du délai de 10 minutes. Toutefois, en constatant que la pause entre les prochains carrés de couleur était de 11 secondes comme la veille, ce qui correspond à ce l’apprentissage cible d’origine, cette confirmation de la prédiction temporelle d’origine aurait abruptement mis fin à la déstabilisation et donc, à la fenêtre de reconsolidation. En d’autres termes, vous n’auriez pas mis à jour votre prédiction d’une pause de 11 secondes simplement parce qu’à une seule reprise, cette pause a été de 10 minutes. 

Cela illustre bien la relativité du décalage et l’importance de juxtaposer une expérience contradictoire parfaitement adaptée à l’apprentissage cible. Dans le protocole de Schiller et collègues, c’est le contenu visuel et auditif de la série télé qui a produit le décalage, et non sa durée de 10 minutes, cela parce qu’une présentation de série télé de 11 secondes aurait quand même créé une expérience franche de décalage. Les auteurs de l’étude ont conclu que le facteur temps a joué un rôle important dans le décalage ici, mais le modèle du RDRM ne va pas dans le même sens. 

C) À ce point-ci de l’expérience du même jour 2, vous voyez une série de carrés bleus ou jaunes sans recevoir aucun choc électrique, et ces carrés sont espacés par un écran vide pendant 11 secondes. Vous vivez cette expérience en juxtaposition avec un apprentissage-cible maintenant déstabilisé (il est encore malléable, la fenêtre de reconsolidation est encore ouverte) par l’expérience B. Bien que l’apprentissage mis à jour prédise maintenant la présentation d’une série télé après les carrés jaunes, la prédiction du choc électrique à la fin du 4 secondes d’un carré jaune est encore intacte à ce point-ci ! Toutefois, comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la déstabilisation d’un apprentissage-cible ne garantit pas sa reconsolidation. Comment donc a-t-elle été induite pour cette partie de l’apprentissage encore intacte ? Encore une fois, la relativité du décalage nous permet d’éclairer cette question, mais pour cela nous devons reprendre la série d’expériences depuis le début. 

L’expérience A) a réactivé votre apprentissage cible, parce que la présentation du carré jaune pendant 4 secondes a automatiquement enclenché votre prédiction selon laquelle le carré jaune pouvait, ou non, être suivi d’un choc électrique puis d’un écran vide pendant 11 secondes. Immédiatement après, le visuel et l’audio de la série télé ont déstabilisé l’apprentissage cible en créant un décalage et une erreur de prédiction. 

Ensuite, vous avez vu le carré jaune (SC) sans recevoir de choc ou encore le carré bleu, toujours sans choc. Quelques présentations de SC sans SI (choc) ne suffisent pas à créer une juxtaposition en décalage, car l’apprentissage-cible prévoit cette possibilité (jusqu’à 5 présentations sans choc sont possibles dans votre modèle de réalité). Il faut donc une série de présentations dont le nombre ne laisse aucun doute quant à la nature différente de cette nouvelle expérience pour créer un décalage suffisant. Ainsi, comme cette étude montre les marqueurs de reconsolidation pour ce groupe, nous pouvons conclure que votre désapprentissage a commencé, pour cette partie de l’apprentissage-cible déstabilisé dans ce groupe, lorsque le nombre de présentations a dépassé les 5 présentations sans choc d’affilées de manière significative, et pas avant. 

Et donc, voici une illustration légèrement différente de la relativité du décalage. Examinons l’évolution de votre apprentissage cible au fil des deux stades de votre expérience du jour 2 pour votre groupe expérimental. Voici encore les détails de l’apprentissage cible d’origine:

  • Association SC (carré jaune) et SI (choc électrique);
  • Un carré jaune peut être, ou non, accompagné d’un choc;
  • Quand le carré (jaune ou bleu) disparaît, il est suivi d’un écran vide pendant 11 secondes;
  • Après l’écran vide apparaît un carré de couleur (jaune ou bleu);
  • Cette séquence se répète en successions plusieurs fois d’affilée;
  • Les carrés jaunes peuvent être présentés sans choc à un maximum de 5 reprises.

Votre expérience de B (série télé pendant 10 minutes immédiatement après un carré jaune sans choc) a déstabilisé cet apprentissage, et l’expérience prolongée de 10 minutes à la série télé a répété ce décalage suffisamment pour remplir les conditions de la 3è étape de la section  transformation du PRT (répétitions B+C), ce qui a réécrit votre apprentissage comme suit (en italique):

  • Association SC (carré jaune) et SI (choc électrique);
  • Un carré jaune peut être, ou non, accompagné d’un choc;
  • Les carrés sont suivis d’une série télé;
  • Après l’écran vide apparaît un carré de couleur (jaune ou bleu);
  • Cette séquence se répète en successions plusieurs fois d’affilée;
  • Les carrés jaunes peuvent être présentés sans choc à un maximum de 5 reprises.

Toutefois, rappelez-vous que l’apparition du premier carré de la série crée un autre type de décalage, de nature temporelle (la pause suivant le premier carré est de 10 minutes et non de 11 secondes). L’apprentissage-cible reste donc déstabilisé à ce stade malgré sa nouvelle prédiction de l’apparition d’une série télé après le premier carré. De plus, comme ce n’est pas l’absence de choc électrique qui a déstabilisé l’apprentissage dans votre expérience (car cette absence figure parmi les prédictions, et donc il n’y a pas de détection d’erreur pour cette prédiction-là), l’absence répétée du choc (SI) dans l’expérience C n’a pas créé ni interrompu la déstabilisation de l’apprentissage cible. Il reste vulnérable à d’autres expériences contradictoires.

Toutefois, un décalage a bel et bien eu lieu à ce stade! Lorsque le premier carré de l’expérience C est apparu à l’écran, votre apprentissage cible s’attendait, à ce stade, à voir encore une série télé! Toutefois, après le premier carré de l’expérience C (jaune ou bleu), vous avez plutôt vu l’écran vide pendant 11 secondes. À ce stade, vous avez donc mis à jour votre apprentissage toujours déstabilisé (en italique):

  • Association SC (carré jaune) et SI (choc électrique);
  • Un carré jaune peut être, ou non, accompagné d’un choc;
  • Quand le carré disparaît, il est suivi d’une série télé pendant 10 minutes ou d’un écran vide de 11 secondes;
  • Après l’écran vide (ou la série télé) apparaît un carré de couleur (jaune ou bleu);
  • Cette séquence se répète en successions plusieurs fois d’affilée;
  • Les carrés jaunes peuvent être présentés sans choc à un maximum de 5 reprises.

Et donc, votre expérience de C continue (carrés jaunes ou bleus pendant 4 secondes sans choc électrique, espacés par une pause de 11 secondes). Après le 3è carré de couleur, toutefois, il n’y a pas eu d’autre décalage pour le reste de l’expérience C. Si la déstabilisation était seulement maintenue par des expériences de décalage successives, elle aurait pris fin bien avant que l’expérience contradictoire d’un nombre suffisant de carrés jaunes sans choc (SC sans SI) ait eu le temps de mettre à jour les prédictions de l’apprentissage cible à ce sujet. 

Le modèle de la relativité du décalage prévoit donc que la déstabilisation peut se maintenir autrement qu’avec la répétition d’expériences nouvelles de décalage. Selon ce modèle, la déstabilisation se maintient aussi par l’opération de mise à jour des apprentissages (la juxtaposition en Thérapie de la cohérence). Ecker parle alors de maintien de la déstabilisation par mise à jour. L’hypothèse avancée par Ecker (2014) est que la mise à jour maintient la déstabilisation par le biais d’un réseau de signalement moléculaire. Cette forme de déstabilisation des synapses (qui les déverrouille) fonctionnerait de manière indépendante, ce qui veut dire qu’elle fonctionnerait en-dehors des critères nécessaires au décalage. C’est ce qui permettrait que la déstabilisation dure assez longtemps pour que la mise à jour de l’apprentissage ait le temps de se faire complètement. 

Ecker précise que la nécessité de faire appel à cette hypothèse pour que le modèle de la RDRM réussisse à bien expliquer l’effacement de l’apprentissage-cible dans cette étude illustre à quel point le besoin de démontrer ces principes empiriquement est prioritaire. Pour ce faire, il faudrait alors isoler les marqueurs moléculaires de la déstabilisation et de la mise à jour à chaque étape des expériences A B et C du jour 2. 

La RDRM illustrée dans l’étude de Schiller pour le 1er groupe de participants identifie deux déclencheurs de mise à jour distincts qui se produisent avant la présentation du 4è carré de couleur. Le maintien de la déstabilisation par mise à jour aurait donc, selon ce modèle, été engagé par ces déclencheurs durant toute l’expérience C, donnant ainsi le temps aux 10 présentations de carrés jaunes (SC) d’effacer l’apprentissage cible et le remplacer par un nouvel apprentissage selon lequel les carrés jaunes sont toujours inoffensifs. Évidemment, ce type de situation indique clairement que la recherche en reconsolidation doit se pencher sur cet aspect de la déstabilisation pour confirmer ces hypothèses.

Revenons à votre mémoire: une fois l’expérience contradictoire complétée (vous avez vu plus de 5 carrés jaunes et le choc électrique n’est toujours pas venu), les étapes de la transformation ont été réunies. Cette fois, cependant, la nature de l’expérience contradictoire juxtaposée à l’apprentissage cible (toujours déstabilisé) a produit un réapprentissage beaucoup plus large (en italique):

  • SC (carré jaune) et SI (choc électrique) ne sont plus associés;
  • Les carrés jaunes, comme les carrés bleus, ne sont pas accompagnés d’un choc;
  • Le premier carré est suivi d’une série télé pendant 10 minutes;
  • Quand les autres carrés de couleur disparaissent, ils sont suivis d’un écran vide pendant 11 secondes;
  • Après l’écran vide apparaît un carré de couleur (jaune ou bleu);
  • Cette séquence se répète en successions plusieurs fois d’affilée;
  • Les carrés jaunes peuvent être présentés sans choc à un maximum de 5 reprises.

Ainsi, on peut comprendre pourquoi votre réponse de peur ne se déclenche plus à la fin de votre expérience ni même le lendemain ou un an plus tard. En conséquence, le terme « extinction » utilisé par les auteurs pour désigner cette partie du protocole est donc mal choisi, car un réel protocole d’extinction n’aurait pas créé de décalage au niveau de la prédiction envers l’apparition du choc (SI) et n’aurait pas reconsolidé l’apprentissage-cible, que ce soit en totalité ou en partie.

En considérant qu’au jour 3, les participants ont simplement vu une succession de carrés de couleur suivis d’un écran vide pendant 11 secondes sans recevoir de choc électrique, on peut avancer l’hypothèse qu’une autre reconsolidation a encore eu lieu. En effet, l’apprentissage mis à jour à la fin du jour 2 prévoyait une série télé pendant 10 minutes après la disparition du premier carré, ce qui a été contredit par l’apparition d’un écran vide pendant 11 secondes. Les conditions de la transformation furent donc réunies, avec le décalage survenant au moment de l’apparition du premier écran vide, puis par la répétition de cette juxtaposition (carré suivi d’un écran vide pendant 11 secondes) pour les essais suivants. À la fin du jour 3, l’apprentissage mis à jour ne prédirait maintenant plus qu’un écran vide à la suite des carrés de couleur.

Groupe 2

Dans ce groupe expérimental, la procédure fut identique à une différence près: les participants ont eu une pause de 6 heures après le visionnement de la série télé. Au jour 3, les chercheurs n’ont eu aucune difficulté à faire revenir la réponse de peur chez ces participants. Étant donné que le délai de 6 heures dépassait le cadre de la fenêtre de reconsolidation (5h), il fut conclut que l’expérience C (série de carrés de couleur sans choc) s’est produite en-dehors de la fenêtre de reconsolidation. Bien qu’ayant été déstabilisé par l’expérience B tout comme pour le premier groupe, l’apprentissage cible s’était reconsolidé dans le même état à la fin de la fenêtre de reconsolidation, donc s’est re-stabilisé avant que l’expérience C soit vécue et n’a donc pas été mis à jour par celle-ci. Cette forme d’expérience revient donc à produire une expérience d’extinction: elle résulte en un changement incrémentiel, soit un nouvel apprentissage (certaines séries ont des chocs, d’autres pas) qui entrera alors en compétition avec le premier. 

Groupe 3

Dans ce groupe, les participants ont seulement vécu l’expérience C, ce qui correspond à un protocole d’extinction conventionnel. Sans surprise, les chercheurs ont rapporté que ces participants avaient montré une brève suppression de leur réponse de peur par effet d’extinction, mais elle était facile à réactiver par la suite. Cela démontre une fois de plus que l’extinction n’efface pas les apprentissages cibles. 

Cette étude de Schiller et collègues démontre élégamment la spécificité de la reconsolidation. Comme nous l’avons présenté dans les chapitres 1 et 2, les apprentissages de longue date accumulent des liens et créent des ramifications vers plusieurs autres souvenirs et apprentissages, avec le temps. Sur le plan clinique, il importe donc de viser toujours la racine, l’apprentissage-cible, et non son arborescence de ramifications diverses, pour que l’intervention soit réellement utile. 

Ici, Schiller et collègues ont bien montré comment la reconsolidation peut éliminer un apprentissage implicite spécifique tout en laissant intact l’apprentissage de peur qui lui est associé. Cette démonstration a été faite à partir d’un autre groupe expérimental. Ces participants ont fait essentiellement le même entraînement au jour 1, à une exception près: ils ont présenté des carrés de trois couleurs, et cette 3è couleur (non précisée dans l’article original) a aussi été associée à un choc électrique. Au jour 2, les participants ont vu leur apprentissage cible réactivé par une seule présentation du carré jaune sans choc électrique, mais la couleur additionnelle, qui avait été associée à un choc également, n’a pas été présentée. L’expérience B fut la même (série télé pendant 10 minutes) et l’expérience C se fit avec les trois couleurs sans choc électrique. 

Comme vous pouvez vous y attendre, au jour 3, la réponse de peur avait disparu pour les carrés jaunes, et non pour les carrés de la 3è couleur. Même en vivant une expérience (3) montrant que les carrés de toutes les couleurs étaient sans danger, la peur est restée intacte pour la 3è couleur. En d’autres termes, l’apprentissage de peur a été reconsolidé par l’expérience 3 pour les carrés jaunes, parce qu’il avait été spécifiquement déstabilisé par l’expérience 1 (réactivation) et 2 (décalage). En conséquence, seul l’apprentissage spécifique aux carrés jaunes a vécu une série d’expériences réunissant les trois étapes de la transformation. L’apprentissage spécifique aux carrés de la 3è couleur a simplement vécu une expérience d’extinction. Il est intéressant que cette transformation de l’apprentissage spécifique aux carrés jaunes ne s’est pas généralisée aux carrés de l’autre couleur, ce qui montre à quel point le système de mémoire émotionnelle sous-cortical est capable d’une haute sélectivité et précision quand vient le temps de déstabiliser et réviser des apprentissages. D’un point de vue clinique, il nous faut considérer et adresser les mémoires implicites adjacentes de manière individuelle pour optimiser l’efficacité de l’intervention en reconsolidation de la mémoire. 

Chapitre 4

Exemples de thérapies transformatrices :

  • AEDP (Accelerated Experiential Dynamic Psychotherapy), par Fosha
  • Thérapie de la cohérence (Ecker, Ticic et Hulley)
  • Deep Brain Reorienting (Corrigan)
  • EFT (les deux types) Emotion-Focused Therapy/Emotion-Freedom therapy
  • EMDR, par Shapiro
  • Focusing, par Gendlin
  • Gestalt, par Perls
  • Hakomi, par Kurtz
  • IFS (Internal Family Systems), par Schwartz
  • Imago, par Hendrix
  • IPNB (InterPersonal NeuroBiology), par Siegel
  • ISTDP (Intensive Short-Term-Dynamic Psychotherapy), par Davanloo
  • PNL (Programmation neuro-linguistique), par Bandler & Grinder

Ces thérapies fonctionnent selon un large éventail de paradigmes et de techniques servant à  induire le changement transformateur. Le PRT, en se plaçant du point de vue du cerveau lui-même, offre l’opportunité d’éclairer les processus qu’elles ont en commun lorsqu’elles arrivent à créer ce changement transformateur; il permet un certain détachement du protocole spécifique pour situer le changement dans des processus expérientiels plus généraux. En autant que les étapes du PRT soient respectées (le mécanisme d’action), le changement transformateur aura lieu peu importe le type de thérapie. Cela veut donc dire que d’autres thérapies pourraient être adaptées et cadrer elles aussi dans le changement transformateur. Ces thérapies sont incluses d’emblée parce qu’elles sont déjà conçues pour manifester l’application du PRT de manière systématique. Ainsi, un thérapeute qui comprend bien le principe opérateur du mécanisme d’action de la transformation (PRT) jouit d’une grande longueur d’avance pour systématiser le changement transformateur dans son intervention, peu importe l’approche. 

La Thérapie de la cohérence se distingue des autres parce qu’elle a été volontairement construite pour actualiser les étapes du mécanismes d’action. Les autres thérapies transformatrices citées dans la liste se sont davantage basées sur un modèle de l’esprit, et leur efficacité a été démontrée en validant ce mécanisme d’action dans un deuxième temps. Il est avantageux d’utiliser la Thérapie de la cohérence comme base pour enseigner le changement transformateur, parce que les étapes du PRT y sont très clairement représentées. En contrepartie, il faut parfois procéder à une analyse poussée pour distiller les étapes du PRT dans l’application de certaines de ces thérapies. Notre intention globale n’est donc pas d’enseigner seulement la Thérapie de la cohérence, mais bien de transmettre une méthode de travail permettant de favoriser le changement transformateur de manière systématique par la suite. Malgré tout, cette forme de thérapie demeure un excellent point de départ dans la courbe d’apprentissage. 

Chapitre 7 : Transformer les schémas émotionnels

Plusieurs études ont contribué è faire avancer la compréhension des conditions de la déstabilisation de la mémoire (étape 2 du PRT) : Gallucio, 2005 ; Suzuki et al., 2004 ; Sevenster et al., 2013, 2014 ; Schroyens et al., 2017. Les expériences contradictoires dépendent fortement de l’identification du contenu détaillé et de la structure du modèle problématique de la réalité parce que ce contenu détermine quelles expériences seront perçues comme contradictoires et à quelle intensité (par exemple, Alfet et al., 2015 ; Jarome et al., 2012 ; Lopez et al., 2016 ; Merlo et al., 2014 ; Sevenster et al., 2013, 2014 ; Schroyens et al., 2017). Ces mêmes études montrent que si une expérience contradictoire diverge trop des anticipations du modèle problématique de la réalité, elle ne provoque pas de déstabilisation présumément parce qu’une expérience trop différente s’enregistre dans un contexte ou une catégorie qualitativement différente que celle du modèle problématique de la réalité, plutôt que de le transformer par une infirmation fondamentale. L’ordre de juxtaposition des expériences/connaissances contradictoires importe peu, en autant qu’elles soient juxtaposées à l’intérieur d’une fenêtre de reconsolidation de 5 heures (cette dernière ayant été démontrée notamment par Cai et al., 2016 et Rashid et al., 2016).

Chapitre 8 : Surmonter les obstacles couramment rencontrés

RECHERCHE (SEEKING) : C’est le comportement exploratoire qui nous motive sans cesse à rechercher des ressources de toutes sortes pour assurer notre survie. Il est associé au circuit de la récompense.

PEUR : Ce système tout aussi fondamental et primitif implique l’amygdale et permet de mobiliser les ressources pour faire face à la menace (fuite et paralysie).

COLÈRE : Ce système s’est développé pour faire face à la réalité selon laquelle nous sommes en compétition avec d’autres pour les ressources et devons les protéger lorsque nous les obtenons. Il génère les comportements d’attaque.

DÉSIR SEXUEL : Ce système tout aussi fondamental et son dérivé humain, l’amour, est en place pour nous pousser à transmettre nos gènes à la génération suivante par la reproduction. 

PRENDRE SOIN : Aucun mammifère ne naît autonome; il en va donc de la survie de l’espèce d’avoir un système en place qui nous pousse à prendre soin de notre progéniture et à ressentir un bien-être qui nous récompense lorsque nous le faisons.

PANIQUE/DEUIL : Ce système permet aux petits de communiquer à ceux qui en prennent soin quand quelque chose ne va pas. Ce système particulier est à la base des problématiques liées à l’anxiété comme à la dépression; il génère aussi l’agitation motrice et la recherche de contacts sociaux de réassurance. Il s’active notamment lors d’une séparation des petits avec leurs figures d’attachement.  

JEU : Panksepp soutien que le système PANIQUE couplé à PRENDRE SOIN a permis l’apparition d’une vie sociale chez les mammifères et de l’attachement. Ce dernier est, pour Panksepp, un système secondaire appris. Le système JEU permet de développer les compétences sociales et de découvrir notre nature par ce type d’exploration ludique.

Donc, lorsque la RECHERCHE d’attachement/sécurité/soin/nourriture est bloquée (par exemple, la figure d’attachement est déprimée, dissociée, négligente, abusive) l’enfant ressent de la douleur, et un état d’hyperactivation de Protestation s’ensuit, qui teinte la RECHERCHE avec un affect négatif, sous trois formes principales:

– COLÈRE/Attaque : TU ne combles pas mes besoins, c’est TA faute !

– PEUR/Paralysie : JE suis incapable de réussir à m’attacher (incapacité d’aller de l’avant vers la connexion) 

– Honte/Se cacher/Fuite : Je ne suis pas digne d’amour.

L’état de protestation peut devenir si extrême qu’il entraîne la dissociation parce qu’il est intolérable d’un point de vue neurochimique et a besoin d’être neutralisé (par les opioides, les cannabioides, etc. et par une activation préfrontale). Viennent ensuite les stratégies cognitives pour s’adapter à cette situation (le Locus of Control Shift de Colin Ross, ou Pivot du Locus de Contrôle), selon lequel mes besoins ne sont pas comblés parce que je suis mauvais; c’est de ma faute. L’état d’hyperactivation redescend et évolue vers un état de désespoir (solitude, impuissance, grande vulnérabilité). La RECHERCHE cesse car elle est apparaît inutile. Cela est parfois suivi d’une réponse passive-défensive (colonne ventro-latérale du PAG) sous la forme d’un état de soumission ou d’écroulement (surtout si la solitude, l’impuissance et le désespoir sont accompagnés par la dévalorisation de la honte). L’état de soumission peut être difficile à discerner de l’état de désespoir, parce que l’ocytocine produite dans l’environnement de cette colonne ventro-latérale du PAG peut déclencher une sensation de chaleur et de sécurité. 

Lorsque la situation devient encore plus extrême, l’individu peut alors entrer en dissociation hypoactive : soumission extrême (entraînée par les opioides endogènes dans le PAG) ou honte extrême (sentiment de non-valeur absolue). Dans cet état, l’individu va généralement devenir somnolent et aura besoin d’être redirigé et réactivé, sans quoi le traitement de l’information ne se fera pas.

Et finalement, le modèle décrit un autre état subséquent, le Pivot de Locus de Loyauté (Locus of Loyalty Shift) : mes besoins ne sont pas importants parce que ce sont les besoins des autres qui le sont. L’individu se retrouve activé et motivé dans une RECHERCHE ou PRENDRE SOIN à valence émotionnelle positive ou encore dans la COLÈRE ou la PEUR, qui met fin à l’état d’hypoactivation. 

Le modèle prévoit que les patients peuvent se présenter à n’importe quel stade dans cette courbe. Par exemple, une personne qui vient d’être intimidée au travail peut se présenter dans un état de désespoir comme elle peut se présenter dans un état de soumission. En ciblant toujours le besoin non comblé et la douleur que cela entraîne, le travail cible directement l’endroit où le système doit être transformé pour que tout ce qui en découle cesse du même coup.

HISTOIRE DE CAS COMPLÈTE

Voici un exemple de transformation dans lequel la connaissance contradictoire était bien disponible, mais n’avait jamais été juxtaposée avant que la psychologue ne guide une expérience contradictoire. 

Cette patiente consulte parce qu’elle ressent un mal de vivre depuis la naissance de son fils âgé de 4 ans. Elle dit ressentir beaucoup de culpabilité lorsqu’elle n’arrive pas à répondre à ses propres attentes, notamment quand elle est impatiente, ce qui l’a notamment amenée à consommer plus d’alcool. Elle rapporte des ruminations sur ce qu’elle devrait faire mieux ou pour trouver comment corriger ses erreurs, se remet toujours en question, a tendance à ne pas s’affirmer : elle plie ou est terrifiée quand elle n’a pas le choix de s’affirmer ou de faire des demandes, et elle dit se sentir aussi envahie par l’émotion et pleurer quand elle parle d’elle, ce qu’elle fait abondamment pendant les rencontres. Elle dit que cela l’amène à vivre de la lourdeur et de la déprime. 

Lorsqu’elle était petite, elle aurait été beaucoup soutenue par son père qui aurait toujours cru en elle, mais ils auraient vécu beaucoup de conflits. Elle dit s’être sentie comme le mouton noir de la famille et avoir vécu beaucoup de confrontation. Elle dit avoir fortement perçu le message « il faut que tu changes » sans savoir ce qu’on lui reprochait exactement. Elle rapporte que cela l’aurait amenée à sortir beaucoup pour ne pas vivre les confrontations à la maison avec son père, et aussi apprendre à dire et faire ce qu’il fallait pour ne pas le froisser et les déclencher. 

Au travail, la patiente dit se blâmer dès que quelque chose se passe mal. Elle dit ne pas se donner droit à l’erreur et ressentir depuis quelques années un sentiment perpétuel de non-accomplissement. Elle dit vivre dans la peur de déplaire, ce qui l’amène à des comportements de perfectionnisme. 

La  patiente commence par faire une présentation très organisée et limpide de son symptôme, s’étant préparée à la rencontre. Elle montre une première difficulté à l’intégration lorsque la psychologue lui fait faire un exercice de déclaration ouverte sur les construits exprimés d’emblée lors de sa présentation initiale. Cela est probablement lié à son désir de rester en défusion cognitive pour avoir plus de contrôle sur la situation et éviter de mal paraître. Toutefois, en la faisant connecter avec la boule dans son estomac et sa poitrine quand l’anxiété se présente, elle arrive très bien à connecter et intégrer. 

Le premier travail de découverte et d’intégration permet de déterminer que, malgré le soutien vécu dans son enfance et son adolescence, la patiente a développé du stress face aux situations de confrontation et a appris à les éviter en cherchant toujours à plaire aux autres. Il est possible que le flou entourant la nature exacte de ce qu’on lui reprochait, a contribué à ce que la stratégie se généralise à tous les contextes possibles. La patiente semble avoir réussi à porter le poids de ses stratégies d’adaptation (plier et toujours répondre aux attentes ou tout faire pour ne pas se déresponsabiliser face à un problème) jusqu’à ce qu’elle devienne mère et que cette stratégie ne soit plus réalisable au quotidien, entraînant à nouveau des échecs et un sentiment de ne pas être à la hauteur, en plus du stress de vivre des confrontations qu’elle n’a plus le contrôle d’éviter. 

La première carte-rappel se lisait comme suit :

Rien n’a changé, vous pensez tous exactement comme papa : je suis le même mouton noir que j’ai toujours été et nous allons vivre des confrontations si je vous déplais, et alors je vais encore me sentir comme un échec et pas à la hauteur. Ça me terrifie de vivre encore ça ! Le seul moyen d’avoir la paix, c’est de tout faire, en tout temps, pour éviter de vous froisser : toujours me blâmer pour le moindre problème et n’accepter aucune erreur de ma part même si je me ronge de culpabilité, toujours chercher à corriger mes erreurs quitte à ruminer, toujours faire ce que je devrais faire quitte à m’épuiser et toujours plier même si ça m’empêche de m’affirmer. 

À la rencontre suivante, la patiente a d’emblée exprimé à quel point elle avait eu de la difficulté à continuer à habiter la carte-rappel entre les rencontres. Elle sentait qu’elle n’était pas juste envers son père en assumant pleinement cette vérité émotionnelle. Elle dit toutefois avoir surmonté cette résistance, notamment en constatant à quel point elle avait perçu une situation au travail conformément à ce modèle problématique de la réalité représenté par la carte-rappel. 

La psychologue a commencé par valider la résistance de la patiente et lui a expliqué que la visée de l’intervention n’était pas de remettre la valeur de son père en question, ce qui l’a apaisée davantage. Elle a ensuite guidé un exercice expérientiel, pour reprendre la tâche d’intégration, dans lequel Mme a fait une déclaration ouverte de la carte-rappel à son père dans une scène très familière au moment du repas, où elle sentait clairement peser sur elle le regard de son père qui la regardait comme un mouton noir. Elle a ensuite guidé la même déclaration ouverte à son père du présent, avec qui elle ne se sent plus comme un mouton noir. Elle a commencé à percevoir que cette deuxième déclaration ouverte ne cadrait pas bien avec la réalité de sa relation actuelle avec son père. Elle montrait des signes de décalage (déstabilisation de l’apprentissage-cible, Étape 2 du PRT) mais sans aller plus loin. 

La psychologue a donc ramené la patiente à table dans le passé, sous le regard désapprobateur de son père, et a fait asseoir son père actuel à côté de lui. Elle lui a simplement demandé comment ce père-là l’aurait regardée dans la même situation. C’est exactement au moment de croiser le regard de ce père actuel que la patiente a soudainement juxtaposé son modèle problématique de la réalité à une connaissance contradictoire que personne n’avait encore soupçonné : son père actuel ne la regarderait pas du tout ainsi, parce qu’il ne se sentirait pas dépassé par la situation. Elle a réalisé que le regard de son père ne faisait que refléter son impuissance quand son autorité n’avait plus d’effet sur elle, exactement comme elle se sentait quand son fils de 4 ans était turbulent et lui tenait tête. 

La psychologue n’a eu qu’à répéter la juxtaposition en intégrant ce matériel puissant selon lequel le père de Mme vivait, tout comme elle, une moment dans lequel il ne contrôlait pas la situation, et que cela ne changeait rien, tout comme pour elle envers son enfant, à l’amour qu’il lui portait. La patiente a vécu une transformation très profonde et instantanée, comme en témoigne la carte-rappel juxtaposée qu’elle a rédigée avec sa psychologue à la fin de cette rencontre :

Rien n’a changé: je suis toujours le même clou dans le pied, le même obstacle, pour tout le monde, exactement comme avec papa. Si je vous déplais (et tous les moyens sont bons pour vous froisser!), je vais encore me sentir pas à la hauteur, comme un échec! Il faut que j’évite ça à tout prix en :

  • Restant solitaire;
  • Faisant tout pour performer, quitte à m’épuiser;
  • N’acceptant aucune erreur de ma part, et me blâmer pour le moindre problème même si ça me ronge de culpabilité;
  • Toujours chercher à corriger la moindre de mes erreurs même si ça me porte à ruminer;
  • Toujours faire ce que je devrais faire quitte à m’épuiser;
  • Toujours plier même si ça m’empêche de m’affirmer.

Un instant…!

La raison pour laquelle j’étais un tel clou dans ton pied, papa, c’était parce que je te remettais en pleine face les limites de ton contrôle et de ton autorité. J’étais un DÉFI pour toi papa; j’ai jamais été un échec ni un problème! C’est pour ça que tu as toujours continué à me donner ton soutien, et c’est pour ça que mes amies m’ont dit qu’elles voulaient que je sois moi-même tout le temps. Ça remet complètement ma personnalité sous un nouveau jour : c’est pour ça que je suis aussi fonceuse, pleine d’initiative, imaginative! 

Je n’ai plus besoin de me mettre autant de pression, je me sens tellement légère!

La patiente a donc instantanément senti la généralisation de l’infirmation fondamentale de son modèle problématique de la réalité, maintenant réécrit et mis à jour, dans toutes ses sphères de vie. Lorsque le regard de son père a changé de sens, tout a changé d’un coup : elle a intégré ses expériences contradictoires avec ses amies (qui la validaient), elle a changé sa perception des situations liées au travail et la nécessité de produire des comportements d’assujettissement et de perfectionnisme, et elle a bien sûr complètement changé sa perspective des innombrables interactions tendues avec son père à qui elle tenait tête et pour qui elle représentait un défi (au lieu d’être un fardeau comme elle l’avait toujours cru). Vous remarquerez aussi que sa transformation a également touché des construits identitaires qui s’étaient formés au contact de ce regard et du sens qu’elle lui avait donné à l’origine : ne pouvant plus se voir comme un mouton noir qui alourdit l’existence de son père, elle se voyait maintenant spontanément, et sans aucune suggestion de la psychologue, comme une personne débordant d’initiative, de créativité et de courage. 

Cette transformation fut si spectaculaire que cette patiente, qui avait passé la première rencontre et la moitié de la deuxième à sangloter, a partagé à une vitesse ahurissante toutes ces nouvelles vérités émotionnelles puis s’est tue, un peu étourdie. La psychologue et la patiente se sont regardées, puis ont souri, réalisant toutes deux que tout avait été dit… alors qu’il restait encore 25 minutes à la séance ! 

La psychologue s’est assurée que plus aucune fibre du modèle problématique de la réalité était encore active, en revisitant les déclencheurs habituels de ses différentes sphères de vie (Étape V du PRT); les marqueurs de reconsolidation étaient bien présents et la psychothérapie s’est terminée sur cette note, la patiente ne trouvant plus aucune raison de consultation. Elle a écrit quelques semaines plus tard pour informer la psychologue qu’elle se portait à merveille, et que les gains thérapeutiques étaient bel et bien maintenus.

Questionnaire de réalité partagée, par Roger Marcaurelle, Ph.D., psychologue.