Aux termes de l’art. 44 de la loi cantonale fribourgeoise du 17 octobre 2001 sur le personnel de l’Etat [LPers; RSF 122.70.1]), en cas de manquements graves ou répétés aux devoirs de service, ou pour d’autres circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de l’autorité d’engagement le maintien des rapports de service, l’autorité d’engagement peut décider du renvoi pour de justes motifs du collaborateur ou de la collaboratrice (al. 1). La décision de renvoi a un effet immédiat (al. 2). D’après l’art. 45 LPers, la procédure à suivre pour procéder à un licenciement avec effet immédiat est celle prévue par l’art. 40 LPers (art. 45 al. 1 1ère phr. LPers). Lorsque les circonstances le permettent, le renvoi est précédé d’une lettre d’avertissement telle qu’elle est définie à l’art. 39 al. 2 LPers (art. 45 al. 2 LPers).
A teneur de l’art. 32 al. 1 du règlement cantonal du 17 décembre 2002 du personnel de l’Etat (RPers; RSF 122.70.11), la procédure de renvoi peut être introduite dès qu’il existe des indices sérieux d’un motif de renvoi. Selon la nature du motif supposé et si le lien de confiance avec le collaborateur ou la collaboratrice n’est pas définitivement rompu, l’autorité d’engagement envoie une lettre d’avertissement au collaborateur ou à la collaboratrice concerné (art. 32 al. 2 RPers). Avant de rendre sa décision, l’autorité d’engagement ou la personne désignée par elle entend, en principe oralement, le collaborateur ou la collaboratrice concerné et lui impartit un délai pour consulter le dossier et faire ses remarques par écrit, conformément au droit d’être entendu (art. 32 al. 3 RPers).
Le message relatif à la LPers indique que les motifs du licenciement ordinaire sont expressément limités à une insuffisance des prestations et des aptitudes tandis que « […] [l]es justes motifs sont souvent consécutifs de fautes ou de négligences graves du collaborateur […]. Ils peuvent aussi découler d’un ensemble de circonstances qui ont fini par entamer de manière irrémédiable la relation de confiance nécessaire à la poursuite des rapports de service » (Message du 28 novembre 2000 accompagnant le projet de LPers, Bulletin des séances du Grand Conseil, BGC 2001, p. 1005 ss, 1019). 3.2.
La résiliation immédiate pour justes motifs est une mesure exceptionnelle. Elle n’est légitime que si la poursuite des rapports de service est intolérable pour l’autorité. En d’autres termes, cette résiliation n’est possible que si la poursuite des rapports de service met en cause l’intérêt public et surtout la confiance de l’autorité dans ses agents, ainsi que le bon fonctionnement du service. Le critère de savoir ce que l’autorité peut tolérer est essentiel. Conformément aux principes dégagés par la jurisprudence en droit privé, mais qui peuvent être appliqués par analogie au droit de la fonction publique, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent également justifier une résiliation immédiate. Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat. Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret. Dans son appréciation, le juge doit notamment prendre en compte la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des incidents invoqués.
Les justes motifs peuvent être de toute nature. Certains sont des évènements ou des circonstances que le collaborateur ne pouvait éviter; d’autres sont des activités, des comportements, des situations imputables à l’intéressé. Ainsi, le renvoi pour de justes motifs n’implique pas nécessairement une faute de l’agent. Il suffit que ce dernier se trouve dans une situation telle que la continuation des rapports de service soit préjudiciable aux intérêts de l’Etat. Cela recouvre toutes les circonstances qui, d’après les règles de la bonne foi, font admettre que l’autorité qui nomme ne peut plus continuer les rapports de service. On peut ainsi distinguer les causes de cessation de l’emploi dues au fait de l’agent (incapacité, non-respect des conditions d’éligibilité, justes motifs tenant à la personne) des causes tenant à l’intérêt public, par exemple lorsque, par sa seule présence, le fonctionnaire perturbe le déroulement du service, notamment en cas de conflit de personnalités au sein d’un même service.
L’employeur jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour juger si les manquements d’un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l’administration. En tant que les rapports de service relèvent du droit public, l’employeur doit néanmoins respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). Celui-ci exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui.ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts).
En droit privé du travail, la jurisprudence considère que la partie qui résilie un contrat de travail en invoquant de justes motifs ne dispose que d’un court délai de réflexion pour signifier la rupture immédiate des relations de travail, sous peine de déchéance; si elle tarde à agir, elle donne à penser qu’elle a renoncé à la résiliation immédiate, respectivement qu’elle peut s’accommoder de la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat. Les circonstances du cas concret déterminent le laps de temps dans lequel on peut raisonnablement attendre de la partie qu’elle prenne la décision de résilier le contrat immédiatement; de manière générale, la jurisprudence considère qu’un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables est suffisant pour réfléchir et prendre des renseignements juridiques, étant précisé que les week-ends et les jours fériés ne sont pas pris en considération. Un délai supplémentaire est toléré s’il se justifie par les exigences pratiques de la vie quotidienne et économique; on peut ainsi admettre une prolongation de quelques jours lorsque la décision doit être prise par un organe polycéphale au sein d’une personne morale, ou lorsqu’il faut entendre le représentant de l’employé. Ces principes jurisprudentiels, développés au regard de l’art. 337 CO, ne sont pas sans autres transposables aux rapports de travail de droit public. En ce domaine, le licenciement se fait en général par voie de décision motivée et il est souvent précédé d’une enquête, en particulier quand il s’agit d’étayer ou d’infirmer des soupçons. L’intéressé bénéficie en outre des garanties propres à la procédure administrative, en particulier du droit d’être entendu. Enfin, indépendamment de ces garanties, les contingences liées aux procédures internes d’une administration ne permettent souvent pas de prendre une décision immédiate, surtout lorsque la décision ne peut pas être prise par le supérieur hiérarchique direct, mais dépend de l’autorité d’engagement ou d’une autorité de surveillance. Des motifs objectifs (droit d’être entendu, spécificités de la procédure administrative) peuvent ainsi justifier selon les cas d’accorder à l’employeur de droit public un délai de réaction plus long qu’en droit privé, mais celui-ci ne doit pas pour autant laisser traîner les choses.
Parmi les obligations professionnelles les plus importantes, l’art. 56 LPers énonce que le collaborateur ou la collaboratrice accomplit son travail avec diligence, conscience professionnelle et fidélité à son employeur. Il ou elle s’engage à servir les intérêts de l’Etat et du service public en fournissant des prestations de qualité (al. 1). Le collaborateur ou la collaboratrice planifie et organise son travail et fait preuve d’initiative, dans le but d’atteindre les objectifs fixés (al. 2). Par son comportement, il ou elle se montre digne de la confiance et de la considération que sa fonction, en tant qu’agent ou agente des services publics, lui confère (al. 3). Le devoir de fidélité issu de la législation sur le personnel de l’Etat contient une « double obligation de loyauté » (doppelte Loyalitätsverpflichtung), dans la mesure où l’employé soumis à cette réglementation ne se doit pas uniquement de sauvegarder les intérêts publics et d’être loyal envers son employeur (devoir de confiance particulier), mais également – en tant que citoyen – envers l’Etat (devoir de confiance général). L’employé viole son devoir de fidélité et de sauvegarde des intérêts lorsqu’il n’observe pas les règles de droit, les accords contractuels, les directives ou les instructions données.
Une attitude de confrontation ouverte et sans retenue, comme le ton utilisé dans des communications ou le dépôt d’une plainte pénale, sont contraires à la pondération et à la courtoisie de rigueur dans les relations entre agents publics et peuvent exclure la continuation des rapports de service. Un comportement particulièrement agressif et polémique a également été considéré comme incompatible avec le statut d’agent de l’Etat (arrêt TC FR 601 2016 151 du 13 février 2018 consid. 3c et les références). Par ailleurs, des injures proférées par un employé peuvent, selon les circonstances, justifier ou non un licenciement immédiat. Le Tribunal fédéral a également considéré qu’une injure grave proférée devant des collègues ou des clients peut constituer un juste motif de licenciement immédiat. Cela étant, il faut distinguer l’infraction due à un état d’énervement et de perte de maîtrise de celle commise avec une intention de nuire à l’employeur. En outre, l’attitude de l’employeur doit être prise en compte dans tous les cas de figure lors de l’examen des circonstances (arrêt TF 4A_246/2020 du 23 juin 2020 consid. 4.3.2 et les références, rendu en matière de droit privé). Parmi les circonstances à prendre en considération figure également le comportement non conforme au contrat ou à la loi de l’employeur, qui peut se révéler à l’origine de la situation de tension qui a conduit l’employé à violer gravement son devoir de fidélité. L’employeur qui laisse une situation de conflit se créer et s’envenimer supporte en effet une large part de responsabilité. Le comportement de l’employeur ne peut toutefois être considéré comme abusif que si l’atteinte à la personnalité de l’employé (commise par l’employeur) est en lien de causalité avec le motif de la résiliation immédiate (arrêt TF 8C_879/2018 du 6 mars 2020 consid. 3.2 et les références).
La notion de protection de la personnalité de l’agent public et l’obligation qui en découle pour l’employeur est typiquement un concept dont la portée et la valeur matérielle sont identiques en droit public et en droit privé. Il incombe à l’employeur public, comme à l’employeur privé, de protéger et respecter la personnalité du travailleur. Cette obligation comprend notamment le devoir de l’employeur d’agir dans certains cas pour calmer une situation conflictuelle et de ne pas rester inactif. Enfin, une absence de harcèlement psychologique est présumée lorsqu’un employé s’en plaint dans une procédure de licenciement sans avoir saisi le groupe de confiance, alors même que ladite institution était à sa disposition et spécialisée dans la problématique (arrêt TF 8C_148/2023 du 18 octobre 2023 consid. 7, qui renvoie à un arrêt genevois A/221/2022 du 31 janvier 2023 consid.3.i).
Le point de savoir si et dans quelle mesure un manquement est propre à ébranler ou à détruire le rapport de confiance entre employeur et employé s’examine de manière objective. Le comportement incriminé doit paraître suffisamment répréhensible aux yeux d’un tiers; la perception attendue d’un tiers et son impression générale relèvent de l’expérience générale de la vie. Cette approche objective s’impose en particulier au regard du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) régissant l’activité étatique, qui implique d’opérer une mise en balance des intérêts et de tenir compte de l’ensemble des circonstances.
Dans le cas d’espèce, et contrairement à ce qu’affirme le recourant [enseignant licencié avec effet immédiat] , la décision prononçant son renvoi immédiat se fondait sur une appréciation globale d’une communication hautement inadéquate et irrespectueuse de l’intéressé envers sa hiérarchie, propre à miner profondément la relation de confiance entre ce dernier et l’établissement, en particulier avec le doyen qui était son supérieur direct. C’est bien l’accumulation des manquements du collaborateur et son attitude systématique de confrontation, dont la tonalité s’est par ailleurs aggravée au fur et à mesure des écritures qu’il a déposées pendant la procédure, qui sont à l’origine de la décision de renvoi avec effet immédiat, indépendamment de la gravité des faits reprochés, considérés séparément. En outre, bien que le recourant incrimine exclusivement le doyen dans ses écritures, la Cour de céans relève que le contentieux entre l’intéressé et l’établissement n’était pas lié à la seule personne du doyen. En effet, d’autres personnes également rencontraient des difficultés à collaborer avec lui ou ont fait état de problèmes de communication similaires. Cela étant, le non-respect de la hiérarchie, la remise en question permanente des instructions données, et cela de manière cavalière, voire insultante, par le recourant ne pouvaient pas être tolérés plus longtemps, de crainte qu’ils ne remettent en question de manière sévère l’autorité et la crédibilité du doyen face aux autres enseignants, mais aussi face aux élèves, et qu’ils puissent à terme mettre à mal le fonctionnement même de l’établissement. Dans la mesure et dès le moment où le recourant a été menaçant envers son supérieur direct, et où l’instruction a mis en lumière qu’il lui a attribué des propos, notamment racistes, qu’aucun témoin n’a été en mesure de confirmer, son attitude a excédé ce qui était tolérable et a rompu définitivement le lien de confiance. L’attitude du recourant était d’autant plus intolérable qu’en sa qualité d’enseignant, il se devait de transmettre à ses élèves des valeurs morales et d’attitude en société qu’il ne respectait manifestement pas lui-même. Dans de telles conditions, l’autorité intimée n’a pas commis d’excès ou d’abus de son pouvoir d’appréciation en retenant que le comportement du recourant était apte à rompre le lien de confiance et à exclure immédiatement toute continuation des rapports de service. Le recourant n’a manifestement pas pu ou pas voulu se plier aux contraintes liées à l’exercice de sa fonction et a préféré alimenter un rapport de confrontation systématique avec son supérieur hiérarchique plutôt que de donner suite à ses demandes. Dans ce contexte, les prétendues difficultés qui régnaient au sein de l’établissement sont sans incidence. Au vu de la rupture claire et irrémédiable du lien de confiance, ainsi que de la répétition des comportements incriminés, la continuation des rapports de service jusqu’au délai ordinaire de résiliation ne pouvait pas être exigée de l’établissement. Dans ces conditions, le licenciement immédiat du recourant est proportionné, étant souligné que, manifestement, ni un avertissement, ni un transfert n’étaient plus à même de sauvegarder les intérêts publics en jeu. Partant, la décision querellée respecte également le principe de la proportionnalité. Il résulte de ce qui précède que le recourant ne peut prétendre à une indemnité. Mal fondé, le recours sera rejeté tant sur ses conclusions principales qu’en ce qui concerne ses conclusions subsidiaires
(Arrêt de la Ière Cour administrative du Tribunal cantonal [FR] 601 2023 121, 601 2023 122 du 12 avril 2024, consid. 3 et 4.6)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM