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Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Nouvelle fonction pour un même employeur public : nouveau temps d’essai ?

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Le recourant critique « l’aménagement d’un nouveau temps d’essai dans le cadre d’une relation contractuelle ininterrompue entre les parties ». Il souligne, en se fondant sur divers avis de doctrine et arrêts du Tribunal fédéral, que l’objectif du temps d’essai est de permettre aux parties de préparer l’établissement de rapports de travail destinés à durer, en leur donnant l’occasion d’éprouver leurs relations de confiance, de déterminer si elles se conviennent mutuellement et de réfléchir avant de s’engager pour une plus longue période. Le recourant soutient que, vu l’objectif du temps d’essai, ce dernier ne serait concevable qu’entre des parties qui ne se connaissent pas. Il n’aurait donc pas dû être soumis à une nouvelle période probatoire puisqu’il travaillait déjà pour le SITel [employeur public FR] depuis plus de six ans et qu’il était parfaitement connu de son employeur. 

A l’appui de cette critique, le recourant n’invoque la violation d’aucune norme de droit cantonal et a fortiori il n’en démontre pas l’application arbitraire. Il est dès lors douteux que cette critique, telle qu’elle est formulée, remplisse les exigences de motivation découlant de l’art. 106 al. 2 LTF. Quoiqu’il en soit, l’instauration d’une nouvelle période d’essai n’apparaît pas arbitraire en l’espèce. En effet, la cour cantonale a constaté, sans que cela ne soit contesté par le recourant, que le contrat portait sur une nouvelle fonction avec un nouveau cahier des charges; dans ces circonstances, il n’est pas insoutenable de prévoir une nouvelle période d’essai. Le recourant méconnaît que la finalité du temps d’essai porte tant sur la personnalité du collaborateur que sur son adéquation avec une certaine fonction. Cela justifie de reconnaître une grande liberté d’appréciation à l’autorité dans l’instauration d’un temps d’essai.

De plus, le recourant a accepté l’instauration d’une nouvelle période d’essai. Il ressort en effet des constatations de l’instance précédente – qui ne peuvent être taxées d’arbitraires – que le recourant a été informé, par courriel de la cheffe de section du 6 juillet 2021, de ses conditions d’engagement futures pour la place d' »ICT System Controller », et notamment du fait qu’une période probatoire lui serait imposée. Le recourant a par ailleurs ratifié, sans le contester, le contrat du 26 août 2021, prévoyant expressément une période probatoire de douze mois. La cour cantonale peut par ailleurs être suivie lorsqu’elle considère qu’il était pour le moins téméraire de la part du recourant de soutenir, près de dix-huit mois après son engagement, qu’il n’aurait pas dû être soumis à une période d’essai. La critique doit être rejetée, pour autant qu’elle soit recevable.

(Arrêt du Tribunal fédéral 1C_72/2024 du 18 avril 2024, consid. 3.2)

Me Philippe Ehrenström, avocat LLM

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Usage et mésusage des armoiries de la Confédération suisse

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Le requérant [l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle ; IPI] sollicite sur mesures provisionnelles qu’il soit ordonné à l’administration des douanes de continuer à retenir l’envoi contenant la marchandise portant les armoiries suisses, et qu’il soit fait interdiction au cité d’importer de tels objets.

Le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu’une prétention dont il est titulaire est l’objet d’une atteinte ou risque de l’être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l’interdiction et l’ordre de cessation d’un état de fait illicite (art. 262 let. a et b CPC). En matière de protection des signes publics, l’art. 25 de la loi du 21 juin 2013 sur la protection des armoiries de la Suisse et des autres signes publics (LPAP ; RS 232.21), qui constitue à cet égard une disposition spéciale, prévoit que le tribunal peut également ordonner des mesures provisionnelles dans le but d’assurer la conservation des preuves (art. 25 let. a LPAP), de préserver l’état de fait (art. 25 let. c LPAP) et de déterminer la provenance des objets portant illicitement des signes publics protégés (art. 25 let. b LPAP).

L’octroi de mesures provisionnelles suppose cumulativement que le requérant rende vraisemblable l’existence d’une atteinte ou d’un risque d’atteinte à un droit matériel, la menace d’un préjudice difficilement réparable et l’urgence de la situation.

La condition de l’urgence doit être considérée comme remplie lorsque, sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l’efficacité du jugement rendu à l’issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise.

Les mesures ordonnées doivent être proportionnées au risque d’atteinte. Le juge doit en particulier procéder à la pesée des intérêts en présence, c’est-à-dire à l’appréciation des désavantages respectifs pour chacune des parties selon que la mesure requise est ou non ordonnée.

La croix suisse consiste en une croix blanche, verticale et alésée, placée sur un fond rouge et dont les branches, égales entre elles, sont d’un sixième plus longues que larges (art. 1er LPAP). Les armoiries de la Confédération suisse consistent en une croix suisse placée dans un écusson triangulaire (art. 2 al. 1 LPAP). Le drapeau de la Confédération suisse consiste en une croix suisse placée dans un carré (art. 3 al. 1 LPAP).

Les armoiries de la Confédération suisse et les signes susceptibles d’être confondus avec eux ne peuvent être utilisés que par la collectivité concernée (art. 8 al. 1 LPAP). L’emploi des armoiries par d’autres personnes que la collectivité concernée est admis dans différentes circonstances prévues à l’art. 8 al. 4 LPAP, notamment à titre d’illustration dans un dictionnaire ou un ouvrage scientifique, à titre de décoration lors d’une fête ou pour représenter un élément du signe des brevets suisses. Toute personne qui utilise un tel signe public doit apporter la preuve qu’elle y est autorisée (art. 19 LPAP).

Le fait d’apposer des signes publics protégés par la LPAP sur des objets, de vendre, mettre en vente, importer, exporter, faire transiter ou mettre en circulation des objets ainsi marqués constitue un emploi illicite des signes publics (art. 8 al. 1 et 28 al. 1 let. a LPAP).

La Confédération peut intenter une action en vertu de l’art. 20 al. 1 LPAP contre tout emploi illicite des signes visés aux art. 1 à 4 et 7 LPAP (art. 22 al. 1 LPAP).

Elle peut ainsi demander au juge d’interdire l’atteinte en raison de l’emploi illicite d’un signe public, si elle est imminente, de la faire cesser, si elle dure encore, d’exiger de la partie défenderesse qu’elle indique la provenance et la quantité des objets sur lesquels un signe public a été illicitement apposé et qui se trouvent en sa possession et qu’elle désigne les destinataires et la quantité des objets qui ont été remis à des acheteurs commerciaux et d’en constater le caractère illicite, si le trouble qu’elle a créé subsiste (art. 20 al. 1 LPAP).

L’IPI peut intenter des actions visant à la protection de ces signes lorsque leur utilisation permet de conclure à une autorité nationale ou à une activité étatique ou semi-étatique (art. 22 al. 2 LPAP).

L’action peut être intentée contre toute personne qui utilise illicitement un signe public. Il s’agira avant tout du producteur d’objets sur lesquels ont été apposés illicitement des signes publics ou des signes susceptibles d’être confondus avec eux ou du fournisseur de services utilisant le signe public sans y être autorisé, mais également du vendeur, grossiste, détaillant ou de celui qui importe, exporte, fait transiter ou met en circulation de toute autre manière de tels objets (art. 28 al. 1 let. a LPAP).

Si le consommateur n’a, en principe, pas la légitimation passive lorsque la violation intervient dans le cadre de sa consommation privée, le demandeur peut toutefois recourir aux instruments de droit civil lorsque l’importation, l’exportation ou le transit de produits de fabrication industrielle sont effectués à des fins privées.

En l’espèce, le requérant [l’IPI] se prévaut de l’emploi illicite des armoiries de la Confédération, soit de signes publics visés aux art. 1 à 4 LPAP. Il rend vraisemblable que la présence des armoiries de la Confédération, apposées à proximité des mentions « SWISS PHARMACEUTICALS » ou « SWISS MADE », sur des emballages et des boîtes contenant des compléments alimentaires, puisse permettre de conclure à l’existence d’une activité étatique ou semi-étatique, en particulier qu’elle puisse faire penser que les produits contenus dans les emballages et boîtes ainsi estampillés aient subi avec succès un processus de contrôle ou d’autorisation officiels. L’IPI dispose en conséquence de la qualité pour agir au sens de l’art. 22 al. 2 LPAP.

Le cité soutient ne pas être responsable des logos apposés par fournisseur sur les boîtes et emballages des compléments alimentaires qui lui ont été adressés. Il ne conteste en revanche pas avoir commandé et s’être fait livrer ces compléments alimentaires en Suisse. Ayant ainsi importé en Suisse des objets portant des signes publics protégés par la LPAP, il a participé à l’emploi illicite de tels signes. Le fait qu’il ait importé cette marchandise à des fins privées n’empêche pas le requérant d’agir civilement à son encontre pour protéger ces signes publics, de sorte que le cité revêt la qualité pour défendre dans la présente procédure de mesures provisionnelles engagée par le requérant.

S’agissant de la violation du droit d’exclusivité d’usage des armoiries de la Confédération, il ressort des photographies produites par le requérant que les armoiries de la Confédération, ou des signes pouvant être confondus avec elles, figurent tant sur les boîtes contenant les compléments alimentaires que sur leurs emballages. Dans la mesure où le cité ne conteste pas avoir fait importer ces produits en Suisse ni ne se prévaut de circonstances justifiant l’utilisation de ces signes publics en vertu de l’art. 8 al. 4 LPAP, l’emploi desdits signes apparaît illicite. L’atteinte au droit d’exclusivité d’utiliser les armoiries de la Confédération suisse est ainsi rendue vraisemblable.

Le requérant rend également vraisemblable qu’il risque de subir un préjudice difficilement réparable si les mesures provisionnelles requises ne sont pas ordonnées : la remise au cité de la marchandise retenue risque en effet de rendre considérablement plus difficile la mise en œuvre des droits conférés par la loi pour la protection des signes publics en faisant courir au requérant un risque de disparition des preuves, en lui rendant plus difficile l’établissement de l’état de fait dans la procédure au fond et, surtout, en compromettant l’exécution d’un jugement final admettant par hypothèse ses conclusions en confiscation et en destruction des objets remis.

La rétention de la marchandise requise jusqu’à l’issue de la procédure au fond est enfin proportionnée, l’intérêt du requérant à la conservation des preuves et à la préservation de l’état de fait jusqu’à l’issue de la procédure au fond prévalant celui du cité à obtenir immédiatement la marchandise litigieuse. Il apparaît en particulier prématuré, au stade des présentes mesures provisionnelles, de déterminer s’il convient de transférer la marchandise dans un autre contenant pour la remettre au cité, question qu’il appartiendra au juge du fond de trancher.

Il se justifie en conséquence d’ordonner à l’Administration fédérale des douanes de continuer à retenir et, en particulier, de ne pas remettre au cité ou à des tiers l’envoi qu’elle a retenu sous la référence 1______; 2______, contenant deux boîtes de « C______ », avec armoiries suisses, y compris les emballages et les éventuels documents d’accompagnement.

Il ne sera en revanche pas donné suite aux conclusions du requérant tendant à ce qu’il soit fait interdiction au cité, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, d’importer des objets portant illicitement des signes publics suisses ou des signes susceptibles d’être confondus avec eux, dans la mesure où ce dernier a indiqué qu’il renonçait à commander de nouvelles marchandises sur ce site et serait plus attentif par la suite.

Un délai de 30 jours sera fixé au requérant pour valider les présentes mesures provisionnelles par le dépôt d’une action au fond, sous peine de caducité de ces mesures (art. 263 CPC).

(Arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice ACJC/515/2024 du 23.04.2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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L’arrêt de la CEDH Bianca Castafiore c/ France

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La scène est tirée des Bijoux de la Castafiore (pp. 27-28 et 41-42) : Bianca Castafiore, le Rossignol milanais pousse une chaise roulante dans laquelle est assis le Capitaine Haddock, apparemment peu enchanté. Des paparazzi photographient la scène, et publient dans Paris-Flash un article sur les projets matrimoniaux (imaginaires) du vieux loup de mer et de la cantatrice survitaminée. Il s’agit d’une atteinte manifeste à la vie privée et à la personnalité de l’illustrissime, que le capitaine avait par ailleurs comparé (si je m’en souviens bien) peu charitablement avec une tempête dans la mer des Sargasses.

Comme le relève Emmanuel Putman (Lettre à Bianca Castafiore à propos du droit à l’image et au respect de la vie privée, in : Jeremy Heymann (ed.), Tintin en droit, Paris, LexisNexis, 2024, pp. 85-88), il convient de s’inspirer de la jurisprudence de la CEDH pour apprécier la balance faite entre la protection de la personnalité et le droit à l’information. Et notre auteur d’imaginer ce que serait un arrêt Bianca Castafiore c/ France, exercice qu’il pratique apparemment avec ses étudiants de l’Université d’Aix-Marseille (qui ont bien de la chance…)

Dans un arrêt du 24 juin 2004 von Hannover c. Allemagne (n° 59320/00), la CEDH avait donc examiné le droit au respect de la vie privée de Caroline de Hanovre et ses rapports avec le droit à l’information, s’agissant de la publication de photos prises dans l’exercice d’activités de loisir, à cheval, à bicyclette, sur une piste de ski, faisant ses courses, etc., c’est-à-dire dans le cadre d’activités de nature privée (§ 49). La CEDH avait considéré que ces activités relevaient de la vie privée (§ 50), et que la publication de telles photos, qui n’exerçait là aucune fonction publique ni politique, avait bien violé son droit au respect de sa vie privée garantit par l’art. 8 CEDH.

La CEDH avait notamment retenu :

« 63. La Cour considère qu’il convient d’opérer une distinction fondamentale entre un reportage relatant des faits – même controversés – susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, se rapportant à des personnalités politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles par exemple, et un reportage sur les détails de la vie privée d’une personne qui, de surcroît, comme en l’espèce, ne remplit pas de telles fonctions. Si, dans le premier cas, la presse joue son rôle essentiel de «chien de garde» dans une démocratie en contribuant à «communiquer des idées et des informations sur des questions d’intérêt public», il en va autrement dans le second cas.

64. De même, s’il existe un droit du public à être informé, droit essentiel dans une société démocratique qui, dans des circonstances particulières, peut même porter sur des aspects de la vie privée de personnes publiques, notamment lorsqu’il s’agit de personnalités politiques […].

76. La Cour considère que l’élément déterminant, lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression, doit résider dans la contribution que les photos et articles publiés apportent au débat d’intérêt général ».

La CEDH a développé et précisé sa jurisprudence dans les arrêts Axel Springer Ag c. Allemagne, du 7 février 2012 (n° 39954/08) et dans un second arrêt Hanovre du 19 septembre 2013 (n° 8772/10). Les critères de mise en balance du droit à la liberté d’expression et du droit au respect de la vie privée » (§ 89 s.) sont donc les suivants : contribution à un débat d’intérêt général ; notoriété de la personne visée et l’objet du reportage ; comportement antérieur de la personne concernée ; mode d’obtention des informations et leur véracité ; contenu, forme et répercussions de la publication ; gravité de la sanction imposée. (François Saint-Pierre, Respect de la vie privée versus droit à l’information : un point utile sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Dalloz Actualités 27.02.2015)

Qu’en retenir pour l’affaire Bianca Castafiore c/ France ?

« J’ai le regret de dire que dans les trois arrêt successifs von Hannover I, II et III, le droit au respect de la vie privée dans sa confrontation avec la liberté d’expression a subi de regrettables érosions. Je m’en console en retenant la motivation satisfaisante de von Hannover I qui insiste sur l’espérance légitime de protection que peut avoir même une personne connue du grand public et sur l’importance fondamentale du respect de la vie privée pour l’épanouissement de la personnalité et qui rappelle que le droit du public à l’information ne doit primer sur ces considérations que dans le cas d’un débat d’intérêt général. (…) Les atténuations apportées à cette motivation de principe concernent des personnes publiques ayant un rôle sur la scène politique ou sociale. Votre rôle social [il s’adresse à la Castafiore] pour la diffusion, la défense et l’illustration de l’art lyrique qui nous est cher ne saurait échapper à personne, mais de là à inventer des projets matrimoniaux inexistants avec des personnages qui ne sont pas tous des célébrités sur de la scène publique ou qui ont une place dans l’histoire sans aucun rapport avec ces calembredaines (…) il y a un grand écart que la presse, les médias en général ont trop souvent franchi. » (Emmanuel Putman, op. cit. p. 88).

Les intérêts de l’immortelle interprète de Gounod (l’air des bijoux…) devraient donc prévaloir…

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Le chien Milou et le droit

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Les publications scientifiques sur le monde de Tintin, son créateur, son œuvre, sa postérité sont nombreuses, et d’intérêt parfois inégal. Les sciences sociales ont pu être jargonneuses, les psychiatres pontifiants, les lettreux abscons, etc.

C’est donc le lieu de relever la publication de Tintin en droit. Regards de juristes sur Les Aventures de Tintin, Paris, LexisNexis, 2024, sous la direction de Jeremy Heymann, qui contient des études empreintes de clarté, et qui se lisent avec grand plaisir.

Le Chief Happiness Officer de mon Etude, Miss Dona Spaniel, a particulièrement apprécié la lecture de l’article de Jean-Pierre Marguénaud, Milou et le droit (pp. 99-107), qui rend hommage avec sensibilité au véritable héros de l’épopée tintinesque, j’ai bien évidemment nommé le chien Milou.

Cette contribution subtile renvoie notamment au célèbre arrêt Delgado (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 décembre 2015, no 14-25.910, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000031608173/, qui est un bichon frisé – et pas un fox terrier).

La Cour de cassation en retient notamment que le chien en cause était un être vivant, unique et irremplaçable, et un animal de compagnie destiné à recevoir l’affection de son maître, sans aucune vocation économique – il ne devait donc pas être considéré comme un bien remplaçable au sens du droit de la consommation, mais comme un être vivant, unique et irremplaçable.

C’est exactement ce que fut Milou, malgré, il est vrai, certains défauts de son espèce (gloutonnerie, félinophobie) et d’autres qui lui furent propres (l’ivrognerie, à peu près inconnue chez les chiens ordinaires).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Que faire de la boîte mail de l’employé après la fin des rapports de travail ?

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Une cadre (personne concernée) est licenciée au mois d’août 2022 avec un préavis de six semaines. Durant celui-ci, un différend éclata quant à savoir si elle était toujours autorisée à accéder à sa boîte mail professionnelle. L’accès à sa boîte aux lettres a été finalement coupé le 12 septembre 2022. Un accès à ladite boîte aux lettres aurait été donné à son supérieur.

Le 15 septembre 2022, la personne concernée a formulé une demande d’accès et a demandé à l’employeur (responsable de traitement) de confirmer que personne n’avait accédé à sa boîte mail sur la base des journaux informatiques.

Le 25 janvier 2023, le responsable de traitement a répondu en fournissant une synthèse des logs relatifs à la boîte mail litigieuse. Ces journaux ont montré qu’il n’y avait aucun accès à la boîte aux lettres électronique. Cependant, la personne concernée a affirmé que ce document était inexact ou incomplet. Elle a également souligné que son compte de messagerie professionnelle existait toujours en janvier 2023, bien après son départ de son lieu de travail.

La personne concernée a déposé une plainte auprès de l’autorité de protection des données belge (APD ; Gegevensbeschermingsautoriteit).

L’APD, dans une décision 71/2024 du 6 mai 2024 (présentée, commenté et annexée en original sur gdprhub : https://gdprhub.eu/index.php?title=APD/GBA_(Belgium)_-_71/2024&mtc=today), retient notamment ce qui suit :

L’APD considère que la boîte mail peut rester active pendant un certain temps après le licenciement de la personne concernée, à condition qu’elle se limite à l’envoi automatique de communications standards concernant le départ de la personne concernée, afin d’assurer le bon fonctionnement de l’entreprise.

Le responsable de traitement dispose d’un délai d’un mois au terme duquel il doit supprimer l’adresse e-mail et la boîte aux lettres de la personne concernée, à moins que d’autres accords n’aient été conclus à cet égard entre le responsable du traitement et l’ancien employé. Un délai plus long peut être accordé en fonction du contexte et du degré de responsabilité de la personne concernée mais cette prolongation doit se faire avec le consentement de la personne concernée.

Dans le cas présent, l’APD a constaté que les modalités de la suppression de la boîte mail  n’étaient pas définies et mises en œuvre de manière transparente. Par exemple, il n’était pas clair combien de temps l’e-mail continuait d’exister après le départ de la personne concernée et qui y avait accès. De plus, la personne concernée n’a pas été informée de la période de transition prolongée mise en œuvre par le responsable de traitement.

Dans le cas présent, la personne concernée occupait une position importante dans l’entreprise. L’APD a donc estimé qu’une période de transition de plus d’un mois semblait justifiée. Cependant, le moment exact de la fermeture de la boîte aux lettres n’était pas clair et semblait être plus long que les délais recommandés, étant donné que le compte de messagerie existait toujours en janvier 2023. En outre, des doutes ont été soulevés quant à l’accès possible de tiers à la boîte aux lettres de la personne concernée.

Ainsi, l’APD a considéré que le responsable de traitement n’avait pas pris de mesures techniques et organisationnelles pour assurer le respect du RGPD. Elle a estimé que cela mettait en évidence un manque de dispositions transparentes concernant la politique de  fermeture des boîtes aux lettres des anciens salariés, ce qui peut violer l’article 5, paragraphe 1, point a) du RGPD et l’article 25 du RGPD . Il y a également eu une violation présumée des articles 6, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, point a) du RGPD, car la boîte aux lettres était restée ouverte sans base légale.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Licenciement immédiat d’un enseignant

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Aux termes de l’art. 44 de la loi cantonale fribourgeoise du 17 octobre 2001 sur le personnel de l’Etat [LPers; RSF 122.70.1]), en cas de manquements graves ou répétés aux devoirs de service, ou pour d’autres circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de l’autorité d’engagement le maintien des rapports de service, l’autorité d’engagement peut décider du renvoi pour de justes motifs du collaborateur ou de la collaboratrice (al. 1). La décision de renvoi a un effet immédiat (al. 2). D’après l’art. 45 LPers, la procédure à suivre pour procéder à un licenciement avec effet immédiat est celle prévue par l’art. 40 LPers (art. 45 al. 1 1ère phr. LPers). Lorsque les circonstances le permettent, le renvoi est précédé d’une lettre d’avertissement telle qu’elle est définie à l’art. 39 al. 2 LPers (art. 45 al. 2 LPers).

A teneur de l’art. 32 al. 1 du règlement cantonal du 17 décembre 2002 du personnel de l’Etat (RPers; RSF 122.70.11), la procédure de renvoi peut être introduite dès qu’il existe des indices sérieux d’un motif de renvoi. Selon la nature du motif supposé et si le lien de confiance avec le collaborateur ou la collaboratrice n’est pas définitivement rompu, l’autorité d’engagement envoie une lettre d’avertissement au collaborateur ou à la collaboratrice concerné (art. 32 al. 2 RPers). Avant de rendre sa décision, l’autorité d’engagement ou la personne désignée par elle entend, en principe oralement, le collaborateur ou la collaboratrice concerné et lui impartit un délai pour consulter le dossier et faire ses remarques par écrit, conformément au droit d’être entendu (art. 32 al. 3 RPers).

Le message relatif à la LPers indique que les motifs du licenciement ordinaire sont expressément limités à une insuffisance des prestations et des aptitudes tandis que « […] [l]es justes motifs sont souvent consécutifs de fautes ou de négligences graves du collaborateur […]. Ils peuvent aussi découler d’un ensemble de circonstances qui ont fini par entamer de manière irrémédiable la relation de confiance nécessaire à la poursuite des rapports de service » (Message du 28 novembre 2000 accompagnant le projet de LPers, Bulletin des séances du Grand Conseil, BGC 2001, p. 1005 ss, 1019). 3.2.

La résiliation immédiate pour justes motifs est une mesure exceptionnelle. Elle n’est légitime que si la poursuite des rapports de service est intolérable pour l’autorité. En d’autres termes, cette résiliation n’est possible que si la poursuite des rapports de service met en cause l’intérêt public et surtout la confiance de l’autorité dans ses agents, ainsi que le bon fonctionnement du service. Le critère de savoir ce que l’autorité peut tolérer est essentiel. Conformément aux principes dégagés par la jurisprudence en droit privé, mais qui peuvent être appliqués par analogie au droit de la fonction publique, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent également justifier une résiliation immédiate. Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat. Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret. Dans son appréciation, le juge doit notamment prendre en compte la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des incidents invoqués.

Les justes motifs peuvent être de toute nature. Certains sont des évènements ou des circonstances que le collaborateur ne pouvait éviter; d’autres sont des activités, des comportements, des situations imputables à l’intéressé. Ainsi, le renvoi pour de justes motifs n’implique pas nécessairement une faute de l’agent. Il suffit que ce dernier se trouve dans une situation telle que la continuation des rapports de service soit préjudiciable aux intérêts de l’Etat. Cela recouvre toutes les circonstances qui, d’après les règles de la bonne foi, font admettre que l’autorité qui nomme ne peut plus continuer les rapports de service. On peut ainsi distinguer les causes de cessation de l’emploi dues au fait de l’agent (incapacité, non-respect des conditions d’éligibilité, justes motifs tenant à la personne) des causes tenant à l’intérêt public, par exemple lorsque, par sa seule présence, le fonctionnaire perturbe le déroulement du service, notamment en cas de conflit de personnalités au sein d’un même service.

L’employeur jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour juger si les manquements d’un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l’administration. En tant que les rapports de service relèvent du droit public, l’employeur doit néanmoins respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). Celui-ci exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui.ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts).

En droit privé du travail, la jurisprudence considère que la partie qui résilie un contrat de travail en invoquant de justes motifs ne dispose que d’un court délai de réflexion pour signifier la rupture immédiate des relations de travail, sous peine de déchéance; si elle tarde à agir, elle donne à penser qu’elle a renoncé à la résiliation immédiate, respectivement qu’elle peut s’accommoder de la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat. Les circonstances du cas concret déterminent le laps de temps dans lequel on peut raisonnablement attendre de la partie qu’elle prenne la décision de résilier le contrat immédiatement; de manière générale, la jurisprudence considère qu’un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables est suffisant pour réfléchir et prendre des renseignements juridiques, étant précisé que les week-ends et les jours fériés ne sont pas pris en considération. Un délai supplémentaire est toléré s’il se justifie par les exigences pratiques de la vie quotidienne et économique; on peut ainsi admettre une prolongation de quelques jours lorsque la décision doit être prise par un organe polycéphale au sein d’une personne morale, ou lorsqu’il faut entendre le représentant de l’employé. Ces principes jurisprudentiels, développés au regard de l’art. 337 CO, ne sont pas sans autres transposables aux rapports de travail de droit public. En ce domaine, le licenciement se fait en général par voie de décision motivée et il est souvent précédé d’une enquête, en particulier quand il s’agit d’étayer ou d’infirmer des soupçons. L’intéressé bénéficie en outre des garanties propres à la procédure administrative, en particulier du droit d’être entendu. Enfin, indépendamment de ces garanties, les contingences liées aux procédures internes d’une administration ne permettent souvent pas de prendre une décision immédiate, surtout lorsque la décision ne peut pas être prise par le supérieur hiérarchique direct, mais dépend de l’autorité d’engagement ou d’une autorité de surveillance. Des motifs objectifs (droit d’être entendu, spécificités de la procédure administrative) peuvent ainsi justifier selon les cas d’accorder à l’employeur de droit public un délai de réaction plus long qu’en droit privé, mais celui-ci ne doit pas pour autant laisser traîner les choses.

Parmi les obligations professionnelles les plus importantes, l’art. 56 LPers énonce que le collaborateur ou la collaboratrice accomplit son travail avec diligence, conscience professionnelle et fidélité à son employeur. Il ou elle s’engage à servir les intérêts de l’Etat et du service public en fournissant des prestations de qualité (al. 1). Le collaborateur ou la collaboratrice planifie et organise son travail et fait preuve d’initiative, dans le but d’atteindre les objectifs fixés (al. 2). Par son comportement, il ou elle se montre digne de la confiance et de la considération que sa fonction, en tant qu’agent ou agente des services publics, lui confère (al. 3). Le devoir de fidélité issu de la législation sur le personnel de l’Etat contient une « double obligation de loyauté » (doppelte Loyalitätsverpflichtung), dans la mesure où l’employé soumis à cette réglementation ne se doit pas uniquement de sauvegarder les intérêts publics et d’être loyal envers son employeur (devoir de confiance particulier), mais également – en tant que citoyen – envers l’Etat (devoir de confiance général). L’employé viole son devoir de fidélité et de sauvegarde des intérêts lorsqu’il n’observe pas les règles de droit, les accords contractuels, les directives ou les instructions données.

Une attitude de confrontation ouverte et sans retenue, comme le ton utilisé dans des communications ou le dépôt d’une plainte pénale, sont contraires à la pondération et à la courtoisie de rigueur dans les relations entre agents publics et peuvent exclure la continuation des rapports de service. Un comportement particulièrement agressif et polémique a également été considéré comme incompatible avec le statut d’agent de l’Etat (arrêt TC FR 601 2016 151 du 13 février 2018 consid. 3c et les références). Par ailleurs, des injures proférées par un employé peuvent, selon les circonstances, justifier ou non un licenciement immédiat. Le Tribunal fédéral a également considéré qu’une injure grave proférée devant des collègues ou des clients peut constituer un juste motif de licenciement immédiat. Cela étant, il faut distinguer l’infraction due à un état d’énervement et de perte de maîtrise de celle commise avec une intention de nuire à l’employeur. En outre, l’attitude de l’employeur doit être prise en compte dans tous les cas de figure lors de l’examen des circonstances (arrêt TF 4A_246/2020 du 23 juin 2020 consid. 4.3.2 et les références, rendu en matière de droit privé). Parmi les circonstances à prendre en considération figure également le comportement non conforme au contrat ou à la loi de l’employeur, qui peut se révéler à l’origine de la situation de tension qui a conduit l’employé à violer gravement son devoir de fidélité. L’employeur qui laisse une situation de conflit se créer et s’envenimer supporte en effet une large part de responsabilité. Le comportement de l’employeur ne peut toutefois être considéré comme abusif que si l’atteinte à la personnalité de l’employé (commise par l’employeur) est en lien de causalité avec le motif de la résiliation immédiate (arrêt TF 8C_879/2018 du 6 mars 2020 consid. 3.2 et les références).

La notion de protection de la personnalité de l’agent public et l’obligation qui en découle pour l’employeur est typiquement un concept dont la portée et la valeur matérielle sont identiques en droit public et en droit privé. Il incombe à l’employeur public, comme à l’employeur privé, de protéger et respecter la personnalité du travailleur. Cette obligation comprend notamment le devoir de l’employeur d’agir dans certains cas pour calmer une situation conflictuelle et de ne pas rester inactif. Enfin, une absence de harcèlement psychologique est présumée lorsqu’un employé s’en plaint dans une procédure de licenciement sans avoir saisi le groupe de confiance, alors même que ladite institution était à sa disposition et spécialisée dans la problématique (arrêt TF 8C_148/2023 du 18 octobre 2023 consid. 7, qui renvoie à un arrêt genevois A/221/2022 du 31 janvier 2023 consid.3.i).

Le point de savoir si et dans quelle mesure un manquement est propre à ébranler ou à détruire le rapport de confiance entre employeur et employé s’examine de manière objective. Le comportement incriminé doit paraître suffisamment répréhensible aux yeux d’un tiers; la perception attendue d’un tiers et son impression générale relèvent de l’expérience générale de la vie. Cette approche objective s’impose en particulier au regard du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) régissant l’activité étatique, qui implique d’opérer une mise en balance des intérêts et de tenir compte de l’ensemble des circonstances.

Dans le cas d’espèce, et contrairement à ce qu’affirme le recourant [enseignant licencié avec effet immédiat] , la décision prononçant son renvoi immédiat se fondait sur une appréciation globale d’une communication hautement inadéquate et irrespectueuse de l’intéressé envers sa hiérarchie, propre à miner profondément la relation de confiance entre ce dernier et l’établissement, en particulier avec le doyen qui était son supérieur direct. C’est bien l’accumulation des manquements du collaborateur et son attitude systématique de confrontation, dont la tonalité s’est par ailleurs aggravée au fur et à mesure des écritures qu’il a déposées pendant la procédure, qui sont à l’origine de la décision de renvoi avec effet immédiat, indépendamment de la gravité des faits reprochés, considérés séparément. En outre, bien que le recourant incrimine exclusivement le doyen dans ses écritures, la Cour de céans relève que le contentieux entre l’intéressé et l’établissement n’était pas lié à la seule personne du doyen. En effet, d’autres personnes également rencontraient des difficultés à collaborer avec lui ou ont fait état de problèmes de communication similaires. Cela étant, le non-respect de la hiérarchie, la remise en question permanente des instructions données, et cela de manière cavalière, voire insultante, par le recourant ne pouvaient pas être tolérés plus longtemps, de crainte qu’ils ne remettent en question de manière sévère l’autorité et la crédibilité du doyen face aux autres enseignants, mais aussi face aux élèves, et qu’ils puissent à terme mettre à mal le fonctionnement même de l’établissement. Dans la mesure et dès le moment où le recourant a été menaçant envers son supérieur direct, et où l’instruction a mis en lumière qu’il lui a attribué des propos, notamment racistes, qu’aucun témoin n’a été en mesure de confirmer, son attitude a excédé ce qui était tolérable et a rompu définitivement le lien de confiance. L’attitude du recourant était d’autant plus intolérable qu’en sa qualité d’enseignant, il se devait de transmettre à ses élèves des valeurs morales et d’attitude en société qu’il ne respectait manifestement pas lui-même. Dans de telles conditions, l’autorité intimée n’a pas commis d’excès ou d’abus de son pouvoir d’appréciation en retenant que le comportement du recourant était apte à rompre le lien de confiance et à exclure immédiatement toute continuation des rapports de service. Le recourant n’a manifestement pas pu ou pas voulu se plier aux contraintes liées à l’exercice de sa fonction et a préféré alimenter un rapport de confrontation systématique avec son supérieur hiérarchique plutôt que de donner suite à ses demandes. Dans ce contexte, les prétendues difficultés qui régnaient au sein de l’établissement sont sans incidence. Au vu de la rupture claire et irrémédiable du lien de confiance, ainsi que de la répétition des comportements incriminés, la continuation des rapports de service jusqu’au délai ordinaire de résiliation ne pouvait pas être exigée de l’établissement. Dans ces conditions, le licenciement immédiat du recourant est proportionné, étant souligné que, manifestement, ni un avertissement, ni un transfert n’étaient plus à même de sauvegarder les intérêts publics en jeu. Partant, la décision querellée respecte également le principe de la proportionnalité. Il résulte de ce qui précède que le recourant ne peut prétendre à une indemnité. Mal fondé, le recours sera rejeté tant sur ses conclusions principales qu’en ce qui concerne ses conclusions subsidiaires

(Arrêt de la Ière Cour administrative du Tribunal cantonal [FR] 601 2023 121, 601 2023 122 du 12 avril 2024, consid. 3 et 4.6)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Octroi de places d’amarrage: changement de pratique administrative

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La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l’application d’une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d’interpréter la loi ou de faire usage d’une liberté d’appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d’opportunité ou d’efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l’égalité de traitement (ATA/877/2023 du 22 août 2023 consid. 5.7 et les arrêts cités).

Pour être compatible avec les art. 8 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101), un changement de pratique administrative doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, c’est-à-dire rétablir une pratique conforme au droit ou remédier à celle qui aurait conduit à des abus répétés (ATF 126 V 36 consid. 5a et les arrêts cités), mieux tenir compte des divers intérêts en présence ou d’une connaissance plus approfondie des intentions du législateur, d’un changement de circonstances extérieures, de l’évolution des conceptions juridiques ou des mœurs. Les motifs doivent être d’autant plus sérieux que la pratique suivie jusqu’ici est ancienne. À défaut, elle doit être maintenue (ATF 142 V 112 consid. 4.4 ; 135 I 79 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_44/2021 du 8 août 2021 consid. 6.1).

Lorsque ces motifs sont donnés et pour autant que la nouvelle pratique s’applique de façon générale à tous le cas non encore traités au moment de son adoption, un changement de pratique ne contrevient ni à la sécurité du droit, ni à l’égalité de traitement et ce, bien qu’il en résulte inévitablement une différence de traitement entre les cas anciens et les cas nouveaux (ATF 125 II 152 consid. 4c/aa = RDAF 2000 I p. 575, 577 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_283/2010 du 17 décembre 2010 consid. 4.2).

Lorsqu’il n’est pas accompagné d’un changement législatif, un changement de pratique justifié vaut en général immédiatement et pour toutes les procédures pendantes (ATA/515/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2 et les arrêts cités). Lorsque la nouvelle pratique est défavorable à l’assujetti, le droit à la protection de la bonne foi doit être pris en considération et peut s’opposer à l’application immédiate de la nouvelle pratique. Selon les cas, elle ne peut être appliquée qu’après avoir été préalablement annoncée ; il en va ainsi notamment en matière de droits des parties dans la procédure (ATF 135 II 78 consid. 3.2).

Les autorités disposent d’un pouvoir d’appréciation important pour déterminer le moment de l’application d’une nouvelle pratique ou pour instaurer un régime transitoire. Elles devraient en faire usage de manière à atténuer les effets du changement de pratique lorsque cela est possible (ATA/304/2021 du 9 mars 2021 consid. 6b). Lorsque la nouvelle pratique est moins favorable que l’ancienne pour l’administré, lorsque le changement n’était pas prévisible et qu’il n’y a pas d’intérêt public prépondérant à une application immédiate de la nouvelle pratique, l’autorité est obligée d’assortir le changement de mesures permettant d’adoucir, pour les administrés, les effets négatifs du changement qui ne seraient pas absolument nécessaires. Une telle obligation découle des exigences posées par les principes de la bonne foi (dans sa composante d’interdiction des comportements contradictoires), de la proportionnalité et de la sécurité du droit (ATA/515/2023 précité consid. 3.2 et les références citées ; Aurélie GAVILLET, La pratique administrative dans l’ordre juridique suisse, 2018, n. 708).

Valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4). Il protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). Plus largement, le principe de la bonne foi s’applique lorsque l’administration crée une apparence de droit, sur laquelle l’administré se fonde pour adopter un comportement qu’il considère dès lors comme conforme au droit. Ce principe, qui ne peut avoir qu’une influence limitée dans les matières dominées par le principe de la légalité lorsqu’il entre en conflit avec ce dernier, suppose notamment que celui qui s’en prévaut ait, en se fondant sur les assurances ou le comportement de l’administration, pris des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_659/2013 du 4 novembre 2013 consid. 3.1).

L’État informe largement, consulte régulièrement et met en place des cadres de concertation (art. 11 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 – Cst‑GE – A 2 00). Les règles de droit sont publiées. Les directives s’y rapportant le sont également, à moins qu’un intérêt public prépondérant ne s’y oppose (art. 11 al. 2 Cst-GE).

En l’espèce, pendant des années, l’intimé a octroyé – en faveur du nouveau détenteur d’un bateau – la place d’amarrage déjà attribuée au bateau nouvellement acquis, lors de la vente de ce dernier. Cette manière de procéder, répétée de façon régulière, concrétisait l’application de l’art. 13 al. 2 et 3 RNav, de sorte qu’elle doit être considérée comme une pratique administrative.

La directive du 18 octobre 2021, entrée en vigueur le même jour, consacre un changement de cette pratique constante, dans la mesure où elle rend désormais impossible le transfert de la place d’amarrage lors de la vente, d’un don ou d’un héritage de bateau, sauf cas de rigueur.

Dans ces conditions, il convient de déterminer au préalable si ce changement de pratique est conforme au droit, soit s’il repose sur des motifs objectifs et sérieux.

Il ressort des explications de l’intimé [Département GE du territoire, Office cantonal de l’eau]que l’ancienne pratique avait pour conséquence de favoriser la vente de bateaux disposant d’une place d’amarrage à des prix exorbitants. Le changement de pratique vise, selon l’intimé, à y remédier, ainsi qu’à favoriser l’égalité de traitement entre les administrés sollicitant l’octroi d’une place d’amarrage et à instaurer un processus d’attribution et de roulement plus équitable et rapide. Ces explications emportent conviction. (…) Le changement de pratique est donc motivé par la nécessité de remédier à une situation qui a conduit à des abus et consacré des inégalités de traitement injustifiées, si bien qu’il repose sur des motifs objectifs et sérieux. Il est par ailleurs conforme à l’art. 13 al. 2 et 3 RNav, dans la mesure où l’acquéreur d’un bateau au bénéfice d’une place d’amarrage n’a pas un droit automatique à l’octroi de la même place d’amarrage pour le bateau nouvellement acquis et où la directive du 18 octobre 2021 ne supprime pas le pouvoir d’appréciation dont dispose l’intimé, celui-ci pouvant octroyer la même place d’amarrage en présence de cas de rigueur, énumérés de façon exemplative dans la directive.

La nouvelle pratique est cependant défavorable aux administrés, en particulier pour ceux qui achètent un bateau déjà au bénéficie d’une place d’amarrage. Se pose ainsi la question de savoir si elle aurait dû être assortie de mesures permettant d’adoucir les effets négatifs du changement qui ne seraient pas absolument nécessaires. Une entrée en vigueur postérieure à sa publication entre notamment en ligne de compte.

La prise de mesures dans le sens précité implique en premier lieu que le changement de pratique ait été imprévisible. Il ressort de la présente procédure qu’une première directive, celle du 12 mai 2021, a été publiée sur le site internet de la capitainerie entre le 12 mai 2021 et le 1er juin 2021. Celle-ci prévoyait déjà qu’à partir de cette dernière date, le transfert de place lors de la vente, d’un don ou d’un héritage de bateau serait impossible, règle reprise dans la directive du 18 octobre 2021 sous réserve de cas de rigueur. La directive du 12 mai 2021 a toutefois été retirée du site internet à une date indéterminée, l’intimé ne fournissant pas de réponse à ce sujet. Faute de preuve, la chambre de céans ne saurait dès lors considérer que les administrés, à l’instar du recourant, ont effectivement pris connaissance de la directive du 12 mai 2021, ni même qu’ils auraient disposé du temps suffisant à cet effet. Dans ces conditions, sa publication temporaire ne saurait être opposée au recourant. Il y a donc lieu de retenir que, lors de la publication de la directive du 18 octobre 2021, le changement de pratique n’était pas prévisible. Il est à cet égard indifférent, comme on le verra dans la suite du présent arrêt, que la demande du recourant ait été déposée le lendemain.

Par ailleurs, si l’existence de la condition suspensive, dans le contrat du 13 octobre 2021, laisse certes à penser que le recourant était conscient du fait qu’il ne possédait pas de garantie à se voir attribuer une place d’amarrage, elle ne démontre toutefois pas que l’intéressé avait déjà connaissance du changement de pratique au moment de la conclusion du contrat, et encore moins que ce changement était prévisible pour l’ensemble des administrés. L’intimé ne peut donc en tirer aucun argument, ce d’autant plus que la directive du 18 octobre 2021 n’était pas encore publiée au moment de la conclusion du contrat. Il serait par ailleurs malvenu de reprocher au recourant d’avoir prévu contractuellement une condition suspensive dans le souci d’anticiper un éventuel refus du transfert de place.

En second lieu, la prise de mesures est exclue lorsque l’application immédiate de la nouvelle pratique se justifie par un intérêt public prépondérant. Si, comme on l’a vu précédemment, la nouvelle pratique est certes justifiée par des intérêts publics importants, ces derniers ne sauraient toutefois justifier son application immédiate dès sa publication, ce que l’intimé ne prétend du reste pas. En effet, la directive ne vise pas, à titre d’exemple, à remédier sans délai à une situation qui serait grave d’un point de vue environnemental ou sanitaire (voir ATF 141 II 393) ni à poursuivre des motifs d’ordre public ou de sécurité publique.

Au vu de ce qui précède, soit du manque de prévisibilité du changement de pratique et de l’absence d’intérêt public prépondérant à une application immédiate de la nouvelle pratique, l’autorité se devait de prendre des mesures permettant d’adoucir les effets négatifs du changement de pratique. Alors que l’entrée en vigueur immédiate de la directive n’était pas nécessaire, son entrée en vigueur quelques mois après sa publication était en revanche envisageable. Elle aurait notamment permis aux administrés ayant pris des dispositions sur la base de l’ancienne pratique, en particulier ceux qui avaient acquis, avant la publication de la directive, un bateau au bénéfice d’une place d’amarrage, de ne pas subir les conséquences indésirables pour eux, tant financières que pratiques, de la mise en application de la nouvelle pratique. La chambre administrative considère ainsi que l’intimé aurait dû, de façon concomitante à la publication de la directive, prévoir un régime transitoire ou annoncer de façon claire le changement de pratique quelques mois avant ladite publication. Elle constatera qu’en omettant de prendre de quelconques mesures alors même qu’il a créé, par sa pratique systématique d’attribution de la place d’amarrage lors de la vente d’un bateau, une apparence de droit, l’intimé a violé le principe de la bonne foi.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice [GE] ATA/1199/2023 du 07.11.2023 consid. 2-3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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De quelles données doivent disposer les modérateurs d’un forum?

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Le 2 novembre 2022, une faille de sécurité s’est produite sur le forum de jeux vidéo de Shanghai Moonton Technology Co. Ltd. (responsable de traitement). Le responsable de traitement est une société chinoise de jeux vidéo dont le siège est à Shanghai et qui a été rachetée par Bytedance en mars 2021.

La violation a touché 442 personnes concernées espagnoles et comprenait les noms d’utilisateur sur le forum du responsable du traitement, les numéros d’identification des utilisateurs, la fréquence de visite de chaque personne concernée sur le forum, le sexe déclaré des personnes concernées, les adresses IP, les adresses e-mail et les activités des personnes concernées sur le forum. y compris les publications et les interactions. Le jour de la violation, le 2 novembre 2022, les données personnelles obtenues lors de la violation ont été publiées sur un site Internet tiers.

Dans son enquête, l’autorité espagnole de protection des données espagnoles (APD ; Agencia Española de Protección de Datos) a constaté que le contrôleur avait recours à des modérateurs bénévoles, non employés ou sous-traitants, pour gérer ses forums. Les modérateurs sont embauchés après une période d’essai de deux semaines et sont tenus de respecter les conditions d’utilisation et un code de conduite. Le responsable du traitement a donné aux modérateurs l’accès aux données personnelles des utilisateurs afin de surveiller les forums et, si nécessaire, de réviser ou d’éliminer les messages, de bloquer l’accès des utilisateurs au forum, de répondre aux utilisateurs ou d’approuver de nouveaux utilisateurs. Cet accès comprenait des données disponibles pour tous les utilisateurs du forum, notamment les noms d’utilisateur des personnes concernées, les identifiants d’utilisateur, le nombre de visites sur le forum, le sexe signalé et les activités sur le forum. En outre, les modérateurs ont eu accès à des données personnelles qui n’étaient pas déjà accessibles au public à tous les utilisateurs du forum : adresses e-mail des personnes concernées, heure et date de l’activité la plus récente sur le forum et adresses IP.

L’APD, dans une décision EXP202213323 du 19.01.2024 présentée, commentée et annexée sur gdprhub (https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_EXP202213323&mtc=today), a notamment considéré, concernant le principe de minimisation des données, que le responsable du traitement partageait plus de données personnelles des personnes concernées que nécessaire avec les modérateurs du forum. Elle a précisé qu’il n’était pas nécessaire de permettre aux modérateurs d’accéder à l’ensemble de ces données personnelles – notamment les adresses e-mail et IP – pour modérer les forums. Ces données n’étaient pas pertinentes pour les tâches que le responsable du traitement envisageait pour les modérateurs.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Droit d’accès : peut-on contraindre le requérant à user d’un canal particulier ?

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Le 31 juillet 2023, la personne concernée a déposé une plainte auprès de l’autorité italienne de protection des données (APD ; Garante per la protezione dei dati personali) contre une banque, la Banca popolari di Bari Spa (responsable du traitement ). Elle avait a déposé une demande d’accès en tant qu’héritière de son père décédé basée notamment sur l’article 15 du RGPD. Elle a affirmé que malgré des demandes réitérées, la banque avait initialement déclaré qu’il n’y avait aucun compte au nom de son père. Plus tard, la banque a reconnu leur existence mais n’a pas fourni les informations demandées.

Après l’intervention de l’APD, la banque a partiellement répondu, en offrant l’accès aux extraits de compte des dix dernières années mais en exigeant une demande formelle. La personne concernée a insisté pour avoir accès à toutes les données relatives à son père. Suite à cela, la banque a finalement fourni les relevés de compte de la personne décédée.

L’APD a engagé une procédure contre la banque pour violations des articles 12, paragraphes 3 , 12, paragraphe 4 et 12, paragraphe 5 du RGPD liées aux mesures prises ou non par la banque en lien avec la demande de la personne concernée.

La banque a expliqué que le fait de ne pas avoir répondu dans les délais à la demande initiale de la personne concernée et aux rappels ultérieurs était dû à une série de malentendus opérationnels.

En particulier, la personne concernée avait dirigé par erreur sa demande vers une adresse e-mail différente de celle désignée par le délégué à la protection des données de la banque. De plus, la banque a d’abord cru qu’aucun compte n’était détenu au nom du défunt et, par la suite, l’unité organisationnelle de la banque a mal classé la demande. Tout cela a conduit à l’impossibilité de traiter rapidement la demande dans les délais prescrits. La banque a rapidement pris des mesures pour remédier à la situation.

L’APD, dans une décision 10009296 du 07.03.2024, présentée, commentée et annexée sur gdprhub (https://gdprhub.eu/index.php?title=Garante_per_la_protezione_dei_dati_personali_(Italy)_-_10009296&mtc=today) considère notamment ce qui suit :

L’APD a rejeté l’affirmation du responsable du traitement selon laquelle le fait de diriger la demande d’accès vers une adresse électronique autre que celle dédiée à de telles demandes constituait la raison du retard pris à la réponse. L’APD  a rappelé les lignes directrices de l’EDPB 01/2022 sur les droits des personnes concernées (https://www.edpb.europa.eu/our-work-tools/documents/public-consultations/2022/guidelines-012022-data-subject-rights-right_fr) qui précisent que les personnes concernées ne sont pas obligées d’adopter un format particulier pour soumettre leurs demandes d’exercice de leur droit d’accès. Il n’existe en effet aucune exigence du RGPD que les personnes concernées doivent respecter lors du choix du canal de communication par lequel elles entrent en contact avec le responsable du traitement.

Par conséquent, pour défaut de réponse à la demande d’accès, l’APD a condamné le responsable du traitement à payer la somme de 10 000 €.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Lutte contre le hooliganisme – tout est permis?

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A une époque où la lutte contre le hooliganisme semble justifier toutes les mesures, même les plus liberticides et les plus loufoques, il est intéressant de lire une décision récente de l’autorité espagnole de protection des données sur la prise préalable des empreintes digitales des fans afin que ceux-ci puissent accéder aux tribunes:

Le 4 novembre 2022, le Club de Football de Burgos, SAD (responsable du traitement), a mis en place un système de collecte de données biométriques qui obligeait les quelque 700 membres de tribunes de fans à fournir leurs empreintes digitales pour pouvoir entrer. Le traitement biométrique était requis par un accord adopté par la Commission d’État contre la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le sport (Commission d’État). Le système d’empreintes digitales, distribué aux clubs de football par la Ligue espagnole de football (La Liga), a collecté les noms des personnes concernées, les numéros de carte d’identité nationale, les numéros d’identification du système et les empreintes digitales. Il a remplacé l’ancien système d’entrée, qui permettait l’entrée après seule vérification des cartes d’identité. Le système n’a pas fixé d’âge minimum, permettant la collecte de données biométriques auprès de tout mineur dont les parents ou tuteurs y ont consenti.

Le 15 février 2023, le responsable du traitement a mis fin à la collecte obligatoire de données biométriques et a donné aux personnes concernées la possibilité d’entrer avec leur carte d’identité ou avec leurs empreintes digitales. Le 19 février 2023, il a informé les fans du changement de politique et l’a mis en œuvre. Le même jour, le responsable du traitement a reçu une copie de la décision de l’autorité espagnole de protection des données (APD ; Agencia Española de Protección de Datos) dans laquelle celle-ci déclarait que les obligations imposées par la  Commission d’État en matière de traitement biométrique n’étaient pas conformes au RGPD.

Le responsable du traitement s’est identifié comme étant le responsable du traitement des données biométriques en cause. Il a déclaré que la finalité du traitement répondait aux exigences établies par la Commission d’État visant à prévenir la violence et a fait valoir que ce système était plus efficace et plus fiable que l’utilisation de cartes d’identité. Le responsable du traitement n’a pas fourni de protocole en cas de failles de sécurité et a déclaré qu’aucune mesure spécifique n’était appliquée, mais qu’il envisageait plutôt des mesures futures étant donné qu’actuellement aucune nouvelle donnée biométrique n’est capturée.

L’APD, dans une décision AEPD-EXP202213792 du 09.04.2024 (présentée, commentée et annexée sur gdprhub : https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_EXP202213792&mtc=today) considère notamment ce qui suit :

L’APD a constaté une probable violation de l’article 35 du RGPD . L’article 35 du RGPD exige qu’une analyse d’impact sur la protection des données ait lieu avant le traitement de données à haut risque, comme les données biométriques. Alors que le responsable du traitement a fourni une analyse d’impact sur la protection des données en date du 15 février 2023, le traitement a été lancé le 4 novembre 2022. L’analyse d’impact a donc eu lieu des mois après le traitement, ce qui entraîne que pendant plus de 3 mois, les données biométriques ont été traitées en violation de l’article 35. RGPD.

L’APD a aussi estimé que le responsable du traitement ne disposait pas d’une base légale pour traiter les données biométriques avant le 15 février 2023.

L’APD a aussi estimé que le traitement effectué avant et après le 15 février 2023 violait le principe de minimisation des données. Conformément à l’article 35, paragraphe 7 du RGPD, les responsables du traitement doivent analyser l’adéquation, la nécessité et la proportionnalité du traitement avant de traiter des catégories particulières de données comme les données biométriques. Lorsqu’il existe des options non biométriques qui servent le même objectif, il n’est pas nécessaire de traiter des catégories particulières de données. Dans ce cas, le traitement n’était ni nécessaire ni proportionné, car les objectifs de sécurité auraient pu être atteints par le système de contrôle d’identité précédent. L’APD a rejeté l’argument du contrôleur selon lequel le système de données biométriques était plus efficace parce qu’il était plus fiable, estimant que cette affirmation n’était pas étayée. L’APD a également déclaré que l’ordonnance de la Commission d’État imposant une obligation d’établir un système de prise d’empreintes digitales n’était pas suffisante pour considérer ce système comme approprié, nécessaire ou proportionné. Ces manquements constituent donc une violation de l’article 5, paragraphe 1, point c) du RGPD.

En outre, avant et après le 15 février 2023, le responsable du traitement a enfreint l’ article 8 du RGPD, car il permettait à des mineurs d’utiliser des données biométriques pour entrer dans les tribunes sans fixer d’âge minimum.

Enfin, l’APD a estimé que le responsable du traitement n’avait pas respecté les obligations d’information au titre de l’article 13 du RGPD lors du traitement effectué avant le 15 février 2023. Les documents d’information du responsable du traitement indiquaient qu’il était nécessaire que les personnes concernées acceptent le traitement biométrique pour pouvoir accéder aux tribunes. Étant donné que, comme indiqué précédemment, il n’existait aucune base légale pour le traitement des données avant le 15 février 2023, l’APD a estimé que la déclaration inexacte de l’obligation légale constituait un défaut d’information adéquate des personnes concernées sur le traitement de leurs données et était donc une violation de l’article 13 du RGPD .

Compte tenu de ces violations, l’AEPD a décidé d’engager une procédure de sanction à l’encontre du responsable du traitement et a recommandé une sanction de 200 000 €, finalement réduite à 120 000 € en raison de la coopération du responsable de traitement.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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