Raboliot, de Maurice Genevoix (1925)

La nouvelle saison du RDV « Les classiques, c’est fantastique » est officiellement ouverte !

Les classiques, c'est fantastique : L'écrivain

Sologne, années 1920. Raboliot est un « braco » comme un peu tout le monde. Sauf que le jour où il se fait pincer, il refuse de se plier à la loi et de payer l’amende. C’est le début d’un jeu de chat et souris avec les gendarmes, gardes-chasse, propriétaire terrien.
Ce roman a été récompensé du prix Goncourt en 1925.

RaboliotIl n’y a pas à dire, Genevoix s’y entend pour donner vie aux paysages à travers une écriture visuelle et poétique ! Omniprésente, la nature est décrite dans ses évolutions, ses variations au fil des saisons, le roman s’étalant sur un période de neuf-dix mois. Un matin givré, un sous-bois qui devient « un grimoire chargé de sens » sous les yeux de Raboliot, les étangs « bleus dans leur ceinture de roseaux jaunis », les taillis et les plaisses… Genevoix raconte aussi les animaux à plumes, à poils et à écailles et le rythme des activités humaines intégrées dans cet environnement. Tantôt accueillante, tantôt oppressante dès lors qu’une présence semble traquer Raboliot avec plus d’habileté que lui ; tantôt amie et protectrice, tantôt possiblement traîtresse. Le patois s’insère dans les dialogues, donnant vie à celles et ceux qui habitent ce coin de France, à travers un parler qui raconte un territoire et une classe sociale.

Malheureusement, mon plaisir s’est arrêté aux facettes les plus descriptives du roman. J’ai eu la bonne idée de l’emmener dans ma valise, comme seule lecture de vacances : si ça n’avait pas été le cas, je l’aurais probablement abandonné.

Je n’ai pas eu grande affection pour Raboliot. Oui, il exige sa liberté, écoute ses passions, ses désirs par-dessus tout, mais, dans sa révolte, je l’ai trouvé terriblement égoïste. Au-delà du fait que son « instinct de chasse » ne me convainc pas du tout, il n’a finalement aucun regard vers sa famille, sur la situation dans laquelle il la place. Oui, il se dresse contre la mainmise de quelques hommes sur un territoire, mais son rejet de l’autorité n’est en réalité que le produit de sa haine envers un seul homme, envers Bourrel, de son refus de se livrer à cet homme-là.

De plus, le regard porté sur les femmes est particulièrement misogyne. Sous la plume de Genevoix, le terme « sexe faible » prend tout son sens : globalement (avec sa femme, Sandrine, en tête), elles sont décrites comme geignardes, pleureuses, brimant les besoin naturels du chasseur, ne comprenant pas cette irrésistible pulsion.
« Sandrine ! Sandrine ! C’était bien elle, toujours faible et docile, toujours prête à plier sous une voix plus rude que la sienne, sous une volonté plus hardie. La pauvre proie, sans autre défense que ses larmes. Hélas ! Sur le désir ou sur la haine d’un homme, que peuvent les larmes de Sandrine ? »
Seules deux personnages féminins échappent à ce portrait larmoyant. Tout d’abord, la Flora, la catin, celle qui ne contrôle pas ses pulsions, celle dont les « prunelles brûlaient du feu hardi dont elle n’était point maîtresse », « une garce » pour qui « il suffisait qu’un homme la regardât pour qu’elle se couchât sur le dos ». Celle que Raboliot est bien content de trouver, mais qui finit par le dégoûter par le plaisir qu’elle semble y prendre. Certains passages sont d’un mépris hallucinant envers elle.
Ensuite, la fille de la Flora, Souris, victime des coups de son beau-père devenu ombre, celle qui court les bois pour le plaisir de la traque, celle qui joue des enjeux des adultes, celle qui se montre aussi insignifiante que menaçante.
Finalement, en filigrane, on finit presque par avoir un autre portrait de ces femmes : Sandrine avait finalement raison depuis le début et Flora est la seule qu’il l’accepte et l’héberge quand il se retrouve paria – la seule qui est déjà suffisamment à la marge pour se l’autoriser. Le tout est non-dit – je ne sais même pas ce qui se dégage réellement du récit en lui-même et ce qui vient de mes propres idées –, c’est donc insuffisant pour rattraper des pages de regard condescendant.

Certes, les descriptions des paysages, de la vie qui bruit autour du village, sont parfois superbes, mais c’est là un roman qui a, à mon avis, terriblement vieilli. Au contraire de bien d’autres classiques, il n’a su, en aucune manière, résonner en moi. Même si je suis toujours prête à tempérer des considérations sexistes au regard de l’âge d’un livre, j’ai tout de même trouvé les propos assez violents, d’autant que le reste de l’histoire ne m’a pas davantage convaincue.

« Mais le plaisir, hein ? Mais ce besoin de chasse nocturne qui vous empoignait tout à coup, parce qu’il pleuvinait dans les ténèbres épaisses, parce qu’il faisait clair de lune, parce qu’il avait neigé ? Du ciel familier, des terres natales, des appels mystérieux vous arrivent, des voix secrètes et connues, mille présences persuasives qui vous tirent, comme avec des mains, hors du lit.
Voilà : tous ces gens ne savent pas. Comment est-ce qu’il saurait, Bourrel, que le clair de lune est vivant, que son visage se montre à la fenêtre, se glisse à la fente des volets ou brille par terre sur le carreau ? Que le zinc d’une gouttière tintant aux gouttes de la pluie égrène une chanson parleuse ; et que le vent qui passe à la cime des pineraies, c’est une grande voix autoritaire à laquelle il est vain de vouloir désobéir ?
 »

« Dans le fond, il était resté gamin : quand on n’a guère plus de trente ans, malgré les cahots de la vie, malgré la guerre que l’on a faite, on sent monter en soi, certains jours, des poussées de jeunesse, des élans de gaîté plus vifs que des cabrioles. On ne cabriole pas, bien sûr, mais la gaîté vous brille aux yeux, y fait danser des étincelles. Et quand Bourrel s’en aperçoit, c’est lui qui frémit de colère. Et il serre les dents sans rien dire. Et il s’en va, montrant son dos boulu de muscles, qu’on devine sous le drap rêche contracté de mauvaise rancune. »

« Il n’y a qu’un recours, qui est de s’en aller ailleurs, d’aller chercher ailleurs des raisons d’être joyeux, de réchauffer en soi cette ardeur qu’y éveille la lutte, cette fierté de beau joueur en quête d’applaudissements. C’était malheureux à dire : le seul endroit au monde où Raboliot se sentait mal à l’aise, c’était sa propre maison, c’était l’air où respiraient les créatures qu’il aimait le mieux. Encore des choses difficiles à comprendre, et pourtant vraies, comme la souffrance qu’elles apportaient. »

« Mais il pressait le pas, d’instinct, comme si des regards l’eussent suivi en effet, dardés d’ici et puis de là, on ne savait de quel côté entre es petits arbres blancs. Les bouleaux étaient très serrés : ils se haussaient d’un jet vertical, jaillissaient comme des fusées grêles vers la lumière d’un ciel blafard. Raboliot à présent courait presque, dans une hâte d’être ailleurs, hors de ce taillis grelottant, de ne plus entendre alentour ces crépitements menus et furtifs, comme de brindilles brisées au passage d’un être vivant. Une branche craqua, un peu plus fort. Il s’arrêta tout net, se retourna, se frotta les yeux : décidément il avait la berlue ! Rien ni personne ne remuait plus à la place où il avait cru voir… Mais qu’est-ce qu’il avait cru voir ? C’était de couleur sombre, cela flottait comme une fumée, ou se traînait à ras de terre, il n’avait pu bien distinguer. Un vertige léger balançait les bouleaux trop pâles, toutes ces écorces plus blanches que des linges : un écœurement presque physique en venait à Raboliot. Par hasard, il abaissa les yeux vers sa chienne, et il la vit qui hérissait le poil, qui troussait les babines en grondant à fond de gorge. Elle aussi, alors ? »

Raboliot, Maurice Genevoix. Le Livre de Poche, 1991 (1925 pour la première publication). 284 pages.

Chroniques du Cercle, tome 2, Sinteval, de Rozenn Illiano (2020)

Sinteval (couverture)J’avais apprécié Elisabeta, mais le premier tome ne peut à présent que souffrir de la comparaison avec le second : Sinteval a gagné en efficacité et en maturité. Le bouquin fait plus de six cents pages et je n’avais pas envie que ça s’arrête tant j’appréciais le temps passé avec celles et ceux qui sont à l’intérieur.

Plus le temps passe, plus l’univers de la démiurge Rozenn Illiano développe ses branches reliées à un même tronc, plus j’ai envie d’en savoir plus, c’est addictif.
On explore toujours la société vampirique du Cercle, on en apprend davantage sur son histoire et son fonctionnement, ce qui est une nouvelle fois fascinant, à l’image de toutes ces formes de magies mal comprises, mal maîtrisées, ces pouvoirs vacillants qui parsèment son œuvre. On retrouve ses membres qui subissent l’immortalité plus qu’ils n’en profitent pour passer les 600 jours d’Apocalypse à leurs côtés. Au programme : du sang (et des pénuries), de l’angoisse, des espoirs, des terreurs, différentes manières d’appréhender un avenir plus qu’inquiétant, et des questions qui ne font pas tache dans notre quotidien de simples mortels. J’ai également eu l’impression de découvrir Giovanna et Virgile dans ce roman, sans doute parce que la plume de l’autrice a gagné en efficacité pour donner vie à ses personnages, pour faire naître une implication émotionnelle vis-à-vis d’eux  (c’est ce que j’avais reproché à la première mouture de Town). (Si je relisais Elisabeta, je craindrais d’être un peu déçue à ce niveau-là d’ailleurs.)

Encore une fois, je suis admirative du travail de Rozenn Illiano : Sinteval fait écho et s’articule avec plusieurs romans de l’autrice, nécessitant le respect d’une chronologie précise. C’est un travail d’orfèvre assez incroyable.
De plus, je suis toujours impressionnée par la sensation de normalité qui se dégage de ses romans. Souvent, dans les romans de fantasy par exemple, même si le personnage principal est censé être – au départ – un gars ou une fille banale, il y a souvent malgré tout une touche d’exceptionnel qui s’attache à ses pas et qui ne fait que prendre de l’ampleur alors que son destin se déploie. Cependant, chez Rozenn Illiano, même quand ils sont sorciers, même quand ils sont immortels, les personnages pourraient être des gens lambda qu’on pourrait croiser dans la rue. Il y une spontanéité, une humanité, une empathie, qui n’est pas feinte dans sa façon de donner vie à ses personnages, de les faire parler, de les faire penser, dans le déroulement de l’histoire aussi. Et qui fait que j’ai pris autant de plaisir à lire les temps de doutes ou de relâche qui parsèment le quotidien que des scènes plus riches en action ou en tension.

Un roman aussi sensible que dynamique et captivant. Une très bonne lecture dans un écrin sublime (car, franchement, les éditions luxe sont magnifiques et tellement agréables à la lecture).

« On raconte que l’âme brûle, consumée par la malédiction qui les accable tous. Les immortels n’ont pas le droit de vivre au grand jour, ils doivent se contenter des ombres… et contrevenir à cet édit les fauche sans laisser la moindre chance d’y échapper. En échange, ils reçoivent un oracle, les quelques mots d’une interminable prophétie que leur peuple n’a jamais pu déchiffre, comme des milliers de pièces de puzzles dont l’image reste encore à définir.
Quel oracle le Rettore va-t-il déclamer ? L’assemblée attend ces mots.
Les yeux grands ouverts mangés par la lumière, tremblant sur ses genoux en un équilibre précaire, De Monti lève la main et la pose sur le bras de celui qui l’accompagne, en un dernier geste désespéré, en recherche de soutien peut-être. L’homme à côté de lui ne bouge pas. Il se contente de l’écouter.
Des chuchotements se font entendre dans le silence. Quelqu’un lance un « shut up ! » à voix basse.
Puis la voix éraillée s’élève, tente de franchir la gorge nouée du Rettore.
Un mot qui cherche à s’extirper d’une tombe. Un seul.
Subito. »

Chroniques du Cercle, tome 2, Sinteval, Rozenn Illiano. OniroProds, 2023 (2020 pour la première publication). 636 pages.

35 livres pour mes 35 ans

Voilà une idée que j’ai allègrement – mais avec son consentement – piquée à Alberte Bly, tant j’ai adoré le concept.

J’adore établir des listes et j’y vois l’occasion de me challenger un peu tout en y mettant des titres qui me font extrêmement envie sans forcément prendre le temps, me laissant parfois distraire par des titres opportunistes. Certains titres ou certains noms se sont imposés, le plus difficile ayant été, évidemment, l’attribution des dernières places.

Dans cette liste paritaire, j’ai été surprise du nombre de titres en littérature contemporaine (onze !) alors qu’il s’agit d’un genre que je lis bien moins que la SFFF par exemple. J’ai également mis quelques essais et surtout un peu de poésie en espérant que cette liste soit le tremplin nécessaire pour oser en lire. J’aurais aimé mettre de la littérature jeunesse et de la BD, mais le choix devenait alors impossible, c’est donc un peu à regret que je les ai écartés.

J’ai donc un peu plus de quatre ans pour lire tout cela ! Le compte-à-rebours est lancé !

*** LIVRES LUS ET CHRONIQUÉS : 0/35 ***

35 livres pour mes 35 ans(source fond : Freepik)


LITTÉRATURE CONTEMPORAINE AVEC…
… beaucoup de plumes à retrouver

Le Passager, de Cormac McCarthy

McCarthy est un de mes écrivains préférés, son pénultième roman est donc le premier que j’ai eu en tête en songeant à cette liste. Même si je vais d’abord prendre le temps d’en relire d’autres.

Le papillon, d’Andrus Kivirähk

Tout simplement parce que je veux tout lire de celui qui a écrit L’homme qui savait la langue des serpents, je n’ai pas besoin de savoir de quoi parle ce roman.

Récitatif, de Toni Morrison

Je voulais renouer avec cette autrice qui m’a autant convaincue avec L’œil le plus bleu qu’elle m’a laissé de marbre avec Un don et cette nouvelle m’intrigue par sa construction.

La rivière, de Peter Heller

Parce que ça fait trop longtemps que je n’ai pas lu de nature writing.

Salina : les trois exils, de Laurent Gaudé

Je croise les doigts pour que Salina soit aussi fascinante que les Scorta, je compte sur la plume de Gaudé pour m’envoûter.

Demande à la poussière, de John Fante                      

Je n’ai pas lu Fante depuis douze-treize ans, il serait temps de savoir si cet auteur me plaît toujours autant.

Une fièvre impossible à négocier, de Lola Lafon

J’ai pas mal hésité à mettre ce titre dans cette liste du fait du sujet qui lance le roman. Cependant, ayant aimé tout ce que j’ai lu de Lola Lafon, j’ai très envie de tenter les retrouvailles.

… et quelques plumes à découvrir

L’ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón

Ma meilleure amie m’a parlé de ce livre l’année de notre rencontre il y a plus d’une décennie – je peux encore dire où, quand, comment – et je ne l’ai toujours pas lu, je ne pouvais donc pas ne pas le mettre.

De pierre et d’os, de Bérengère Cournut

Ce livre m’a toujours fait de l’œil même si je ne me souviens plus d’où ça me vient. Ce sera peut-être l’occasion de voyager.

Zephyr, Alabama, de Robert McCammon

Dans la catégorie « roman que je veux lire depuis sa sortie », celui-là figure en bonne place. Il est enfin sorti dans la collection des Grands Animaux de Monsieur Toussaint Louverture, je n’ai plus d’excuse.

Ressac, de Diglee

Les quelques mots que j’ai pu lire sur ce livre me laisse penser qu’il me parlera énormément. Et un peu de sérénité parmi des lectures potentiellement graves ne fera pas de mal.


UN PEU D’IMAGINAIRE…

Dune, de Frank Herbert

Comme beaucoup de monde, je pense, j’ai toujours été intriguée par ce classique archi-classique de la SFFF qui m’effrayait un peu, mais Zoé m’a totalement convaincue de partir pour Arrakis sans hésiter (elle m’a aussi persuadée de lire À la recherche du temps perdu, mais – spoiler alert – je n’ai pas osé le mettre dans cette liste. Peut-être pour mes 40 ans ?).

Cloud Atlas : cartographie des nuages, de David Mitchell

Partant de l’idée que les romans sont généralement mieux que leurs adaptations et que j’adore le film, j’ai évidemment très envie de le découvrir. (Si tout cela se vérifie, j’espère que j’aimerai toujours le film par la suite.)

Le Livre de Hain, intégrale, d’Ursula K. Le Guin

Terremer avait été un voyage mémorable, je suis donc curieuse de découvrir ce qu’elle propose côté SF, d’autant plus que Le Livre de Poche a eu l’excellente idée de publier de nouvelles intégrales.

Liens de sang, d’Octavia E. Butler

Bien que sa trilogie Xenogenesis soit également dans ma wish-list, il y a déjà assez de sagas, d’où le choix de ce one-shot.

La maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski

Ce livre semble une expérience assez unique avec des avis assez tranchés en mode « ça passe ou ça casse ». J’aime les expériences littéraires et les maisons bizarres, sa présence coule de source.

Piranèse, de Susanna Clarke

Encore une maison imprévisible, il me semble. Et un roman exigeant d’après les échos reçus et intriguant. Je suis très curieuse de découvrir ce que l’autrice de Jonathan Strange et Mr Norrell propose ici.


… AVANT DE REVENIR AUX CLASSIQUES

Les travailleurs de la mer, de Victor Hugo

Toute la bibliographie de Victor Hugo est dans ma wish-list, il est donc logique que le prochain en vue ait sa place dans ces envies livresques.

En un combat douteux, de John Steinbeck

« Jamais sans mon Steinbeck » évidemment, lui qui en deux titres est rentré dans mes inoubliables incontournables.

Mansfield Park, de Jane Austen

J’ai beau prendre mon temps, m’accorder des relectures, il est temps de découvrir l’un de ses romans non lus.

Martin Eden, de Jack London

Depuis le temps que j’entends parler de ce roman  comme d’un chef-d’œuvre ! Et puis, London… je compte sur lui pour me foudroyer.

Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand

Je ne pense pas souvent à lire du théâtre (et quand je le fais, c’est souvent grâce aux rendez-vous autour des classiques fantastiques), mais je suis aussi certaine qu’il est possible de l’être que cette pièce me séduira par ses mots, son personnage principal, ses sentiments…

La religieuse, de Denis Diderot

Le titre et le nom de l’auteur auraient concouru à me rebuter si je n’avais lu tant de retours soulignant la justesse, la sensibilité et la force de roman.

Le portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde

Ma lecture de ce roman quand j’étais adolescente ne m’a pas laissée un grand souvenir et je n’étais pas partie pour relire… jusqu’à ce que Audrey, Steven et Tachan se liguent pour nous faire connaître la nouvelle édition augmentée, restaurée, dépoussiérée, contextualisée des éditions du Chant du Cygne. La promesse de véritablement redécouvrir ce texte.

Agnes Grey, d’Anne Brontë

Prendre le temps de retrouver une des sœurs Brontë.

Le papier peint jaune, de Charlotte Perkins Gilman

Je l’avoue, ce choix est totalement impulsif, instinctif… et sitôt découvert sitôt piqué chez Alberte en même temps que le concept. Tout simplement parce que l’édition chez Tendances Négatives semble exceptionnellement atypique.

Vie et destin, de Vassili Grossman

Ou « le premier défi ». 1200 pages reçues en cadeau et que je colle dans toutes les listes pour enfin oser les parcourir. (Il est un peu impressionnant, quand même…)

The Bell Jar (La cloche de détresse), de Sylvia Plath

Ou « le second défi ». Évidemment, c’est une autrice que j’ai très envie de lire. Ça tombe bien, j’ai ce roman dans ma PAL depuis de nombreuses années. Seulement, il est en anglais… Cette liste est là pour me challenger un peu, donc c’est décidé ! Je l’aurai tenté avant mes 35 ans.


DES ESSAIS ? ON Y CROIT !

Chez soi, de Mona Chollet

J’avais beaucoup aimé Sorcières et, sans savoir à quoi m’attendre, je pressens que la thématique de cet ouvrage va me toucher personnellement.

Feu ! Abécédaire des féminismes présents, ouvrage collectif, coordonné par Elsa Dorlin

« Le meilleur livre féministe » pour Ada, rien que ça. Le bébé fait plus sept cent pages, mais, maintenant que ma médiathèque l’a acheté, je n’ai plus d’excuses. Puisqu’il semble se prêter à une lecture par petits bouts, je pense qu’il va faire des allers retours entre la bibliothèque et la maison.

King Kong théorie, de Virginie Despentes

Retour aux sources avec un classique qu’il me semble bon de lire une fois.

Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré

Si le nom de Coline Pierré s’est tout de suite imposé, le choix du titre a été plus compliqué : le roman Pourquoi pas la vie ? la poésie avec Une grammaire amoureuse ? L’essai s’est imposé, titillant ma curiosité car, bien que mes goûts me portent plutôt vers le drame, je commence à trouver un peu d’optimisme réconfortant.


DE LA POÉSIE ? ET POURQUOI PAS ?!

Je serai le feu, anthologie composée et illustrée par Diglee

Diglee apparaît deux fois dans cette sélection – ce qui a été source de tergiversations évidemment –, mais cette anthologie me semble un bon départ, en espérant ne pas être trop hermétique à ce genre…

Décomposée, de Clémentine Beauvais

En réalité, je pressens que mon point de départ en terre poétique sera celui-là. Parce que Baudelaire, parce que Une charogne, parce que vers libres.

La jeune fille à l’usine, de Nella Nobili

Un autre choix assez spontané qui s’est imposé grâce aux mots de Moka (elle m’a toutefois fait hésiter avec À la ligne, feuillets d’usine de Joseph Ponthus).


Évidemment, le choix a été très difficile : je n’ai pas pu mettre Balzac que j’aimerais découvrir davantage depuis que j’ai adoré Le père Goriot, Virginia Woolf et sa Chambre à soi, Elizabeth Gaskell, le méga-pavé La mer de la fertilité de Yukio Mishima, Brandon Sanderson que je souhaite lire depuis un paquet d’années, davantage de Monsieur Toussaint Louverture, Shakespeare (car le théâtre n’est pas franchement là non plus), des classiques illustrés par MinaLima ou La petite sirène par Benjamin Lacombe ou encore des livres de ma PAL comme Gideon la neuvième ou Le problème à trois corps.

Quoiqu’il en soit, cette liste a été fantastique à élaborer et j’ai hâte de commencer à piocher dedans !

Merci de m’avoir lue, cet article étant conséquent
(si vous avez survolé, je comprends totalement),
et n’hésitez pas à me faire savoir votre amour(ou votre désamour, les avis nuançant des attentes enthousiastes sont toujours bons à prendre) pour certains de ces titres !

Monk and Robot (2 tomes), de Becky Chambers (2021-2022)

Je voulais lire Becky Chambers depuis la sortie française de L’espace d’un an… en 2016. La preuve s’il en faut que mes envies ont la vie dure. Je remercie Alberte Bly de m’avoir donné l’occasion rêvée de concrétiser celle-ci en me les donnant à lire dans mon challenge « 6 amies, 6 livres, 6 mois » et mon amie V. pour me les avoir prêtés.

Parce que ces deux romans ont eu sur moi un effet incroyable. Dire que j’ai adoré mes lectures serait un euphémisme car, au-delà de ça, elles m’ont profondément touchée. Je n’avais jamais lu de SF positive et ce fut une expérience des plus bouleversantes.
Cela ne correspond pas à mon point de vue quant à notre avenir – je suis plutôt du genre très très pessimiste –, mais finalement, c’est avec mon présent que ces livres ont fait écho. Avec ma « philosophie de vie » pour le dire pompeusement, ou du moins, celle que je construis petit à petit au fil de ces dernières années, avec mes rêves et mes désirs aussi.

Lors du premier tome, j’ai trouvé cela terriblement réconfortant. L’occasion de sortir du marasme habituel, des visions et nouvelles déprimantes auxquelles nous sommes plus ou moins accoutumé·es, de renouer un peu avec l’espoir. En parlant d’accoutumance, on s’habitue aux dystopies, au toujours pire, et on finirait presque par trouver que notre situation n’est pas si terrible comparée à ce qu’on lit et ce qu’on voit dans la littérature et le cinéma post-apocalytiques parce que ça pourrait être pire finalement. De fait, j’ai trouvé intéressant de regarder de l’autre côté du spectre, vers l’utopie plutôt que la dystopie. Et comme je le disais à mon amie V. justement – qui de son côté lisait l’excellent roman post-apo Station Eleven d’Emily St. John Mandel –, j’ai été presque plus malmenée par le second tome de Monk and Robot que par du post-apo bien catastrophique justement parce que je me dis que c’est parfaitement utopique et que l’on ne parviendra jamais à cet équilibre.
La dystopie et le post-apo alertent en soulignant des aspects de nos sociétés, en dépeignant ce qu’il pourrait advenir (ce qu’il advient déjà…), mais, d’une certaine façon, cette science-fiction optimiste va dans le même sens. Par le biais de l’utopie, elle ne fait que rendre notre monde plus aberrant et plus intolérable par son avidité, son agitation perpétuelle, son capitalisme et sa surconsommation, ses guerres, ses systèmes pour broyer les plus faibles, son pouvoir de nuisance.
Dans l’univers dépeint par l’autrice, les relations humaines sont apaisées et ouvertes – interactions sociales, amicales, amoureuses – et débarrassées d’un jugement perpétuel, même si cela n’empêche pas les différences de point de vue. Oui, c’est totalement utopique vu que les humains se tapent dessus depuis toujours, mais, oui, ça fait aussi du bien de croire un instant que l’on pourrait évoluer. (Suspension d’incrédulité ON.)

Je n’ai même pas envie de résumer l’intrigue car les détails de celle-ci importent peu. Je dirai simplement qu’il s’agit d’une invitation à un voyage. Au fil des pages et des échanges entre l’humain Sibling Dex et le robot Mosscap (je suis tombée sous le charme de ce personnage qui pose un œil interrogateur sur l’humanité et déploie sa propre poésie dans son rapport au monde) se déroulent des réflexions sur le sens de la vie, sur la nature des choses, sur le corps et l’esprit, sur le but et les désirs de chacun. Mais leurs conversations questionnent également la consommation, l’industrie, la société, la place laissée à chaque être vivant, le bonheur.
Je ne savais pas exactement à quoi m’attendre, mais j’ai découvert que « positif, optimiste » ne voulait certainement pas dire « mièvre ». Elle n’oblitère pas le fait que les gens ont effectivement des problèmes et des tracas, des besoins de changements de vie, des remises en question, des doutes. (Certes, ça peut paraître futile comparé aux drames sociaux et écologiques que nous connaissons, mais justement, ça serait beau si les seuls problèmes du quotidien étaient ceux affrontés par Sibling Dex, si tout un chacun pouvait être dans l’amélioration de son bien-être et non plus dans la survie.)

J’ai été séduite par tant de petits détails. « Allalae, God of Small Comforts », une religion qui réconforte ; les ordinateurs de poche, a reliable device built to last a lifetime, as all computers were (oui, c’est utopique, nous sommes d’accord) ; l’entraide qui irrigue les communautés… J’ai tout simplement aimé découvrir chaque aspect de ce monde, son fonctionnement, ses villages et j’espère qu’on aura l’occasion d’en apprendre davantage.
Peut-être mon ressenti aurait-il été différent si je ne les avais pas lus en anglais. Au-delà du petit exercice mental pour intégrer le « they » comme pronom neutre et non pas pluriel, j’ai trouvé le tout très fluide et efficace.

Je suis ressortie de ces deux petits romans contemplatifs et philosophiques bercée par une douce mélancolie et une beauté poignante. Heureusement, le tout est mâtiné d’humour et d’une énorme tendresse pour ce duo génial. En peu de pages, à travers de simples tranches de vie, Becky Chambers donne à voir un monde, un état d’esprit, un rapport à l’altérité qui font un bien fou et invite à prendre le temps. On m’a prêté ces romans, mais je pense que je ne résisterai pas à me les offrir.

Citations extraites du tome 1, A Psalm for the Wild-Built :
(Pour des citations en français, je vous invite à aller faire un tour chez Babelio.)

There was a strange comfort about being in an unfamiliar town not too far from home, where the familiarity was limited to building materials and social customs. It was the ideal mix of getting away yet not standing out.

“So, the paradox is that the ecosystem as a whole needs its participants to act with restraint in order to avoid collapse, but the participants themselves have no inbuilt mechanism to encourage such behaviour.”
“Other than fear.”
“Other than fear, which is a feeling you want to avoid or stop at all costs.” The hardware in Mosscap’s head produced a steady hum. “Yes, that’s a mess, isn’t it?”

They both watched the light for a few moments—the light, and the pollen dancing within it. A shadow of a bird sailed by. A delicate spider meticulously laid anchor lines of silk between old wontrol levers. A vine stretched, its movement out of sync with human time.
“It’s pretty here,” Dex said. “I wouldn’t have imagined I’d say that about a place like this, but—”
“Yes, it is,” Mosscap said, as if making a decision within itself. “It is. Dying things often are.”
Dex raised an eyebrow. “That’s a little macabre.”
“Do you think so?” said Mosscap with surprise. “Hmm. I disagree.” It absently touched a soft fern growing nearby, petting the fronds like fur. “I think there’s something beautiful about being lucky enough to witness a thing on its way out.”

The good intentions of a few individuals had not been enough, could never been enough to upend a paradigm entirely. What the world had needed, in the end, was to change everything.

Monk and Robot books, Becky Chambers. Editions Tor Books. En anglais.
– Tome 1, A Psalm for the Wild-Built, 2021, 147 pages ;
– Tome 2, A Prayer for the Crown-Shy, 2022, 152 pages.

La Cité diaphane, d’Anouck Faure (2023)

Je voulais lire ce roman depuis sa sortie et c’est le prix des Aventuriales qui m’a donné l’occasion de le lire. Après deux flops, qu’en a-t-il été de celui-ci ?

***
Les cinq titres en lice :
La cité diaphane, d’Anouck Faure ;
La trilogie du singe, de Pierre Léauté ;
La cité sous les cimes, de Marge Nantel ;
Dolls, de Népenth S. et MoonE ;
Crimes surnaturels, T1, Chaudron de bruyère, de Pauline Sidre.
***

La cité diaphane 1Depuis sept ans, Roche-Étoile est une cité abandonnée, ravagée par un mal étrange qui a empoisonné toutes les sources d’eau, ville muette peuplée des statues de la déesse sans visage. Une nécropole que vient réveiller un archiviste missionné par un royaume voisin pour en percer les mystères.

J’ai été happée par l’approche de la cité, par ce travelling avant qui prend son temps, par l’ambiance qui s’installe par des rencontres troublantes ou des bruits inexpliqués. Seulement, un cheveu est tombé dans la soupe…
Dès la première page, le narrateur nous explique qu’il va nous raconter les événements des jours précédents tels qu’il les a vécus « c’est-à-dire dans l’ignorance la plus totale des ressorts qui se jouaient ». Soit. Sauf que, dès lors, il multiplie les effets d’annonce, à coup de « Qu’il m’est étrange à présent de repenser à cette première rencontre… » ou de « Cela m’amuse en y repensant, mais sur l’instant, je regrettai aussitôt mes paroles. ». Une fois, deux fois, passe encore, mais cela se reproduit tant et tant que le mystère a perdu de son attrait au profit d’une immense lassitude. Tout ce que j’avais en tête était : « Mais crache ta pastille, bon sang ! ».
Par la suite, il continue de trouver des stratégies pour repousser les explications (« Pourquoi, vous demandez-vous sans doute. Comment ? Tout cela doit vous paraître très obscur, mais rassurez-vous, vous saurez bientôt. Pas tout de suite, cependant. Nous sommes déjà au beau milieu d’un récit qu’il serait dommage d’interrompre. »). Je n’ai pas besoin de tout savoir tout de suite, mais ces louvoiements me semblaient faux et creux, générateurs de longueurs inutiles.
À ce stade, je l’avoue, j’étais exaspérée et à deux doigts de laisser tomber.
Merci les Aventuriales, j’ai persévéré.

Par la suite, mon intérêt est revenu jusqu’à être bien prise par le récit. L’écriture est soignée, c’était globalement un plaisir de plonger dans les mots de l’autrice. Au-delà des décors gothiques, il y a un côté médiéval à travers les personnages désignés (pour une bonne raison) par leur condition (la chevaleresse, le mendiant, l’archiviste…). J’ai alors apprécié la manière d’aller de mystère en mystère, de rebondissements en retournements de situation. Les révélations sont progressives (sans pour autant tourner en rond) tandis que se dévoilent les motivations des différents personnages. Oscillant entre perfidie et protection, haine et amour, calcul et instinct, le récit s’amuse à nous balader gentiment à travers une histoire qui se révèle comme à rebours. Cependant, je vais être honnête, je doute que les détails de l’intrigue me marquent longtemps : bon nombre de confrontations n’étaient tout simplement pas à la hauteur des décors.

Car j’ai surtout savouré l’atmosphère quelque peu dichotomique du roman. Il a quelque chose d’éthéré – à travers l’architecture blanche et élancée de la cité, l’allure arachnéenne des enfants royaux, la condition ectoplasmique d’un protagoniste… – qui vient se heurter à une matérialité crue, à une chair démesurée, à des monstruosités magnifiées, à un macabre aussi poisseux que sublimé. Et en même temps, il y a ce jeu permanent de faux-semblants, de visages multiples, d’incertitudes, qui évite tout manichéisme.

Finalement, davantage que le fond qui parfois tourne en rond et manque de profondeur et de puissance, je saluerai surtout la forme originale du roman – complété par les gravures sombres de l’autrice – ainsi que l’atmosphère fascinante tout à la fois troublante, malsaine et onirique.

Source des gravures : le site d’Anouck Faure

« Peut-être éprouvèrent-ils du vertige à imaginer les ténèbres d’un esprit sans image. »

« La créature lui inspirait sans doute un mélange de fascination et de répugnance, comme un reflet déformé et pourtant beaucoup trop juste. La corne sur ce front de porcelaine, les membres chevalins lui rappelaient ce qu’il avait été, ce qu’il était désormais. Une licorne noire, un monstre, un être plus tout à fait humain qui se tenait sur les rivages de la mort. »

La Cité diaphane, Anouck Faure. Éditions Argyll, 2023. 261 pages.