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14 octobre 2022

ERA, la réinsertion par la culture : interview de Paul Widmer, président actuel et Camilla Leone, membre de l’asso

Bonjour Paul et Camilla, merci à vous de nous avoir accordé de votre temps pour cette interview. Pouvez vous tout d’abord vous présenter ainsi que l’asso ? 

Paul : Bonjour et merci à vous pour votre temps. Je m’appelle Paul Widmer, je suis en M1 à l’ESCP, et je suis président d’ERA, Escp Refugees Assistance, depuis le mois de décembre dernier. Nous sommes 18 dans l’association. 

On est une asso d’aide aux réfugiés dans laquelle on organise des sessions de cours. Pendant 10 semaines, ce semestre, 55 réfugiés ukrainiens reçoivent 16h de cours par semaine : 10h de cours de FLE (Français Langue Étrangère), 4 heures d’anglais et 2h de cours “culture et insertion”. Pour les bénévoles d’ERA cela représente 2h de cours à donner chaque semaine. En plus, on essaie de faciliter leur insertion professionnelle, en les mettant en contact avec des employeurs potentiels, en leur indiquant des salons d’emploi, en leur faisant passer des entretiens blancs, en regardant leur CV et en vérifiant que leur LinkedIn est beau et qu’il correspond bien aux “codes” francais. Nous voulons aussi favoriser leur intégration sociale, culturelle et humaine. On organise des activités de groupe, entre eux et avec des étudiants de l’ESCP, ou alors on organise des visites culturelles, en les emmenant au musée par exemple. 

Camilla : Je m’appelle Camila Leone, je suis en pré-master à l’ESCP et je viens de rejoindre l’asso. Dans l’asso, je suis prof de culture et insertion. Mes missions sont diverses : je regarde leur CV et les aide à passer de l’anglais au français, je leur ai aussi appris à se présenter rapidement face à un employeur. Sinon, pendant d’autres cours, j’essaie de les familiariser avec les particularités de la culture française. Par exemple, j’ai fait un cours sur toutes les caractéristiques de la France, avec les symboles, l’hymne, le drapeau, les grands noms de la peinture et de la littérature. 

Toi Camilla, qu’est qui t’a donné envie de rejoindre ERA ? 

Camilla : Je n’avais jamais entendu parlé de l’asso avant d’arriver à l’ESCP, je suis arrivée par hasard à un OL et j’ai beaucoup aimé le projet de l’asso qui est d’aider les réfugiés à s’insérer dans la vie professionnelle en France et de leur donner des cours, surtout qu’en ce moment ils ont besoin d’énormément d’aide. Je donnais déjà des cours à côté à des collégiens/lycéens mais je trouve que c’est très différent de donner des cours à des gens qui ne parlent pas notre langue, de leur transmettre des choses qui, pour nous, sont évidentes. J’ai intégré l’asso car j’avais envie d’être utile, d’aider, à mon niveau, des personnes tout juste arrivées en France.

Dans votre programme, quelles sont les difficultés et les opportunités d’intégration des réfugiés en France ? 

Paul : C’est difficile parce que ce sont des gens qui sont arrivés en urgence. Donc, quand ils arrivent à Paris, ils ont du mal à se loger, ils ont besoin de travailler en urgence. Ils ne peuvent pas prendre deux ans pour étudier, ce qui leur permettrait de trouver un travail qui correspond à leurs vraies qualifications. Les gens que nous accompagnons n’ont pas de profil particulier : c’est la société civile ukrainienne. Je tiens à préciser que nous ne sélectionnons pas les candidats sur leur parcours professionnel , sans quoi notre action ne serait pas proprement philanthropique.

En Ukraine, ils avaient du boulot, ils étaient cadres, certains avaient même des fonctions de direction, dans la com, dans les achats, dans la supply chain, dans les relations publiques, certains sont médecins, photographes … Le défi pour eux c’est de trouver un travail qui correspond à leurs qualifications et c’est là notre vraie mission, afin qu’ils ne deviennent pas cuisinier ou à faire le ménage dans un hôtel alors qu’ils pourraient avoir des boulots qui correspondent mieux à leurs carrières passées. Parce que quand ils arrivent, même s’ils sont qualifiés pour faire un travail à haute valeur ajoutée, ils sont confrontés à la barrière de la langue – ils parlent peu ou pas français mais bien anglais – et n’ont pas forcément les “codes”, et puis les RH sont généralement peu ouverts à leur profil alors qu’ils pourraient en tirer bénéfice. Il faut vraiment que les nouveaux arrivants trouvent un travail car, comme dans tous les domaines, si on travaille pas pendant deux ans, on perd ses compétences, son réseau et donc on est moins bon : c’est un cercle vicieux. Donc on pense à ERA que plus on les aide tôt plus c’est facile pour eux. Et c’est ça qu’on a fait avec le premier programme destiné aux Ukrainiens : on l’a ouvert 53 jours après le début du conflit, et c’est là qu’on fait une vraie différence pour eux. 

Quant aux opportunités, c’est plus difficile à dire, car la situation est sans nul doute tragique. Évidemment, je pense que la diversité est une richesse pour la France. D’un point de vue matériel, on a en France une vraie tension sur le marché du travail et donc c’est très intéressant de les intégrer. Je donne un exemple : il y a deux semaines, je parlais à une ophtalmologue, on sait que c’est un secteur en tension : pour trouver un rdv, il faut nous 6 mois. Je suis convaincu que l’on peut trouver des synergies intelligentes entre eux et nous ! 

De manière générale, quel est le profil des réfugiés ukrainiens que vous aidez ? 

Camilla : Dans le groupe que j’encadre, les plus jeunes ont 18 ans mais la plupart ont plutôt entre 30 et 40 ans. Ce sont surtout des femmes, et ils sont tous là avec une envie très forte d’apprendre le français, de découvrir notre culture.

Au vue de la situation actuelle, votre projet est-il davantage centré sur les réfugiés ukrainiens en ce moment ? 

Paul : Évidemment, dans notre asso, on vit au rythme des malheurs du monde et donc on a triplé le nombre de personnes accompagnées entre le programme d’automne 2021 et le programme de printemps 2022 parce qu’on voulait faire notre part et répondre à cette crise, la plus grande crise de réfugiés en Europe depuis 1945. Donc c’est notre programme principal, après la formule peut évoluer parce que chaque nouvelle promotion est une surprise. 

Comment les réfugiés perçoivent les cours, d’autant plus que vous êtes plus âgés qu’eux ? 

Camilla : Je pense qu’ils sont très satisfaits de la formation, parce que les cours leur permettent de comprendre une culture qui n’est pas la leur et aussi de rencontrer d’autres personnes qui sont dans la même situation qu’eux. Même si on est plus jeune qu’eux, je pense qu’on peut leur apporter quelque chose. Que ce soit pour les cours de français, anglais ou culture et insertion, je pense que les participants sont très contents du contenu et de la manière dont c’est enseigné. Dans les profs de l’asso on compte aussi des profs bénévoles plus âgés et avec plus d’expérience que nous et qui guident l’équipe. 

Avez vous déjà eu des retours des réfugiés qui sont, on suppose aujourd’hui insérés  dans le système français? 

Paul : On essaie de garder des liens, même si ce n’est pas toujours évident car les alumni sont très mobiles. On sait qu’il y a en une bonne quinzaine qui ont intégré le programme Passerelle du système universitaire français, sur 1 an, à l’issue duquel ils parlent suffisamment bien français pour commencer ou reprendre des études en France. Or, il faut être au moins de niveau A1 ou A2 pour rentrer dans ces programmes passerelle. Par exemple, il y en a qui sont arrivés en avril en tant que grands débutants et l’enjeu pour nous a été de les amener à ce premier niveau pour qu’ils puissent entrer dans le programme. Une ancienne participante suit maintenant des cours d’économie à Assas anglais, une autre est devenue réceptionniste dans un hôtel en CDI, plusieurs d’entre eux ont obtenu des bourses de l’ESCP et sont maintenant étudiants de l’ESCP. Il y a une concrétisation de notre projet et on essaie de rester en contact avec eux, on les invite à nos événements. Ça nous fait toujours plaisir de les revoir et, dans mes rêves les plus fous, les alumni seront parrains de promo dans quelques années. On essaie de créer une vraie communauté, même si c’est difficile car certains partent : au Canada, en Europe, ou ailleurs. Une petite partie est rentrée en Ukraine. On communique entre nous via un groupe LinkedIn.  

Anciennement, votre asso s’appelait each One, qui est présente dans plusieurs écoles, pourquoi avez-vous donc décidé de changer le nom de l’asso ? Avant quel était le profil des réfugiés et leur nationalité ?

Paul : Le programme était organisé à peu près sous le même format en termes de cours, de visites et d’objectifs… On donnait des cours à des réfugiés venant du monde musulman : soit d’Afrique subsaharienne, de Syrie, d’Iran, du Bangladesh… Mais en ce moment on accompagne que des Ukraniens pour répondre à la crise, ce n’est cependant pas notre projet à long terme qui est d’accompagner tout le monde et on espère revenir à un public plus diversifié à partir de janvier prochain.

Quant à Each One, le projet est né à l’ESCP mais s’est développé en dehors. each One a ouvert une douzaine de programmes dans différentes écoles de commerce, d’ingénieur en France. Puis ils en ont fermé la moitié pour changer de stratégie. Nous, on a choisi de devenir indépendant, c’est pour ça qu’on a changé de nom.

Au niveau des aides, êtes vous aidé par l’ESCP ?  

Paul : Au niveau des aides, L’ESCP nous prête les salles, et nous a subventionné pour que l’on puisse acheter des manuels et assurer les programmes. On remercie l’ESCP et la Fondation ESCP pour leur soutien ! 

Quels sont vos autres projets en cours pour cette année ?

Paul : Lundi prochain, nous organisons avec Star Trekk’, que l’on remercie, un running avec nos participants, et nous invitons tous les étudiants de l’ESCP à venir pour rencontrer les réfugiés. Nous espérons que cela sera sympa et que des discussions vont se nouer.  Le départ se fait dans la cour de l’ESCP à 18h. Le but est d’intégrer les participants du programme à la communauté de l’ESCP et vis versa.

D’autres projets sont à venir, alors suivez-nous sur les réseaux sociaux.

Paul, à titre personnel, qu’est ce que ton rôle de président t’a apporté cette année et qu’est ce que tu en retiens ? 

Paul : J’ai adoré mon rôle de président, jamais de ma vie j’ai été aussi motivé à me lever le matin et à travailler, pourtant j’ai beaucoup, beaucoup de boulot. La première chose que j’ai apprise, ça a été de m’organiser, par exemple quand on a beaucoup d’interlocuteurs et beaucoup de demandes, qu’on sollicite et qu’on est sollicité en même temps. J’ai adoré aussi car je me suis senti utile, j’ai rencontré des gens très divers, d’un courage et d’une résilience inspirante. Je pense que cela m’a fait grandir. J’espère d’une manière ou d’une autre qu’on aura toujours un groupe d’étudiants motivés à l’ESCP pour aider les réfugiés : il y en aura de plus en plus. On a déjà une bonne team qui s’est formée pour l’année prochaine, c’est super, je suis très fier d’eux.

Le mot de la fin ? 

Paul : On espère que vous serez nombreux à venir à nos événements et échangez avec nos participants : ils ont envie de vous rencontrer !

Interview réalisée par Anne-Fleur Ounnas et Claire Selosse, membres de Streams.

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