La Pratique du Lean Management dans l’IT

Non contents d’organiser l’évènement incontournable du Lean IT en Europe, Operae Partners propose un ouvrage collaboratif sur le sujet : Marie-Pia Ignace, Christian Ignace,Régis Medina et Antoine Contal ont écrit ce livre à 8 mains, mais, et c’est là le plus important, à quatre esprits éclairés.

La question que je me posais était : que peut apporter un tel livre dans une discipline déjà traitée par les ouvrages de Steve Bell (Lean IT et Run Grow Transform), Tom & Mary Poppendieck (le tryptique Lean Software Development) de Pierre Pezziardi (Lean Management et Informatique Conviviale) ou encore de l’excellent Henrik Kniberg (Lean From The Trenches) ?

La réponse dès les premiers chapitres : une vision éminemment actionnable et claire de ce qu’est le Lean et de ce qu’il apporte aux DSI, dans le contexte particulier des organisations hexagonales.

Un ouvrage remarquable pour la perspective concise et pour sa dimension pragmatique. On parle ici de la Pratique du Lean en s’appuyant à la fois sur ses principes historiques et sur des applications réussies. Très recommandé et voici pourquoi …

Le Lean, la pratique, le réel et le travailleur du savoir

On peut faire confiance aux 4 susnommés pour leur connaissance du sujet : à eux quatre ils représentent plusieurs décennies de pratique du sujet. Car, et c’est là l’essentiel, à l’image de la musique ou des arts martiaux, le Lean se pratique et rejoint en cela, d’une certaine manière, un idéal artisanal.

Pour nos managers, le Lean est souvent décevant tant ses concepts sont simples. Le fait d’avoir compris les principes ceux-ci imaginent en avoir saisi l’essence, un travers atavique du travailleur de la connaissance tel que le rappelle Matthew Crawford dans Eloge du carburateur :

L’idéal artisanal est de faire faire une chose bien. Celui du travailleur de la connaissance est d’avoir l’aptitude à apprendre en permanence des choses nouvelles. Ainsi l’artisan célèbre des réalisations (sa confrontation au monde physique sanctionnée par une modification de celui-ci) quand le knowledge worker célèbre des potentialités qui évitent la confrontation avec le monde réel : il s’agit du noeud du désoeuvrement de ce dernier.

Cet ouvrage n’a de cesse de rappeler qu’un des principes du Lean est celui de la confrontation avec le réel grâce au Genshi Genbutsu (Go & See) : aller sur le terrain pour observer comment les gens travaillent, leur demander pourquoi tout en les respectant. Ainsi les managers qui prétendent faire du Lean en restant dans leur bureau passent complètement à côté de la réalité (ce qui est embêtant), mais aussi, de leur sujet (ce qui est grave). Le chapitre sur le Manager Lean est à ce titre éloquent.

Idéal Lean

L’essai d’Operae  le rappelle très bien : Le Lean correspond plus à un idéal de fonctionnement qu’à une réalité que l’on peut atteindre. Cet idéal est la direction vers laquelle doit se diriger l’organisation dans un souci de satisfaire le client.

Un idéal qui se décline selon 2 axes : l’amélioration continue et le respect des personnes. Un idéal de la pratique, encore et encore, pour assimiler, intégrer, métaboliser ces principes qui s’appliquent aux organisations et donc aux personnes. D’où l’humilité non feinte présentée par les intervenants de la conférence (P. Masai, Mike Orzen ou Cesar Gon qui malgré le succès éclatant de son organisation et de sa mise en oeuvre du Lean, regrettait de n’avoir 10 ans d’expérience supplémentaire sur le sujet).

A l’intersection de ces deux axes se trouve la résolution de problèmes.

Le traitement des problèmes

Toutes les organisations prétendent traiter les problèmes. En fait, très souvent la dynamique interne de ces organisations incite plus à dissimuler les problèmes qu’à les traiter. En effet, on stigmatise souvent celui qui apporte des mauvaises nouvelles.

Dans le Lean le problème est une opportunité pour améliorer le système et permettre aux équipes d’apprendre. “On remercie les collaborateurs qui nous amènent des problèmes” (P. Masai – DSI de Toyota). Aussi, un des éléments essentiels du Lean est de rendre visible les problèmes. C’est ce que permet le management visuel qui, comme le rappelle ce livre, est l’antithèse du reporting.

Le problème se mesure : il montre la différence entre le résultat constaté et la variabilité tolérée. Une des nombreuses forces du Lean réside ici : en se basant sur l’adage de Edward Deming (In God we trust, all others must bring data) cette approche s’appuie sur des données et l’observation des faits pour traiter ces opportunités. Cela permet d’extraire la discussion des griffes politiques de l’opinion pour l’amener sur le terrain plus sain et plus productif du factuel.

Le traitement de ces problèmes se fait selon la méthode scientifique ; hypothèse, expérience, vérification et capitalisation : le fameux PDCA. Encore une fois, le PDCA peut sembler trivial et simplissime mais cela nécessite de la rigueur et des années de pratique, d’écoute et d’observation pour s’améliorer sur sa pratique.

Etudes de cas

Enfin, tout cela ne serait que de la belle théorie si elle ne s’appuyait sur quelques études de cas dans des contextes différents : support, maintenance, développement, tests. On retrouve ici des cas présentés par l’excellent Antoine Contal à l’Agile Tour ou par Régis Médina lors du Lean IT Summit (Software Kaizen).

Chaque cas est approché selon une perspective redoutablement efficace. Ainsi celui sur le support cite évidemment l’ouvrage de Bill Price et David Jaffe (The Best Service is no Service), avec toujours comme objectif de protéger le client, notion très forte que l’on retrouve dans l’entretien que nous avait accordé Christophe Riboulet.

Valeur Client

Au final, tout cela pour quoi ? Pour satisfaire complètement le client à travers la valeur qui est livrée, pour permettre aux personnes de s’améliorer et ainsi, à l’organisation dans son ensemble. On retrouve ici un écho à cette très belle citation de Mike Orzen : operational excellence is personal excellence.

Là où l’approche Lean est supérieure aux approches classique c’est dans son soucis de ne pas se contenter de créer de la valeur mais d’améliorer en permanence la chaîne de création de valeur.

Et comment cela s’applique dans le monde de l’IT ? Outre que les auteurs invitent (tout comme Steve Bell) à s’appuyer sur les réseaux sociaux pour se rapprocher du client et comprendre ce qu’il nous enseigne à travers ses retours en ligne, l’ouvrage répond magnifiquement :

Il s’agit de rendre transparentes la technologie et la complexité au profit de l’obtention infiniment plus rapide pour l’utilisateur de la valeur attendue.

Un objectif qui est parfaitement aligné avec celui du manifeste de l’informatique conviviale défini par Pierre Pezziardi :

  • Des systèmes en amélioration continue
  • Aussi simple de s’en servir que d’y contribuer
  • Où tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé mais tracé et réversible
  • Et où ceux qui rendent leur poste obsolète sont promus

Objectif qui peut se révéler particulièrement ardu dans un environnement peuplé d’informaticiens selon les auteurs :

Pour un expert (bac +5) dans un domaine qui reste mystérieux aux yeux du grand public, augmenter significativement la performance de son équipe en passant trois coups de fil n’est pas gratifiant intellectuellement. Elaborer de grandes théories sur des problèmes complexes et se dire qu’on en a résolus l’est évidemment beaucoup plus.

Un ouvrage synthétique (compter 2:30 de lecture), pratique et indispensable pour mieux comprendre l’apport du Lean dans nos DSIs et avoir quelques outils méthodologiques pour le mettre en oeuvre avec succès. Hautement recommandé, donc.

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