Plein écran : « Benedetta » de Paul Verhoeven, la nonne (dé)possédée

Esther Heboyan a vu pour vous le film « Benedetta » de Paul Verhoeven qui ne fait pas l’unanimité à Cannes.

La sœur Benedetta, personnage aussi énigmatique que le film du même nom... Foto: Guy Ferrandis / SBS Productions

(Esther Heboyan) – En visionnant Benedetta de Paul Verhoeven, on se demande si le film est une farce, car dans la salle Bazin (séance presse) du Palais des Festivals, les rires fusent. Il y a de quoi. Le récit démarre avec la nervosité qu’on connaît à Verhoeven, mais se fourvoie assez vite dans d’innombrables épisodes de violence crue, sexe et érotisme, oppression institutionnelle, vraie ou fausse dévotion, comme pour gaver les spectateurs.

Au niveau des personnages, on dirait des pantins grotesques. Charlotte Rampling (Révérend Mère Felicita) reste convaincante, tandis que les autres sont rarement crédibles. Dommage pour Virginie Efira dans le rôle-titre. On se demande si le réalisateur prend ses personnages au sérieux ou s’il a juste créé un film d’époque avec l’audace du 21ème siècle. On se demande s’il a voulu imiter les Monty Python, a beaucoup hésité, puis s’est rétracté.

Néanmoins, Verhoeven a soigné décors et costumes, restitué l’ambiance du couvent des Théatines et de la société civile à Pescia en Toscane au 17ème siècle, proposé une réflexion sur le poids de la religion et de l’église sur les individus. Visuellement, l’œuvre est intéressante. La musique, elle, illustre un peu trop lourdement les images.

Avec son scénariste David Birke, Verhoeven s’est inspiré des recherches de l’historienne américaine Judith C. Brown (Immodest Acts : The Life of a Lesbian Nun in Renaissance Italy, 1985) pour nous raconter l’histoire de la mère-abbesse Benedetta Carlini (1590-1661) qui, entrée au couvent dès l’âge de neuf ans, se proclama mystique et épouse de Jésus dont elle disait porter les stigmates. Entretenant une relation charnelle avec Sœur Bartolomea qui a le visage de Daphne Patakia, une jeune nonne illettrée, elle fit l’objet de deux enquêtes pour imposture et immoralité.

La première enquête en 1619, conduite par le confesseur du couvent, lui reconnut des faveurs divines. La seconde enquête en 1622, commandée par le nonce du pape, conclut à des illusions démoniaques. Rétrogradée au rang de nonne, elle vit librement au milieu des autres nonnes jusqu’en 1626. Puis, pour une raison obscure, Benedetta fut condamnée à l’isolement (clausura) durant 35 ans. (L’historienne Judith C. Brown n’a pas trouvé la raison de ce rebondissement.)

D’après les archives nationales de Florence consultées par Brown, l’investigation porta principalement sur le mysticisme et incidemment sur l’homosexualité de Benedetta. Chez Verhoeven, les deux motifs sont traités à valeur égale. Jésus apparaît à Benedetta en chair, os et sang, martyr sur la croix, preux chevalier ou pieux fiancé, ce qui parfois frôle le ridicule. Quant aux scènes de sexe, on peut faire confiance à Verhoeven pour fouiller le corps de la femme le plus librement possible et de montrer les amours lesbiennes dans toutes ses vérités. À l’heure de #MeToo, ça tombe bien, ou mal – tout dépend de l’angle où l’on se place.

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