Theodorakis, le Grec

Mikis Theodorakis n’est pas seulement un homme grec, compositeur, chef d’orchestre, homme engagé et mondialement connu, Mikis Theodorakis est l’histoire de la Grèce moderne. Il est mort à 96 ans, le 2 septembre 2021 après une vie de légende. Le « Micro européen » reçoit le biographe de Mikis Theodorakis, Yorgos Archimandritis.

Mikis Theodorakis, c'était la Grèce. Dans le sens le plus noble du terme. Foto: Bert Verhoeff / Anefo / Nationaal Archief / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(José-Manuel Lamarque – franceinfo) – Tout commence le 29 juillet 1925, sur l’île de Chios, déjà une île grecque. D’un père crétois et d’une mère grecque d’Asie mineure, MikisTheodorakis suit ses parents au rythme des mutations de son père fonctionnaire, dans toute la Grèce. La musique est sa vie, elle se révèle à lui très tôt, et il dirige son premier orchestre à 17 ans. Dans sa famille, il n’y a pas de fins de mois difficiles, Mikis peut s’adonner à sa passion. Physiquement, c’est un Crétois, de grande taille, puissant comme une montagne crétoise, il en a aussi le caractère, inébranlable, résistant, insoumis.

La Guerre – En 1941, les troupes allemandes occupent la Grèce avec les troupes italiennes. Cette occupation sera l’une des pires avec celle de la Pologne. Les occupants seront intraitables avec les Grecs, massacres, tortures, famine ; on verra des orphelins errer dans les villes, affamés, des villages seront rasés, la communauté juive de Thessalonique sera assassinée, déportée.

Mais si l’armée italienne n’a pu tenir face aux soldats grecs en appelant Berlin à son secours, en Grèce, la résistance s’organise, et les occupants devront se battre face à des lions et des lionnes, comme en ont témoigné les généraux allemands après la guerre. Face à l’occupation de sa patrie, Mikis Theodorakis entrera aussi en résistance dans les rangs de l’ELAS, le front de Libération ; il sera torturé, échappera au peloton d’exécution et, dans la clandestinité, continuera ses études musicales.

La guerre civile – Mais en Grèce, la guerre va continuer après 1945, ce sera la guerre civile. Les frères vont s’affronter, et Mikis Theodorakis sera violemment battu, laissé pour mort, puis déporté trois fois dans les îles, à Ikaria, puis Makronissos, toujours torturé, puis enterré vivant, c’est à Makronissos qu’il contractera la tuberculose.

Malgré sa libération, grâce entre autres à son père, Mikis Theodorakis souffrira longtemps de la tuberculose, et psychiquement gardera des séquelles de souffrances qui lui auront été infligées. Mais Mikis Theodorakis est un créateur, un artiste, sa vie c’est avant tout la musique. En 1950, il sera diplômé du Conservatoire d’Athènes, harmonie, contrepoint et fugue.

Paris – Après la Crète, où il sera le directeur de l’École de Musique de Xania, où il fondera son premier orchestre, après Rome en 1953, et son premier ballet Carnaval grec, ce sera Paris, qu’il rejoindra en 1954 avec son épouse Myrto Altinoglou. Sa création s’amplifiera au Conservatoire de Paris avec ses professeurs Eugène Bigot pour la direction d’orchestre et Olivier Messiaen pour l’analyse musicale.

Mikis Theodorakis compose à Paris, mais les heures noires des deux guerres, les souffrances psychologiques toujours présentes, on les retrouve dans ses œuvres, et malgré ce passé qui lui colle à la peau, ce sera la médaille d’or en 1957, au festival de Moscou, pour sa Suite n°1 pour piano et orchestre, dont le président du jury sera Dimitri Chostakovitch.

Paris toujours, avec le succès pour ses musiques de ballet, Les amants de Teruel (clin d’œil à la guerre d’Espagne et à la bataille de Teruel), Le feu aux poudres (poudre, la guerre), Antigone (plaidoirie de Sophocle contre la tyrannie), et le succès le retrouve aussi à Londres. Le chemin de Mikis Theodorakis croisera celui de Darius Milhaud (Le Bœuf sur le Toit, la Création du Monde, Le Train Bleu), Darius Milhaud ouvrira la route de Mikis Theodorakis comme « Meilleur compositeur européen de l’année » à l’American Copley Music Price.

Mikis Theodorakis sera reconnu internationalement. C’est l’époque pour lui de se tourner vers les musiques de film, les chansons grecques, à qui il donne une autre voie musicale.

Z de Costa-Gavras – Si la lettre Z en grec ancien signifie « il est vivant », tout le monde connaît aujourd’hui ce Z, celui du film de Costa-Gavras, tiré du livre de Vassilis Vassilikos, l’histoire de Grigoris Lambrakis, médecin et député assassiné par des nationalistes grecs à Thessalonique en 1963.

Le juge d’instruction de l’affaire (joué par Jean-Louis Trintignant) deviendra président de la République de Grèce, Khristos Sartzetakis de 1985 à 1990. Si la musique du film est signée Mikis Theodorakis, il créera la Jeunesse Démocratique, Lambrakidès, mouvement citoyen, politique, culturel, 50 000 adhérents et 200 centres culturels en Grèce. Avec ce mouvement Lambrakidès, Mikis Theodorakis deviendra député en 1964. Mais le rêve s’achève en 1967, la junte militaire prend le pouvoir, et Mikis Theodorakis, lui, sa femme et ses enfants vont retrouver le chemin de la prison, des résidences surveillées, le bannissement, la déportation, et la tuberculose reviendra.

Paris, la liberté… – Jean-Jacques Servan-Schreiber obtiendra la libération de Mikis Theodorakis en intervenant auprès du colonel Papadopoulos, le chef de la junte, parce qu’un mouvement international solidaire faisait campagne pour sa libération, comprenant Dimitri Chostakovitch, Harry Belafonte, Arthur Miller, Leonard Bernstein.

Ainsi, Mikis Theodorakis et sa famille retrouvaient Paris et son groupe de résistants grecs, Melina Mercouri, Costa-Gavras, Vassilis Vassilikos, Irène Pappas. Mikis Theodorakis lui, reprenait le chemin de l’hôpital en ce mois d’avril 1970. Au mois de mai, sa famille viendra le rejoindre. Mais Mikis Theodorakis est Mikis Theodorakis, il fondera à Paris le Conseil national de la Résistance, combattant la junte, toujours debout contre l’injustice, ardent défenseur de la liberté, Mikis Theodorakis foulera le sol de la Grèce le 24 juillet 1974.

L’œuvre – L’œuvre de Mikis Theodorakis est immense, des chansons à la musique symphonique, de la musique de chambre aux cantates, des oratorios aux musiques de film, des hymnes aux ballets, des opéras au théâtre…

Du Canto General de Pablo Neruda, au Romancero Gitano de Federico Garcia Lorca à Zorba, Mikis Theodorakis a rencontré le monde entier et le monde voulait connaître, croiser Mikis Theodorakis. Il fut ministre, oui, mais Mikis restera toujours Mikis. Quand il chantait Sto Perigiali to Grifo (la côte secrète), chanson populaire que chante toute la Grèce, quand Mikis Theodorakis la chantait où qu’il fut, la foule l’accompagnait, et l’on entendait : « Bravo Mikis !… ».

Mikis Theodorakis, le Grec – Mikis Theodorakis était la Grèce, et la Grèce moderne s’est toujours reflétée en Mikis Theodorakis, ce géant qui est toujours descendu dans la rue pour dire : « Non ». Le 12 février 2012, lui et Manolis Glezos, les deux figures de la résistance grecque, ces deux octogénaires, manifestaient devant le Parlement à Athènes contre les mesures imposées à la Grèce par la Troïka. Et les jeunes policiers ont gazé et matraqué Manolis Glézos et Mikis Theodorakis, ils ne savaient pas qu’ils matraquaient la Grèce !…

Pour écouter le replay de l’excellente émission de José Manuel Lamarque, CLIQUEZ ICI !

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