Du Portugal à portakal

En turc, mais aussi dans d’autres langues, l’orange fait référence au Portugal, comme c’est étrange...

En turc comme en français, l’orange amère (bigarade = turunç) et l’orange douce (orange = portakal), se nomment différemment. Foto: Zeynel Cebeci / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Nous avons précédemment évoqué ici dans « Le coing de la discorde », une vieille histoire fruitière opposant le Portugal au Royaume-Uni. Dans un registre moins « pomme de discorde », mais plus « fruit de la passion », il importe de compléter le susmentionné article par quelques précisions sur les dites « Pommes d’Or du Jardin des Espérides », que les commentateurs des mythes grecs identifient tantôt comme des coings, tantôt comme des oranges.

L’arrivée de l’oranger en Europe remonte au Moyen-Âge, et c’est aux Arabes que la Sicile doit ses premières orangeraies. Venant du persan ou de l’hindi « narang », décliné en « naranj » par les arabophones, puis en « arancio » par les italophones, se transforma en « orange » dans la langue française. Mais les premiers orangers connus au Moyen-Âge étaient de la variété « bigarade », c’est-à-dire en référence à son goût, l’orange amère hybridation entre le pamplemoussier et le mandarinier introduite en Italie en 1002.

Au XVIe siècle, à la faveur des Grandes Découvertes, des itinéraires commerciaux maritimes relièrent les continents. Le  Portugal, aujourd’hui quelque peu embarrassé par son passé colonial comme beaucoup de pays européens, y prit une part active. Le « citrus sinensis », orange douce, s’adapta très vite au climat de la Péninsule Ibérique. Il ne fut alors plus nécessaire d’importer ce fruit exotique du lointain Orient. Le terme « orange » s’appliqua alors aux deux variétés, douce et amère, la dernière étant alors réservée aux apothicaires et la première aux cuisiniers.

Clin d’œil de l’histoire et de l’étymologie, plusieurs pays d’influence arabe ou ottomane, ont adopté et adapté le nom du Portugal pour nommer l’orange douce. Ainsi avons nous en Grec « portakali » (πορτοκάλι ), en roumain « portacaliu », en napolitain « purtuallo », dérivant de l’arabe « burduqan » et du turc « portakal ». Ceci expliquant la référence au Portugal, dans le nom de certains jus de fruits vendus par les magasins turcs.

Il est d’ailleurs à noter qu’en Turquie, l’orange amère ou bigarade se nomme « turunç » (prononcez tourroutch) et l’orange douce « portakal » (prononcez porrtakal). Par contre pour désigner la couleur, s’emploient dans le langage soutenu le terme « turuncu » (prononcez tourroudjou) et dans le langage courant « portakal rengi » (prononcez porrtakal rrengui).

Nous vivons ces dernières années, notamment depuis l’accession de Recep Tayyip Erdogan au pouvoir en Turquie, une nouvelle période de tension Ouest-Est où le péril désigné n’est plus le communisme, mais l’internationale nationaliste très joliment nommée démocratie illibérale. Prenant un peu de hauteur, regardons l’évolution de nos langues, et comment elles se sont enrichies mutuellement.

Sans sombrer pour autant dans l’optimisme naïf quant à l’avenir, n’oublions pas pour autant nos héritages communs. La Turquie n’est pas en Europe, car l’argument de la Thrace ne tient évidement pas. Cependant, elle est notre voisine, et comme l’a démontré l‘Histoire à maintes reprises, aucun régime ne dure éternellement. D’où l’intérêt à faire preuve de discernement, car de l’autre côté de la frontière, l’aspiration à la démocratie s’amplifiant, la Turquie pourrait peut-être aussi connaître un jour sa Révolution des Œillets

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