Festival MUSICA : Un four à micro-mondes

Frank Zappa, David Jiss, Quatuor Diotima

Frank ZAPPA et ses 200 Motels qui sentent le sandwich au thon sous vide Foto: Rédaction

(MC) – 200 Motels de Frank Zappa vendredi, Comme à la radio de David Jiss le samedi après-midi (un hörspiel à la française), et le même jour, le Quatuor Diotima interprétant des œuvres de Ligeti, Saunders et Bernard Pesson. Des mondicules innombrables qui se bousculent, s’interpénètrent et se chauffent l’ombilic pour mieux se reproduire indéfiniment, toujours plus beaux.

Et avec cela, la cuisson dans un four où tous, ils sont projetés, où ils trouvent leur unité en s’échauffant à blanc. Mais cette cuisson qui unit tout manquait au 200 Motels de Zappa, interprété vendredi soir, malgré des parties éblouissantes et très drôles et une réjouissante vulgarité transcendantale qui sans l’unifier, motivait l’ensemble…

Vendredi soir donc, 200 Motels, de Frank Zappa, composé essentiellement en 1971. Une mobilisation énorme : une centaine de comédiens et de chanteurs ; l’ Orchestre Symphonique de Strasbourg, les Percussions dudit Strasbourg et un groupe de rock, The Headshakers, dont les interventions étaient plutôt sporadiques. L’ensemble, à la fois ébouriffé et d’une relative cohérence, mélange les genres pour en faire un mix media (expression venue de Zappa même) : un mix de show télé à l‘américaine, de rock, de musique classique et contemporaine et d’opéra. Ces 13 « suites » baignent dans un esprit parodique et satirique qui le sauve (de justesse) du ridicule des tentatives boursouflées et grotesques de ces années 1970, qui elles, se préoccupaient de respectabilité bourgeoise : ah, les opéra rock, Phantom of the  Paradise, undsoweiterundsofort ! Et de nombreux groupes dont je ne rappellerai pas le nom : cela porterait malheur.

Et pourtant, beaucoup de lenteurs, beaucoup de lourdeur plombent l’ensemble, dont l’auteur ne savait pas d’emblée où il voulait aller. A Mobile, avec le blues de Memphis ? L’impression d’indécision et de staticité domine longtemps, jusqu’ à ces moments très étonnants où les passages orchestraux de musique « contemporaine » réveillent l’attention : très bien ! Ils tiennent parfaitement la route ! Et jusqu’à ces moments très drôles – il y en a un certain nombre – notamment le final, où des choeurs dignes de la Travolta – euh, de la Traviata – posent le problème intensément métaphysique de la longueur du zizi sexuel (Penis dimension et Strictly Genteel).

La mise en scène, imposante, est cependant discutable : une caméra baladeuse et un grand écran s’emparent de l’avant de la scène, oui mais ainsi, on ne voyait pas très distinctement… la scène et ce qui s’y passait ; et pourtant, il s’en passait, des choses, sur la scène ! Tout devant, loin, très loin des spectateurs…

Treize petits mondes, qu’on pourrait dire d’une vulgarité transcendantale, se succèdent ainsi dans 200 Motels et se chevauchent. Mais l’ensemble manque d’unité, comme un Golem mal cuit qui menacerait de s’effriter.

Il en allait autrement avec le hörspiel de David Jiss, Comme à la radio… David Jiss est un ancien de France Musique et de France Culture (1983-2014). Il définit le hörspiel comme « un genre acoustique à contenu indéterminé, ni littéraire, ni musical ». C’est pour lui un genre à part entière. Il le conçoit donc de manière plus ouverte que dans son acception allemande reçue, qui reste proche d’un théâtre radiophonique imprégné de musique comme il en existe depuis les années 1930.

David Jiss reprend les textes de ses interventions à MUSICA depuis 15 ans, qui égrènent et enchevêtrent les voix de grands écrivains et de grands musiciens. Et il les commente, les ornemente de textes de grands auteurs et de comédiens et les envoie dans les casques des auditeurs.

Que de grandeurs et d’îles-continents ! Un tel hörspiel est une somme, un bilan, une synthèse de la musique du monde. Cette musique n’est pas celle des sphères. Elle produit un saisissement, parce qu’on éprouve la brutalité de ce qui essaie de s’imposer à tout prix, celle de l’offensive fourmillante et obstinément individualiste de ce que Schopenhauer appelle Wille zum Leben. le Vouloir vivre.

C’est d’une richesse hallucinante, et c’est fascinant. « Il y a bien plus dans la matière que dans nos rêves », cite David Jiss. Et de manière analogue, il y a bien davantage dans ce qui a été réalisé par tous ceux qui portent leur voix dans nos casques, dans l’Aula du Palais U cet après-midi là – de Brigitte Fontaine à Pierre Boulez – que ce qu’on aurait jamais pu prévoir ou imaginer dans la marche du monde. Jiss parvient à exposer le relief vital de ce monde et de ces infra-mondes qui se heurtent et s’emmêlent les pinceaux.

Comme à la radio nous fait réentendre de puissants créateurs et des commentateurs péremptoires. Entre les deux se faufile le questionnant, Jiss lui-même : il dépose un monde d’interprétations sur ses questions. Et ses interprétations, naïves, mettent en relief, en feedback, le sens et sa plénitude, de manière à la fois improvisée et très élaborée.

Le Quatuor Diotima (quel beau nom…), samedi soir, a atteint un sommet dans cette synthèse de petits mondicules séparés et liés entre eux : quelle rigueur et quelle cohésion dans leur impressionnante interprétation des oeuvres de Ligeti, Saunders et Pesson ! Une synthèse telle que grâce à eux naît un monde nouveau, qui dans Zappa, demeure un microscopique embryon.

La suite de MUSICA pendant deux semaines encore ! Nous sommes trop gâtés, décidément.

 

 

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