Jane Eyre, roman, films, séries

Il y a quelques temps je me suis retrouvée alitée, pas très bien, un peu malade, surtout prise de malaise car j’ai la sensation que ma vie ne va pas dans le sens que je voudrais lui donner… Devant l’écran de télévision, les chaînes proposent des programmes plus ou moins attrayant. On était un après midi d’automne, tranquille. Je suis tombée sur une rediffusion d’une série de la BBC, patrimoine britannique, qui aime tant adapter les classiques de sa littérature : c’était Jane Eyre, réalisé en 2006 par Susanna White. Je me suis laissée portée par la douceur de cette histoire, que chacun connaît, de la très jeune Jane tombant amoureuse du mystérieux Mr. Rochester. L’histoire eu sur moi l’effet d’un baume et comme souvent, quand l’esprit n’est pas à la fête, le cœur en profite pour réclamer un dû qui semble l’apaiser, au moins un temps. L’épisode terminé, je me suis précipité sur mon écran d’ordinateur pour tenter de voir les autres, ne pouvant attendre le lendemain ! J’ai alors été prise dans un tourbillon de romantisme britannique, de héros byronien et j’ai décidé de relire le roman, que j’avais lu encore adolescente et qui m’avait fait forte impression, et d’essayer de visionner toutes les adaptations cinématographiques et télévisuelles de l’œuvre. Une folie « Jane Eyre » m’a prise et entrant davantage dans l’univers gothique et succombant à la plume poétique de Charlotte Brontë, je décidais d’étudier plus sérieusement le sujet. Beaucoup de choses ont déjà été dites sur l’héroïne, mais j’ai besoin en ce moment de pouvoir partager mes points de vue et mes idées sans pour autant compiler ce que les experts ont déjà écrit.

Un roman victorien mais pas très prude

Le roman tout d’abord. Il fut publié sous un nom d’emprunt en Angleterre en 1847, par une jeune fille, fille du pasteur Patrick Brontë qui s’est sans doute inspiré d’un fait divers qui eu lieu en 1835 aux environs de Leeds : une institutrice en poste dans une famille de notables se marie avec un homme également employé dans la maison. Au bout d’un an de mariage, elle mit au monde un enfant et découvrit en même temps que son mari était déjà marié. La rumeur courut que cette épouse était folle et que ce fait avait justifié à ses yeux se second mariage. C’est là toute la trame du roman de Charlotte, avec toutefois une différence notable : l’homme déloyal n’est pas un quelconque employé mais un aristocrate anglais, propriétaire, voyageur, à la fois austère et libertin. Mr Rochester est en effet l’un des plus beaux exemple du héros byronien, celui dont les actes passés et le caractère présent sont remplis de noirceur, d’obscurs chemins, de rejet de la société sans pour autant que son cœur ardent ne s’éteigne dans un cynisme ou même un nihilisme qui ne sied pas au romantisme de l’époque. Mr Darcy de Jane Austen dans Orgueil et Préjugés est un autre exemple de ce type de héros, plus gothique finalement que véritablement romantique comme le jeune Werther. C’est toute la puissance de la littérature britannique du XIXe siècle…

Jane Eyre est considérée comme un roman moderne, d’autant plus que son auteure est une jeune fille anglaise vivant à une époque rigide et moralisatrice. Il rappelle, mais dans un versant bien plus positif, Madame Bovary de Flaubert : ce sont deux textes qui racontent l’histoire d’une femme, qui, pour des raisons différentes, va résister aux conventions de sa société. Un peu comme dans Tess d’Uberville de Thomas Hardy, Emma Bovary est punie de cette opposition. Au contraire, Jane elle vit heureuse avec son époux bien aimé ! Faut-il voir dans ces fins tragiques des visions très masculines de la femme et le fait qu’un auteur ne peux jamais vraiment pardonner à une femme d’être libre ?
J’ai relevé plusieurs thèmes modernes dans le livre de Charlotte Brontë :
– le féminisme et l’égalité homme/femme
– l’amour romantique et la question de la recherche de l’âme sœur et du mariage d’amour
– les différences (âges, statut social) dans le couple
– les résistances aux conventions sociales et à la morale religieuse
– la rédemption par l’amour

Un roman féministe ?

Mais au-delà des ces sujets, je me suis demandé si la condition féminine dans le roman n’était pas un peu trop surestimée. En effet, Jane est-elle une figure de femme moderne, libre et indépendante, ou bien la force de sa volonté ne l’amène t-elle pas finalement à se soumettre tout de même aux désirs des deux hommes qu’elle rencontre, Rochester et Rivers ? Car si on y regarde de plus près, elle est très dépendante de ces hommes, à tel point qu’elle part presque en Inde avec Saint-John Rivers parce que sa volonté à lui est presque plus forte que la sienne. Mr Rochester est également une très forte personnalité, qui bien qu’aimante, est décrit comme un fauve qui impose à toute la maisonnée ses désirs. Où est la place des désirs de Jane là-dedans ? Mais sans doute que pour le milieu du XIXe siècle, anglais de surcroît, c’est un exploit qu’une jeune fille comme Jane Eyre puisse représenter un idéal d’indépendance féminine.

Une histoire d’amour cinématographique

Au-delà du roman, que j’ai re-dévoré rapidement, j’ai entrepris de visionner les principales adaptations cinématographiques et télévisuelles qui ont été réalisées depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Voici la liste :
FILMS :
– 1944 film de Robert Stevenson avec Orson Welles et Joan Fontaine (Vidéo sur Youtube)
– 1996 film de Franco Zeffirilli avec William Hurt et Charlotte Gainsbourg
– 2011 film de Carg Joji Fukunaga avec Michael Fassbender et Mia Wasikowska (Vidéo sur Youtube)

TELEFILMS ET SERIES TV :
– 1973 téléfilm pour la BBC de Joan Craft avec Michael Joyston et Joan Cusack
– 1983 série pour la BBC avec Timothy Dalton et Zelah Clarke (Episode 1 sur Youtube)
– 1997 série pour A&E Network (GB) de Robert Young avec Ciaran Hinds et Samantha Marton (Vidéo sur Youtube)
– 2006 série pour la BBC de Susanna White avec Toby Stephens et Ruth Wilson (Vidéo sur Youtube)

Tout d’abord, concernant le format, il est clair que celui de la mini-série, en plusieurs épisodes, est le plus à même de déployer toute l’étendue à la fois fictionnelle et émotionnelle du roman. Les films doivent faire l’impasse sur des chapitres, des scènes qui rendent inconsolables les fans. Il faut aller à l’essentiel et mener la barque au mieux, tandis que la série permet de mieux se plonger dans l’univers de l’auteur et dans la fiction historique. C’est bien pour cela que je ne suis pas une fan totale des films de Harry Potter mais que j’apprécie grandement le travail rendu dans la série Games of Throne ! On le sait aujourd’hui, la série peut être un format visuel bien plus complet qu’un film quand il s’agit d’adapter une histoire complexe et épaisse.
Dans les deux formats, les réalisateurs et les scénaristes ont fait des choix de couper certaines scènes, on ne sait jamais vraiment pourquoi celles-là ; il y a également des transformations par rapport au roman, en particulier dans la série la plus récente de 2006, cette fois-ci on se doute pour quoi : en l’occurrence pour rendre les rapports amoureux entre les deux héros un peu plus sensuels. Il s’agit de la scène qui précède le départ de Jane après la terrible découverte de l’épouse cachée et folle de Mr Rochester : dans le livre c’est déjà un passage très fort, où le héros supplie sa bien-aimée de rester et d’être sa maîtresse et qui se déroule dans un fauteuil de la bibliothèque et qui est transposé dans la série… sur un lit !

Ce qui m’a frappé dans le visionnage de toutes ces œuvres visuelles a été la formidable contradiction entre le fait que les deux personnages principaux sont décrit par l’auteur comme pas vraiment beaux, voire laid pour Mr Rochester, et les nécessités du cinéma mais aussi de la télévision de passer outre ces consignes. Ce constat est très vrai pour les rôles de Mr Rochester. En ce qui concerne Jane, j’ai été surprise aussi de voir que tous les modèles d’actrices (à part peut-être Joan Fontaine) se ressemblaient : petites, fragiles, brunes, maigrelettes et avec des visages plus ou moins atypiques. J’ai été plus frappée par l’incarnation de Ruth Wilson dans la série de 2006, sans doute par son visage qui n’est pas beau mais qui respire la vivacité et l’intelligence. C’est comme cela que l’on imagine Jane Eyre. En tout cas ce rôle ne peut pas être joué par une actrice qui voudrait pouvoir démontrer sa beauté physique, car ce n’est pas sur ce critère que la jeune fille devient une héroïne. Est-ce peut-être aussi là une démonstration de la modernité du propos de Charlotte Brontë ? Une jeune femme est un personnage intéressant en dehors de sa plastique… cette affirmation n’est, malheureusement, toujours pas d’actualité !

En ce qui concerne Mr Rochester, les acteurs qui l’ont interprétés ne peuvent pas se targuer d’être des laiderons ! Entre Toby Stephens et Timothy Dalton, Michael Fassbender ou William Hurt, ce sont plutôt des hommes sexy, selon notre vision moderne, alors que le héros est presque décrit difforme et au visage rebutant.

Pour cette question, la réponse est à mon avis très simple : toutes ces fictions s’adressent à un public largement, exclusivement féminin ! Il faut que le héros puisse faire rêver… et je sais de quoi je parle ☺
En fait, la problématique est celle-là : aujourd’hui, Mr Rochester peut-il être laid ?
Quel est donc celui qui m’a le plus touché et qui, selon moi, est le meilleur Rochester ? Toby Stephens est sans nul doute le plus sombre-sexy, tandis que Michael Fassbender est un peu trop souple, mou, fade…

Mais je dois avouer que celui qui m’a fait le plus d’effet, fut Ciaran Hinds dans la série de 1997. Déjà parce qu’au départ je ne l’ai pas du tout aimé… justement parce qu’il correspondait le mieux à Mr Rochester : vraiment plus âgé que Jane, avec un côté paternel que l’on ne voit pas chez les autres acteurs mais qui existe dans le roman, un côté sombre plus prononcé et au final un amoureux bien plus solide et romantique que les autres.

Pour conclure, le propos du roman de Melle Brontë n’est pas tant moderne qu’universel, et c’est bien ce que nous montrent ces diverses adaptations visuelles.


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Un commentaire sur “Jane Eyre, roman, films, séries

  1. Je viens de découvrir ton blog en farfouillant sur LA sur le topic des chroniques. C’est une très bonne chronique sur Jane Eyre, qui fait partie de mes livres préférés. 🙂 Tu as raison de dire que ce livre n’est pas si féministe que ça pour notre époque, mais il a dû sûrement faire parler de lui au 19e siècle. Pourtant, je trouve qu’il reste d’actualité. (des livres qui ne sont pas féministes, on en a des tas)

    Il y a eu un film en 2011 et je le déconseille. (je crois que le format séries est beaucoup plus adapté de toute façon) Dans celui-ci, Jane Eyre n’est vu qu’à travers sa relation avec Rochester, comme une fille un peu molle et morne. Certes, sa relation amoureuse prend beaucoup de place dans le livre, mais le personnage n’est pas que ça et ça m’énerve pas mal qu’ils l’aient réduite ainsi. Il est donc inutile de perdre son temps avec ce film.

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