Marqueur de Vie


Durée de lecture : moins de 2 mn

La carte n’a rien d’extraordinaire. Le choix est immuable et resserré.
Et pourtant… Avec quelques entrées et des plats simples, des grillades et des pizzas cuites au feu de bois, il est difficile de ne pas trouver de quoi se restaurer en toute simplicité.
Sur la page de garde du menu, le dessin de la façade du restaurant et la fontaine des Augustins.
Il me plaît à penser que l’auteur désargenté aura fait don de l’œuvre, pour régler une ardoise à l’échéance fort périmée. Peut-être même est-il devenu depuis un artiste de renom…

chez-jo

Deux pages intérieures suffisent à présenter l’étendue du choix, tandis que la 4è de couverture énumère en quelques lignes les boissons disponibles.
Voilà maintenant près de vingt années que je connais ce lieu. Du plus loin que je puisse me souvenir, je dirais que la carte a changé deux fois. La première, à l’occasion du passage à l’euro, la seconde, parce que le taux d’usure du document faisait peine à voir. Mais quant au contenu, il n’a pas bougé.

Installé en terrasse, j’observe deux personnes arrêtées devant le menu affiché à l’entrée.
Ils hésitent. Ils ne savent pas encore que le restaurant est complet.
Clientèle de passage, touristes et fidèles aixois, tout le monde est accueilli avec la même gentillesse. Mais si vous n’avez pas réservé, le seul espoir de vous restaurer « Chez Jo » est de tenter votre chance en tout début ou en fin de service … et encore, rien n’est moins sûr.
Vous l’avez compris, la pizzeria des Augustins est une institution.
Le sourire de son fondateur haut en couleur n’accueille plus les clients, mais son fils perpétue la tradition. Les nappes en papier préimprimées ont disparu, la terrasse a pris ses aises en saison, et l’hiver, les bâches en plastique s’appuient désormais sur des structures rigides, mais sinon, rien n’a changé ; ni la disposition des tables, ni les nappes en papier, ni le four à bois.
En salle, les piliers de l’équipe sont bien là. Ici, on travaille en famille. Je suis néanmoins épaté de leur capacité à toujours sourire et à distiller un bon mot malgré l’intensité des services, et surtout, de leur faculté à reconnaître des clients, certes fidèles, mais si occasionnels.
Je m’attarde sur les visages des personnes assises, indifférentes à celles qui patientent à l’extérieur tout en priant que leur table se libère enfin.
Pour des yeux attentifs, aucune difficulté à repérer les habitués. Ils embrassent discrètement celui ou celle qui les accueille, avant de s’installer sans aucune hésitation à l’une des tables qui semblent  leur être réservée en permanence. Il y en a trois, situées dans l’angle mort et si discret de la salle. Une dizaine de places à peine. Je n’ai jamais compris par quelle magie ces habitués arrivaient à ne pas se télescoper. Existe t-il des conventions horaires ? Un coup de fil régulerait-il le flux des arrivées? Mystère !
Mon regard se porte au dessus de leurs têtes. Sur le mur, sont punaisées cartes postales et photos dédicacées. Nombreux sont les visages qui me transportent sur les 30 dernières années. Ils m’inspirent, tantôt un air de musique, une scène de cinéma, tantôt un bon mot d’artiste ou d’une personnalité publique. Régulièrement, le visage de Jo se glisse au cœur des photos. Je souris.

Mon esprit vagabonde. Des souvenirs affleurent furtivement ma conscience.

Quel que puisse être l’état d’âme du moment, il y a des sourires, des odeurs, des saveurs et des lieux qui ont le pouvoir de faire resurgir en nous de puissantes émotions.
Ils ont cette capacité de mettre du baume au coeur et de rendre de bonne humeur, ou de plonger dans la nostalgie d’une tranche de vie qui a contribué à construire ce que nous sommes.
Et bien à chaque fois que je pense à ce restaurant sans prétention, je me remémore le goût du pain imbibé d’huile d’olive du moulin de Cucuron; je revois la pizza prédécoupée et partagée avant même que la prise de commande soit effectuée; je sais qui autour de moi affectionne la pizza à la mozzarella, les ravioles à la crème, les lasagnes et les pieds paquets…
À chaque fois que je sors de « Chez Jo », je sais aussi que le moment passé à cette table restera profondément ancré en chacun d’entre nous, au-delà d’un simple déjeuner.
Et pour ma part, je suis convaincu que ce lieu restera à jamais un marqueur indélébile de ma vie.

*****  

Longtemps, je mange Jo
Je m’y sens dans mon pageau
Là, c’est mon dojo

C’est mon histoire
je lape dans l’abreuvoir
Plus jamais de noir

Recherchant senteurs
Remémorant les saveurs
Quelque soit l’heure

Place des Augustins
J’y pense tous les matins
Pas de strapontin

Quand j’étais vaillant
Lorsque j’étais trop confiant
En me dépliant

Comme un souvenir
Très, très loin de m’alourdir
Je prends ce plaisir

D’une madeleine !!!
Jusqu’à perdre haleine
Ce temps me draine

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*****

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2 Commentaires

  1. Tout cela me donne envie d’aller visiter ce resto. Il y en a un de ce genre que je connais… il a ouvert ses portes au début des années 70 et mon mari et moi avons été un de ses premiers clients sinon les premiers. Par la suite, et pour les nombreuses années où nous somme demeurés au Québec, chaque événement, chaque anniversaire nous voyait diriger nos pas vers cet excellent et modeste restaurant… où on y déguste la plus parfaite et délicieuse soupe à l’oignon faites avec des produits (vins et fromages) importés de Bretagne. Il est situé à Montréal au coin de Rachel et Mentana et se nomme Ty-Breiz… la meilleur crêperie bretonne hors Bretagne, j’en suis convaincue.

    Après de très, très nombreuses années loin du Québec, j’y suis retournée lors du décès de ma chère maman. Je me suis fait un devoir d’aller y manger… aaaaaahhhhhhhhh! Comme c’était bon… rien n’y avait changé et le proprio était toujours là (quoique moins souvent maintenant) et j’ai eu droit à son large et chaleureux sourire accompagné d’un gros hug de bienvenue.

    Des marqueurs de vie… des bornes de bonheurs avec lesquels on reconnecte ~ ne fût-ce que pour un moment ~ avec un passé encore si présent. Cela me manque beaucoup et me fait sentir encore plus isolée car où je vis pour le moment, il n’y a rien qui me rattache, rien qui ne me fasse vibrer.

    L’Europe et le Québec me manquent, car mes bornes s’y trouvent.

    Merci Pascal de ce texte si important qui nous aide à s’arrêter un moment.

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    • Merci à vous de ce partage.
      J’imagine que les témoignages comme les nôtres doivent être légion, et que par pudeur, ou de peur d’être brocardés, la majorité restent enfouis dans les consciences.
      Il m’est venu en tête, tout à fait par hasard, la 1ère phrase d’une chanson de variétés qui, si mes souvenirs sont bons, avait même gagné le concours de l’Eurovision au début des années 70. Qualifiée d’universelle dans des temps anciens, j’entends déjà ce que pourraient être les commentaires d’aujourd’hui : Guimauve à deux balles, mièvrerie débile, j’en passe et des biens pires. Il est vrai que musicalement, le style est bien pauvre… et pourtant …
      « On a tous un banc, un arbre ou une rue … »

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