Marika Mathieu

Auteure et Réalisatrice

Qu’apporte vraiment le Téléthon à la recherche médicale?

Youphil.com le 2 décembre 2011

L’AFM recueille des millions d’euros chaque année grâce au Téléthon. Fragilisée par ses importantes dépenses à tous les niveaux de la recherche médicale, elle est pourtant à l’origine d’avancées majeures, qui se révèlent peu à peu.

 

Photo de @alviseni, sous licence CC.

Photo de @alviseni, sous licence CC.

[Mise à jour du 10 décembre 2012: Avec un peu plus de 81 millions d’euros de promesses de dons, la 26e édition du Téléthon enregistre une baisse de cinq millions d’euros par rapport à 2011.]

 

Lancé en 1987 par l’AFM (Association Française contre les Myopathies), le grand marathon du don prend l’antenne tous les ans, en décembre, au nom des trois millions de Français touchés par une maladie rare. Vingt-cinq ans de Téléthon, c’est une moyenne de 90 millions d’euros récoltés chaque année, avec un record établi en 2006 de plus de 101 millions d’euros promis. Depuis, la tendance est à la baisse, 2010 n’affichant plus “que” 84 millions d’euros au compteur.

 

Les critiques avancées par Pierre Bergé ont sans doute participé à ce relatif effritement. Le philanthrope a reproché en 2010 à cet évènement de capter la générosité des Français, au détriment d’autres grandes causes associatives, dont le Sidaction qu’il préside.

 

Une “question de santé publique” financée à 90% par les dons

 

Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, avait alors réaffirmé son soutien: “Si à un moment ou à un autre on arrête le Téléthon, si à un moment ou à un autre on diminue l’impact du Téléthon, ça n’est pas seulement une question de télévision, c’est une question de santé publique“. Près de 2.000 chercheurs avaient à l’époque signé une pétition et exprimé en termes offensifs la “nécessité” de préserver le marathon caritatif.

 

Car l’AFM est entre-temps devenue un acteur de premier plan dans le domaine de recherche médicale. En 2010, sur un budget de 106 millions d’euros dédiées à ses missions principales (guérir-aider-communiquer), 67,7 millions ont été utilisés pour la recherche et le développement de thérapeutiques.

 

L’AFM a créé trois laboratoires leaders dans leurs domaines de recherche: le Généthon, l’Institut de Myologie et I-Stem, auxquels se sont récemment ajoutés Genosafe et Généthon Bioprod. Traitements pharmacologiques, thérapie génique (utiliser des gènes sains comme médicaments) et/ou cellulaire (reconstitution d’organes ou de tissus lésés grâce aux cellules souches), chirurgie du gène (intervenir sur le gène malade pour le réparer)… “Aucune piste n’est laissée de côté“, confirme Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM, la plupart étant financées à 90% par les dons récoltés lors du Téléthon.

 

Des avancées aussi rares que majeures

 

En 1992, le Généthon publiait la première version de la carte physique couvrant la moitié du génome humain, la première carte physique d’un chromosome entier (le chromosome 21) ainsi qu’une carte génétique du génome. Ces travaux, reconnus dans le monde entier, ont été mis gratuitement à la disposition de la communauté scientifique.

 

La stratégie de l’AFM revendique le parti pris de l’innovation, et l’orientation dès les années 80 vers la génétique. Pour David Klatzmann, chef du service de biothérapies de la Pitié Salpêtrière: “les choix précoces et courageux de l’AFM en faveur des thérapies géniques et cellulaires ont produit des succès majeurs, c’est indéniable“. Il voit même dans ce pari d’origine sur la génétique la marque d’un esprit “visionnaire“, qui a permis à la France de s’affirmer comme leader mondial dans ce domaine.

 

Pour Ségolène Aymé, médecin généticienne et directrice d’Orphanet, le portail des maladies rares et des médicaments orphelins, l’impact du Téléthon sur la recherche est tout simplement “énorme“: “Peut-être pas sur la recherche médicale en général, mais sur les maladies rares, les avancées sont considérables“.

 

En 2000, l’aide fournie par l’AFM aux équipes scientifiques travaillant sur les “bébés-bulles”, ces enfants atteints d’un déficit immunitaire héréditaire, a permis la mise au point d’une thérapie génique qui a depuis guéri une cinquantaine d’enfants dans le monde.

Face à la mucoviscidose ou la myopathie de Duchenne, maladies emblématiques du Téléthon, il n’y a pas de remède miracle pour le moment. Ségolène Aymé note cependant des avancées “remarquables“: “Dans le cas de la mucoviscidose, nous sommes passés d’une espérance de vie de 15 ans à 50 ans aujourd’hui!

 

Des maladies rares aux maladies plus fréquentes

 

Autre exemple fourni par l’AFM, la mise au point d’un gène-médicament qui a permis de rendre la vue à des chiots atteints d’une maladie génétique de la rétine. Un succès qui réveille l’espoir pour les patients souffrant de l’amaurose de Leber, une maladie génétique rare qui se traduit par une cécité. Un essai est en cours pour démontrer la tolérance et l’efficacité d’un traitement chez l’homme. Selon l’association, ce “succès pourrait s’appliquer à l’avenir à une maladie bien plus fréquente: la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

L’AFM veut aujourd’hui démontrer que le travail sur les maladies rares peut aider au traitement des maladies fréquentes. Serge Braun confirme qu’il s’agit d’un message essentiel, à destination du grand public, pour ceux qui douteraient de “l’intérêt” d’un tel combat sur les maladies rares, mais aussi vis-à-vis des industriels pharmaceutiques: “il faut que l’industrie s’implique et comprenne qu’elle peut y trouver son compte“.

Il cite ainsi les avancées sur la progéria, une maladie génétique rare provoquant un vieillissement accéléré avec une espérance de vie de quatorze ans. Cette maladie ne touche que 25 familles en France, mais le traitement découvert pour cette pathologie pourrait agir sur les mécanismes fondamentaux du vieillissement. Outre la possibilité ouverte à tous de “vieillir mieux”, le traitement pourrait notamment intervenir en compléments des chimiothérapies ou trithérapies afin de compenser leurs effets secondaires.

 

Les laboratoires créés par l’AFM sont considérés comme à la pointe de la recherche. Le Génothon est le plus gros laboratoire au monde de production de produits pharmaceutiques pour les maladies génétiques et les maladies rares. Comme le rappelle Ségolène Aymé: “C’était vraiment osé de la part de l’AFM de se lancer dans un projet pareil!“. Le Génothon dispose de la plus importante banque d’ADN pour les maladies génétiques en Europe.

 

David Klatzmann, qui a longtemps participé au conseil scientifique de l’AFM, ajoute : “Les esprits chagrins diront que les avancées concrètes se sont focalisées sur les maladies rares, donc sur peu de patients, mais d’autres verront que dans un domaine aussi novateur, il faut du temps pour en appréhender tous les possibles”.

 

Investissements risqués

 

Le choix de miser, entre autres, sur la thérapie génique a pu parfois susciter le doute, voire la critique. L’engagement financier que cette technique requiert est massif, d’autant plus que les grands laboratoires pharmaceutiques s’en désintéressent encore.

 

Cette technique consiste à remplacer la fonction du gène défectueux ou manquant par celle d’un gène thérapeutique inséré dans la cellule. En 2007, l’ancien chercheur au CNRS et auteur du livre Thérapie génique: espoir ou illusion? [PDF], Bertrand Jordan dénonçait “l’erreur” de miser autant sur la thérapie génique, plus coûteuse que prometteuse, et peu efficace au-delà des maladies rares.

 

Ségolène Aymé le reconnaît aujourd’hui: “On ne réussit rien sans prendre de risques. La thérapie génique a stagné quelques temps, mais nous obtenons aujourd’hui des résultats“. Après la traversée d’une longue “vallée de la mort“, les premières maladies ont pu bénéficier de travaux de thérapie génique, en particulier dans les cas de déficits immunitaires sévères.

 

Reste que les dépenses s’affolent. Pour pallier le manque de renfort des laboratoires, l’AFM a décidé de créer le Genethon Bioprod, sa propre unité de production de thérapie génique. Ce premier centre au monde de production de médicaments de thérapie génique pour le traitement des maladies rares sera achevé début 2012. Le coût de chaque lot de médicament produit est d’ores et déjà estimé entre 400.000 et 500.000 euros pièce (et jusqu’à 1 million d’euros).

 

L’AFM soutient par ailleurs 36 essais thérapeutiques, et 40 sont déjà prévus en 2012. Selon l’association, la phase 1 de l’essai de thérapie génique mené par le Généthon sur le syndrome de Wiskott-Aldrich a par exemple nécessité 2 à 3 millions d’euros. Les travaux précliniques (2002- 2009) ont auparavant coûté 10 millions d’euros.

 

Une stratégie financière “à la croisée des chemins”

 

Le coût des structures et tests cliniques en cours ou à venir est exponentiel. David Klatzmann alerte: “Il y a de plus en plus d’essais thérapeutiques, mais il faut bien se dire que ce sont des gouffres financiers“. Selon une étude menée par le Cabinet Bionest, les besoins financiers de l’AFM, nécessaires au financement de l’ensemble de ses projets scientifiques, pourraient s’élever à un milliard d’euros pour les six prochaines années.

Serge Braun confirme le problème: “Il nous faudrait un Téléthon pour chaque médicament que nous développons!” Le coût d’un médicament, qu’il faut en moyenne 15 ans pour finaliser, atteint en effet 100 millions d’euros. Selon son directeur scientifique, l’AFM est donc bien “à la croisée des chemins“: “Bien-sûr que nous n’avons pas les moyens suffisants! On est obligé de trouver des relais.” Serge Braun compte sur le crédit associé aux “résultats spectaculaires obtenus sur certaines pathologies de la rétine ou sur certaines myopathies” pour “interpeller l’Etat et les acteurs socio-économiques“. “Nous réfléchissons à la meilleure manière d’optimiser l’effort que nous soutenons depuis 25 ans, mais le système doit évoluer car nous n’y arriverons pas seul.

 

Où sont les philanthropes de la recherche médicale?

 

Serge Braun déclare l’AFM “pauvre au regard de ses objectifs“, mais l’expérience de l’AFM démontre  combien le financement associatif peut s’avérer décisif pour l’innovation médicale. Ségolène Aymé, directrice de recherche à l’Inserm, souligne qu’avec les seuls fonds publics, “jamais de telles perspectives de traitement n’auraient pu s’ouvrir.”

 

La motivation et l’ampleur prises rapidement par le travail en pointe de l’AFM mettent en lumière les failles propres au sous-financement de la recherche publique et au poids déterminant que peu prendre un fond caritatif quand il existe. Pascal Maire, co-directeur du département Génétique et Développement de l’Institut Cochin, le reconnaît ainsi: “Si je perdais demain mon financement de l’AFM (NDLR : 35.000 euros/an), j’abandonnerais sûrement la recherche fondamentale que je mène sur le muscle et travaillerais sur autre chose, en fonction des fonds que je pourrais obtenir“. Le chercheur interroge : “Plutôt que de se demander si l’AFM a raison ou non de dépenser autant pour un laboratoire, demandons-nous pourquoi il n’y a-t-il pas plus d’entreprises ou de grands philanthropes pour soutenir la recherche médicale.”

 

La question est ouverte et dépasse de loin le cadre du Téléthon.

MM

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This entry was posted on July 18, 2013 by in Culture - Société.