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venezia V 740

Giovanni Merloni, 2013

Venise_005 (chapitre VIII,13-16, Carrosse n. 3, Testamento immorale, p.107-110 Manni Edizioni, Lecce 2006)

Tu tun tu tun
ralentit le train
sous le ciel serein, gelé, sans entrain.
Je sors de la vitre ma tête
fourmillante et triste :
« Non, je ne descends pas !
Peut-être vais-je continuer, jusqu’à Ferrare
et même plus loin, au-delà du Pô
je me régale d’une journée rare
(je vais voir une expo)
à Venise, tiens ! »

Quant à toi
Étoile filante
Étoile matinale
tandis que le train repart
(et que le matin se montre lumineux)
d’ici solitaire, à l’écart
je t’écris sur une carte postale.

Nous partions en voiture
(car tu avais peur du train)
toujours accompagnés
par les chansons héroïques
des Inti Illimani [i]
(il y avait encore
les troïkas  [ii] et les balalaïkas [iii] ;
il n’y avait pas encore
Gato Barbieri [iv]).

À Venise
tu dis « Au secours !»
Mais, j’étais têtu
et dépourvu de flair.
Une nuit, assise sur le lit
tu laças tes souliers
de montagne. Décidée
à conduire toi même
la gondole bleue
qui nous amènerait au feu.

Il s’appelait Omas [v] le stylographe
que tu m’avais donné
que je perdis, malheureux
dans l’excursion  en photographes
vers le lointain Torcello).
J’avais eu juste le temps
d’écrire BÉ-RÉ-NI-CE [vi]
sur ton ruban blanc et bleu
(gauche et drôle d’encadrement
à tes longs cheveux).

Étoile en plein air
tu te précipites sournoise
dans mon ciel turquoise
à la Paul Véronèse. [vii]

Étoile, plongeant
ta belle main dans l’eau,
il te va comme un gant
le canal de Venise.
Dans ce calme, je me consacre
à ton visage ancien
(comme un modèle du Titien [viii])
le parfait simulacre
d’un amour sacré
qu’il fallut profaner.

Giorgione-le-concert-champètre-1510 740

Giorgione (ou Titien), Le concert champêtre (1510) (Les peintres de Venise)

Ton air de feu follet
(ce que m’avait dit dans l’escalier
un collègue de mon quartier [ix])
me rappelle Tintoret. [x]
Mais, le lit sous le toit
fut le centre parfait
de notre plaisir
(Casanova [xi] et Canaletto [xii]
en auraient eu grand dépit).

Étoile sur terre
ton rêve a affaire,
par tes dociles regards,
à Guardi par hasard [xiii]
Et ton je-ne-sais-quoi
de pucelle pointue
à Carpaccio aurait plu [xiv]
tandis que ton nez aquilin
Bronzino [xv] dans ses dessins
l’aurait gardé. Ton rare teint
Giorgione l’a peint [xvi]
mais ta bouche ingénue
est l’œuvre d’un inconnu.

Étoile de sucre et de cannelle
je t’ai mangée et bue
même à ton insu
en jouant du violoncelle
aux abords d’une obscure ruelle.

En sortant de l’Académie [xvii]
sur le pont je t’embrassai
tu dis : « Unissons nos dangers ! »
Je répondis sans réfléchir
« J’ai deux enfants à entretenir ».
Je te perdis avant de manger
te poursuivis avec le gondolier
tandis que toi, en me fuyant
me laissais balader, sans rigoler
parmi les moustiques
du monde entier.


[i] Groupe de musiciens chiliens exilés en Italie après le coup d’état de 1973.

[ii]  Traineau ou luge trainés par trois chevaux.

[iii]  Instrument de musique à cordes très diffusé en Russie et en Ukraine.

[iv]  Saxophoniste de jazz argentin.

[v]  Marque de stylo.

[vi]  Reine égyptienne qui sacrifia sa splendide chevelure à Aphrodite.

[vii]  Paolo Veronese (1528-1588), peintre.

[viii]  Tiziano Vecellio (1490ca.-1576), peintre.

[ix]  Collègue d’ Alfredo B.

[x]  Jacopo Robusti dit le T. (1518-1594), peintre.

[xi]  Giacomo Casanova (1725-1798), écrivain.

[xii]  Giovanni Antonio Canal dit le  C. (1697-1768), peintre.

[xiii]  Francesco Guardi (1712-1793), peintre.

[xiv]  Vittore Carpaccio (1465ca.-1526), peintre.

[xv]  Agnolo di Cosimo dit le  B. (1503-1572), peintre.

[xvi]  Giorgio Zorzi dit le  G. (1477ca.-1510), peintre.

[xvii]  Gallerie dell’Accademia, pinacothèque de Venise.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 10 juin 2013

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