Jean Robert Viallet face à une autre France

Après les documentaires « la Mise à Mort du Travail » et « Manipulations, Une histoire française »,Jean-Robert Viallet, accompagné d’Hugues Nancy, est parti durant un an à la rencontre des français des zones périurbaines. Un documentaire frappant sur une partie de cette population exclue de la vie économique du pays.

Christophe Guilluy, auteur de Fractures Françaises, publié en 2010. (D.R.)
Christophe Guilluy, auteur de Fractures Françaises, publié en 2010. (D.R.)

« En mélangeant ces grands indicateurs que sont le chômage, la densité de population, le seuil de pauvreté des ménages et le pourcentage de propriétaires précaires, on obtient une photographie dynamique, et non plus figée, de l’état de la France. » Dans une interview accordée à Télérama(n°3328 23/10/2013), Jean-Robert Viallet décrypte comment le géographe Christophe Guilluy est arrivé à construire la « carte des fragilités sociales ». Publiée en 2010 dans son ouvrage Fractures françaises, cette carte est le point de départ du documentaire La France en face. Elle offre une analyse profonde des fractures sociales et géographiques du pays. Cette carte a attiré l’attention des politiques. Nicolas Sarkozy notamment, lors de sa campagne présidentielle, a rencontré le géographe, pourtant de gauche. Et si cet ouvrage a pu autant les intéresser, c’est qu’il observe aussi les modifications de la géographie électorale : l’abstention massive, les votes en faveur du Front National dans les zones rurales etc.

La carte des fragilités sociales avec en bleu, les zones fragiles socialement, qui représentent60% des français. (D.R.)
La carte des fragilités sociales avec en bleu, les zones fragiles socialement, qui représentent 60% des français. (D.R.)

Une immersion dans la précarité

Dès le début du documentaire, la voix-off pointe le responsable de cette rupture entre « les deux France ».  D’un ton grave, elle accuse la mondialisation : « Un mouvement dont les métropoles, connectées économiquement au reste de la planète et au marché global, parviennent à tirer profit au détriment des zones appelées périurbaines. » Et pourtant, si les 25 villes de plus de 370 000 habitants concentrent deux tiers du PIB, près de 60 % des Français vivent sur le reste du territoire. Ce sont ces 60% que Jean-Robert Viallet et Hugues Nancy sont allés rencontrer, à travers les portraits de jeunes diplômés au chômage, d’actifs ou bien de couples proches de la retraite. Ils incarnent tous la précarité et sont l’exemple de ce que vivent des milliers, voire des millions de Français au quotidien.

De son petit lotissement de Saint-Dizier, dans la Haute-Marne, Morgane âgée de 19 ans, reste consciente face à ses chances de trouver un emploi : « J’attends que la boite d’intérim me rappelle pour pouvoir m’inscrire au code et passer mon permis (…) C’est dur de trouver du boulot à Saint-Dizier, parce qu’il n’y a plus rien.» Dans cette ville où 20% de la population active est touchée par le chômage, dont un jeune sur trois, le constat des 18/25 ans du quartier du Vert-Bois est sans appel. « L’été dernier, je suis partie à Paris sur un coup de tête. J’ai eu du mal pour trouver un apprentissage (en plomberie, ndlr) mais au final je travaille maintenant » témoigne Mohamed. Avant de conclure, devant ses amis qui n’ont pas eu la même réussite, qu’« à Paris, il y a de quoi faire, tu ne t’ennuies pas. Tu vis ! »

L’essentiel de la création d’emploi se fait dans les grandes métropoles

« Les grandes villes ont organisé, via le marché, les logiques économiques, les logiques foncières, l’éviction des gens qui ne comptent plus dans la logique de mondialisation. » En une phrase, Christophe Guilluy énonce clairement l’un des autres problèmes générant la fracture de la société : la gentrification des quartiers populaires. Les lieux qui accueillaient par le passé la classe ouvrière, sont maintenant occupés « par les gens qui comptent pour l’économie. » En clair, la gentrification décrit, de manière critique, un phénomène d’embourgeoisement des quartiers populaires.

Pour tenter d’illustrer ce phénomène, les deux réalisateurs ont rencontré Medhi, un chauffeur d’autobus. Pour une meilleure vie familiale et sa femme, «ils ont quitté la cité de l’Est de Paris dans laquelle ils ont grandi», pour vivre à Goussainville dans le Val-d’Oise. Un choix qui n’est pas véritablement le leur comme l’explique l’historienne Anne Fourcaut, et Medhi, chauffeur d’autobus :

Des répercussions électorales

Face caméra et sans complexe, Bahija, auxiliaire de vie à temps partiel et mère de deux enfants, admet voter pour Marine Le Pen. «  Elle n’est pas contre les personnes comme moi qui travaillent mais contre les gens qui vivent de l’assistanat tout le temps. », sans avoir peur d’une possible dérive « Même s’ils me renvoient chez moi, au Maroc, la priorité est aux Français. »

A Villaines-la-Juhel, près de Nantes, malgré un taux de chômage très faible (5%), la fragilité sociale règne. Alain, le visage marqué par la fatigue, distribue de nuit Ouest France dans les communes alentour. Après 17 ans dans une scierie puis deux ans de chômage, c’est le seul emploi qu’il a trouvé. Sa femme, Sylviane, est sans emploi. Comme beaucoup de Français, Alain n’attend plus rien des politiques. « Je ne vais plus voter. Les politiques, ils promettent, mais ça ne sert à rien. Pourquoi voter alors ? » critique-t-il.

Sylviane et Alain, respectivement au chômage et à temps partiel. (D.R.)
Sylviane et Alain, respectivement au chômage et à temps partiel. (D.R.)

Pourtant à l’image de Jocelyne et Jean-François, un couple de paysans dans le Gard, il y a des solutions alternatives. Parmi celles-ci, l’économie sociale et solidaire. En 2005, leur exploitation familiale « aurait dû mettre la clef sous la porte, asphyxiée par les dettes. » Le seul moyen pour éviter la faillite : participer aux AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne). Depuis, elle a permis la création de deux emplois.

Le documentaire pose beaucoup de questions, sans toutefois y répondre. Mais ce n’est pas forcément ce qui lui est demandé. Avant de conclure avec la voix-off. « Nos dirigeants politiques ont-ils bien pris la mesure de notre situation dans notre pays ?». Rien n’est moins sûr.

Le documentaire La France en Face en entier

Victor Vasseur

Une réflexion sur “Jean Robert Viallet face à une autre France

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