Qu’est-ce qu’une éditrice pense des liseuses électroniques ?

En 2010, dans le cadre de l’Ecole de bibliothécaires où j’étudie, j’avais élaboré, avec quatre autres élèves, un blog de ressources concernant les liseuses électroniques, supposé offrir un support de réflexion aux bibliothécaires qui souhaitaient introduire cette technologie dans leurs établissements.

Nous y avions ajouté une interview d’une éditrice anglaise de notre connaissance, qui utilise une liseuse, afin de cerner non seulement les avantages et les inconvénients d’une telle technologie, mais également les usages qui peuvent en être faits. Je retranscris ici cette interview pour clôturer mon cycle de réflexion sur le livre électronique, car elle rejoint nombre de mes réflexions et que je suis d’accord avec elle sur la plupart des points abordés.

Je remercie par ailleurs Hélène qui a accepté que je publie cette interview sur mon blog.

Interview d’Hélène Ferey, lectrice et découvreuse de talents littéraires pour l’agence Koukla MacLehose – Londres

1. Quel modèle utilisez-vous ?

Sony e-reader PRS-300 (2010, plus petit que les premiers, couleur fushia)

2. A quels moments et où l’utilisez-vous le plus fréquemment ?

Au bureau dans la journée et dans les transports en commun en début/fin de journée/le weekend, pour lire des manuscrits.

3. Quelles sont les fonctionnalités de ce modèle et quelles sont celles que vous jugez le plus utiles et dont vous vous servez le plus ?

Je me sers principalement de l’agrandissement de la police possible avec le zoom car la taille originelle est souvent trop petite. Il y a également la possibilité de marquer les pages mais je m’en sers peu.

4. Quelles sont celles qui manquent ?

Il est dommage de ne pouvoir faire aucune annotation. Lorsque l’on zoome pour y voir mieux on perd complètement la notion de mise en page et le nombre de pages devient fantaisiste ce qui brouille les repères de lecture je trouve.
Enfin on ne peut pas vraiment « feuilleter » le livre, et une table des matières interactive serait appréciable.
Les images ne passent pas, donc cela pose problème en cas de livre trop richement illustré ou contenant des schémas. Mais je crois que ce problème est résolu avec les nouvelles générations d’e-reader. L’Ipad est, en ce sens, meilleur.

5. Combien de livres pouvez-vous y stocker ?

Aucune idée. Plus de mille je crois. Je n’en ai que trois à dix en permanence dessus, je les efface au fur et à mesure qu’ils sont lus.  Je m’en sers vraiment plus comme un outil que comme une bibliothèque.

6. Comment vous procurez-vous les contenus que vous y lisez ?

Ce sont des manuscrits qui nous sont envoyés par les agents et maisons d’édition sous forme de documents Word (que l’on doit transformer en plain text ou PDF) ou PDF.

7. Quelle utilisation personnelle et professionnelle en faites-vous ?

Je ne l’utilise quasiment pas personnellement car je préfère le contact avec un vrai livre. Professionnellement, il est très utile : avant nous devions soit lire sur l’écran d’un ordinateur, ce qui est fatigant et abîme les yeux, soit imprimer format A4 des manuscrits de parfois 600 pages (gaspillage de papier incroyable et pas très pratique dans le bus !). Cela permet donc de lire les manuscrits plus vite et partout.

8. Comment choisissez-vous ce que vous y lisez ? Votre choix est-il différent selon que vous allez lire en numérique ou en papier?

Si c’est pour mon plaisir, j’essaie de lire sur papier. Pour le travail, je le choisis souvent pour que ce soit plus efficace. Mais je ne choisis pas les manuscrits que je lis : nous lisons tout ce qui nous est envoyé.
En revanche, nombreux sont les lecteurs professionnels de l’édition qui, comme moi, trouvent qu’ils sont plus durs avec un roman lu sur un e-reader que sur papier. L’e-reader n’est pas « friendly » par définition, donc si le livre manque de style ou d’intrigue ça ne pardonne pas : ce qui pourrait passer sur papier nous rebute franchement sur l’e-reader. Il faut vraiment que le livre soit bon pour qu’on soit accroché sur l’e-reader. En un sens, cela rend notre évaluation du livre plus facile.

9. En faites-vous la même utilisation que pour le papier ?

D’une certaine façon oui : je lis, j’évalue, et je passe à autre chose. Mais je n’ai pas de charge émotionnelle avec l’e-reader.
Ce qui change entre les deux supports c’est ma relation au texte après la lecture. Garder le fichier sur l’e-reader ne me donne pas l’impression de garder le livre de toute façon, c’est trop artificiel pour moi. Je les efface donc au fur et à mesure alors que lorsque j’aime bien un livre lu sur papier, même sans l’adorer, j’ai tendance à le garder, l’archiver, et à le prêter par la suite. Je suis donc plus dans une logique jetable de pur travail/rendement avec l’e-reader alors qu’avec le papier je suis plus dans l’émotif. J’aime parfois respirer l’odeur de mes livres…de mon e-reader, non !

10. Quels avantages et fonctionnalités mettriez-vous en avant ?

Le côté pratique, la légèreté.

11. Avantages et défauts par rapport au papier ?

Le sentiment d’avoir un élément étranger, froid. La disparition de la mise en page, l’impossibilité de se rendre compte facilement où l’on se trouve dans sa lecture (a-t-on lu la moitié, un tiers, les trois-quarts ?). Le manque de relation physique avec le texte en un sens.

12. Quelle potentialité dans l’édition ? (risques et avantages) Son usage est-il fréquent dans ce secteur ?

Son usage est très fréquent dans l’édition car il permet au personnel de lire les manuscrits ou les premières versions d’un texte sans avoir à imprimer des centaines de fois le même texte. Celui-ci circule plus rapidement, tout se passe par mail et le livre est lu bien avant que le livre papier n’arrive par la poste.
Le format et la vente des e-books au public est un autre problème.  Le e-book est une forme du texte comme une autre (poche, club, traduction) qu’une maison d’édition peut vendre au public. Elle est même la plus profitable dans la mesure ou elle est peu chère (pas de coût d’imprimerie ni de stockage) et permet donc d’éponger plus facilement tout l’argent injecté dans le titre (édition, promotion, impression et stockage des copies papier…). Toutefois, si l’e-book est mal géré, cela peut entrainer une catastrophe. Les prix ne doivent pas être trop bas, sinon il y a un risque de voir la vente de copies papier chuter au profit des seuls e-books, ce qui serait dramatique car les copies papier se vendent bien plus chères et font vivre les libraires qui sont nos premiers allies pour défendre les nouveaux auteurs. La France est un des premiers pays à voter un prix unique de l’e-book, qui empêchera la concurrence déloyale et la vente à perte qui pourrait facilement ruiner le système. Enfin, la nature même de l’e-book est très volatile : le fichier peut traverser les frontières facilement et il est plus difficile d’en contrôler les droits, surtout par langue (si l’on vend les droits électroniques à un éditeur Canadien pour la langue française au Canada, comment être sûre que le fichier ne se retrouvera pas en France, au Maroc, bref ne se vendra pas sur d’autres territoires que la licence ne couvrait pas ??). Un nouveau problème est d’ailleurs en train d’émerger dans les pays anglo-saxons avec la naissance de maisons d’édition électroniques affiliées aux agences : des agences littéraires qui se contentaient de promouvoir leurs auteurs et de vendre les droits aux maisons d’éditions en viennent à présent à créer leur propre maison d’édition électronique, gardant les droits électroniques du livre pour eux et les vendant à leur profit, privant par là-même les maisons d’édition d’une part importante de leur marché. Certains agents pensent même a créer leur propre traduction et à vendre le fichier en ligne en plusieurs langues, annihilant ainsi la tradition de ventes et cessions de droits entre éditeurs de différents pays.

13. Est-ce que vous considérez les liseuses comme une solution « durable » dans le temps, respectant les considérations écologiques à la mode en ce moment ?

Oui, écologiquement c’est une bonne réponse en ce qui concerne une utilisation dans les bureaux, pour éviter la paperasserie et l’impression en vingt exemplaires d’un même texte. En revanche je ne pense pas que cela présente une alternative à la publication papier de livres. Je ne crois d’ailleurs pas que l’édition de livres sur support papier soit responsable d’une catastrophe écologique.
Les liseuses seront durables dans le temps je suppose car elles sont pratiques et écologiques, mais elles ne sont qu’une alternative de plus.

14. Pensez-vous que les liseuses finiront à terme par remplacer les livres papier ? Pourquoi ?

Non, je ne le crois pas. Je pense que les liseuses sont un nouveau média, une nouvelle possibilité, mais je ne crois pas qu’elles annihileront des millénaires d’histoire en phase avec le papier.
La liseuse est pratique pour le travail académique, la recherche, le travail sur texte, les déplacements. Tout ce qui concerne le côté purement pratique du texte. Mais l’homme est ainsi fait qu’il aime posséder des objets, bien physiques, avec une histoire et une odeur.  Quelque chose que l’on peut prêter, garder, échanger (alors que bien souvent les fichiers sont protégés… et franchement, offrir un fichier en cadeau n’est pas terrible.)
En un sens, tout ce qui est lié à la notion de travail sur texte peut s’effectuer avec la liseuse, et en cela, c’est un outil d’avenir, pratique et écologique. Mais la lecture est chargée d’émotion, d’implication personnelle : la lecture-plaisir ne pourra se satisfaire d’un écran, et maintiendra la pérennité du livre-papier. Je ne crois pas à une mort programmée du livre.
 

17 commentaires

      1. MissBouquinaix, je ne sais pas comment vous joindre autrement que par ici, mais je suis en train de répondre à ces mêmes questions. Selon votre choix, je publierai cette « auto-interview » soit sur mon blog, soit si vous préférez sur le votre … (ou encore, si vous ne souhaitez pas que je le publie du tout, ça ira à la poubelle…)

        1. Bonjour,

          C’est comme vous le souhaitez ! Je serai heureuse de le publier sur mon blog si cela fait avancer le débat sur les liseuses électroniques que je tente de cerner depuis plusieurs mois !

        1. Je suis désolée de ne pas avoir pu vous répondre plus rapidement mais j’étais très occupée cette semaine ! Cela vous embête si je le publie également sur le mien ? ^^

  1. Merci pour cette interview intéressante. Personnellement je suis attirée par les liseuses pour le côté pratique (et je l’avoue, l’attrait de la nouveauté) mais le développement du numérique me fait peur pour l’avenir du livre.

    1. C’est effectivement une grande question : avantages et inconvénients des liseuses électronique. Il est vrai que si ces dernières développent à l’avenir (et ça va de plus en plus vite) des avantages non négligeables sur le livre papier, il sera difficile de s’opposer au déclin de ce dernier. Pour l’instant, de très nombreux lecteurs préfèrent le livre papier, pour des valeurs sentimentales mais aussi pour des raisons pratiques. Il est difficile de savoir comment cela va évoluer par la suite … Car le débat est aussi ailleurs, et intrinsèquement lié : le déclin de l’activité même de la lecture au sein de la société.

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